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Récupérer Jeanne d'Arc, "un réflexe quasi pavlovien"

L'historien Yann Rigolet, doctorant Ă  l'universitĂ© d'OrlĂ©ans, rappelle que l'image de Jeanne d'Arc a souvent Ă©tĂ© rĂ©cupĂ©rĂ©e, et pas seulement par l'extrĂȘme droite.

Article rédigé par Ilan Caro - Propos recueillis par
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
La statue de Jeanne d'Arc, place des Pyramides à Paris, le 9 mai 2010. (MIGUEL MEDINA / AFP)

Nicolas Sarkozy célÚbre officiellement, vendredi 6 janvier, le 600e anniversaire de Jeanne d'Arc à Domrémy-la-Pucelle (Vosges), son lieu de naissance. Marine Le Pen, elle, lui rendra hommage samedi à Paris. L'historien Yann Rigolet, doctorant à l'université d'Orléans, rappelle que l'image de l'héroïne de la guerre de Cent Ans a souvent été récupérée, par toutes les tendances de l'échiquier politique.

Comment interpréter l'hommage du président de la République pour le 600e anniversaire de Jeanne d'Arc ?

Yann Rigolet : Cette commĂ©moration est assez Ă©tonnante, puisque c'est la premiĂšre fois que Nicolas Sarkozy prĂ©side une cĂ©rĂ©monie consacrĂ©e Ă  Jeanne d'Arc. Or, la tradition rĂ©publicaine veut que le chef de l'Etat assiste une fois au cours de son mandat aux fĂȘtes johanniques d'OrlĂ©ans, qui se tiennent chaque annĂ©e du 29 avril au 8 mai pour cĂ©lĂ©brer la dĂ©livrance de la ville en 1429. Le gĂ©nĂ©ral de Gaulle, ValĂ©ry Giscard d'Estaing, François Mitterrand et Jacques Chirac s'y sont rendus. Ce fut Ă  chaque fois l'occasion d'un discours de consensus rĂ©publicain, rassembleur. Il est trĂšs curieux que Nicolas Sarkozy ne s'y soit jamais prĂ©sentĂ©. Cette cĂ©rĂ©monie Ă  DomrĂ©my-la-Pucelle arrive un peu tard, mais opportunĂ©ment avant la campagne prĂ©sidentielle...

Quelles sont les valeurs véhiculées par cette icÎne ?

Y. R. : Jeanne d'Arc Ă©voque le rassemblement et la rĂ©volte. Elle apparaĂźt aussi comme le symbole de la prise de conscience de notre identitĂ© nationale. En France, son image est extrĂȘmement politisĂ©e. On veut en faire une figure qui jalonne les Ă©tapes de notre histoire, alors qu'elle a eu un destin trĂšs individuel. Elle se retrouve au milieu d'un patchwork de commĂ©morations, de l'extrĂȘme gauche Ă  l'extrĂȘme droite en passant par toutes les sensibilitĂ©s. A l'Ă©tranger, on a une vision diffĂ©rente : Jeanne d'Arc y est vue plutĂŽt comme une icĂŽne culturelle, littĂ©raire, voire romantique.

La récupération politique de l'image de Jeanne d'Arc est-elle une nouveauté ?

Y. R. : Non. Au XIXe siÚcle, la défaite de la France contre la Prusse a suscité une ferveur autour de son culte. Récupérer la figure de Jeanne d'Arc est alors devenu un réflexe quasi pavlovien de la part des politiques. Chaque camp veut la récupérer sous son drapeau.

Dans les annĂ©es 1920, elle est un objet de querelle entre deux France, celle des laĂŻcs et celle des religieux, l'Etat et l'Eglise. AprĂšs la canonisation de Jeanne d'Arc le 16 mai 1920, la RĂ©publique lui consacre une fĂȘte, fixĂ©e chaque annĂ©e au deuxiĂšme dimanche de mai. Cette fĂȘte officielle existe toujours, mais elle est trĂšs peu mĂ©diatisĂ©e et suscite peu de reconnaissance de la part des pouvoirs publics.

Pendant la seconde guerre mondiale, Vichy tente de la rĂ©cupĂ©rer en la substituant Ă  Marianne, et le gĂ©nĂ©ral de Gaulle utilise le souvenir de Jeanne d'Arc durant tout le conflit. Dans les annĂ©es 1950, tous les partis l'utilisent, mĂȘme les plus europĂ©istes. Mais Ă  partir de la fin des annĂ©es 1970, les rĂ©publicains ont plus ou moins dĂ©laissĂ© le symbole, devenu trop connotĂ©. Ce qu'on retient aujourd'hui, c'est l'icĂŽne du Front national, qui est en rĂ©alitĂ© un faire-valoir.

En effet, le FN lui rend hommage chaque 1er mai à Paris. Que penser de cette manifestation ?

Y. R. : On ne peut pas nier la ferveur du Front national envers Jeanne d'Arc. La place des Pyramides, oĂč se situe sa statue, est un lieu de rassemblement de l'extrĂȘme droite depuis le XIXe siĂšcle. Mais cet hommage fixĂ© au 1er mai ne correspond Ă  rien d'historique. Si l'on voulait cĂ©lĂ©brer Jeanne d'Arc Ă  Paris, il faudrait le faire le 8 septembre, lorsqu'elle Ă©choua Ă  la porte Saint-HonorĂ©. Le choix du 1er mai n'a pas d'autre but que de marquer la lutte contre l'internationalisme ouvrier.

En cette période électorale, quel avantage les politiques peuvent-ils retirer à se la réapproprier ?

Y. R. : Au cours de sa campagne de 2007, Nicolas Sarkozy a un peu rĂ©activĂ© la ferveur autour de Jeanne d'Arc. Il souhaitait ainsi toucher la jeunesse [Jeanne d'Arc a Ă©tĂ© exĂ©cutĂ©e Ă  19 ans] et rĂ©cupĂ©rer le vote frontiste. SĂ©golĂšne Royal, elle, de façon plus iconique (ou fĂ©ministe ?), y a vu "une sƓur de Lorraine".

Ce que l'on peut reprocher aux différents candidats en campagne, c'est d'éluder le vrai débat historique. Cela ne concerne pas que Jeanne d'Arc. JaurÚs, Blum, BarrÚs... les politiques opÚrent des captations d'héritage afin de légitimer leur discours et leur parcours. Dans les discours politiques, les récupérations sont successives et multiples, à gauche comme à droite. Ce brouillage mémoriel, cet usage compulsif de l'histoire, pour reprendre les termes de l'historien Gérard Noiriel, devraient réapparaßtre au cours de la campagne.

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