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Européennes : le RN a-t-il le droit d'utiliser les noms de Mélenchon et de LFI pour faire campagne ?

La France insoumise a adressé une mise en demeure au Rassemblement national au sujet d'un tract qui évoque Andréa Kotarac, ex-membre de LFI qui appelle à voter pour le RN. Le parti de Jean-Luc Mélenchon dénonce une tentative de "tromperie". Les avocats contactés par franceinfo jugent que cette action en justice a peu de chances d'aboutir. 

Article rédigé par Benoît Zagdoun
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Jean-Luc Mélenchon aux côtés d'André Kotarac, le 14 mars 2014, pendant la campagne des municipales à Lyon. (MAXPPP)

"Pour stopper Macron il votera pour la liste Rassemblement national", clame le tract du RN. Andréa Kotarac, élu local La France insoumise mais appelant à voter pour le RN aux élections européennes, y apparaît tout sourire. Le visuel précise que le conseiller régional Auvergne-Rhône-Alpes était auparavant "membre de l'équipe de Jean-Luc Mélenchon".

Jean-Luc Mélenchon "nous a envoyé une lettre d'avocat", s'est amusée Marine Le Pen, jeudi 16 mai, au micro de France Inter. "J’ai reçu dès hier soir une lettre d’avocat pour que monsieur Kotarac ne dise pas qu’il était de La France insoumise", a-t-elle raconté.

Juliette Prados, conseillère presse des députés "insoumis", ne donne pas la même version des faits à franceinfo, confirmant l'information de Libération. Si LFI a adressé une mise en demeure au RN, c'est pour que ses tracts ne mentionnent plus les noms de La France insoumise et de Jean-Luc Mélenchon, comme c'est le cas sur ce visuel partagé notamment sur les comptes Facebook du RN et de sa présidente.

"La mise en demeure porte sur la tromperie des électeurs. Ce tract associe les noms de Jean-Luc Mélenchon et La France insoumise au Rassemblement national. C'est contestable juridiquement, assure Juliette Prados. De tels tracts "entraînent une fausse apparence de rapprochement entre La France insoumise et le Rassemblement national, constituant un trouble manifestement illicite causant ainsi un préjudice à nos clients, dont la gravité est nécessairement renforcée par le contexte électoral actuel."

Pas d'interdiction dans le Code électoral

Le problème, c'est que ni le Code électoral ni la loi encadrant les élections européennes ne précisent ce qui peut ou ne peut pas figurer sur les affiches et les tracts qui, comme celui-ci, ne sont pas destinés à l'affichage officiel sur les panneaux électoraux. Il n'est ainsi pas interdit de citer le nom d'un parti, d'un candidat ou d'une liste adverse sur sa propre propagande électorale.

"Pour ce type de tracts ou d'affiches, on tombe dans le droit général, explique à franceinfo l'avocat au barreau de Paris Thierry Vallat. Ils ne peuvent être attaqués que s'ils revêtent un caractère diffamatoire, injurieux ou discriminatoire par exemple. Le fait qu'il s'agisse d'une personnalité publique, d'un parti politique, et qu'on soit en période électorale ne change rien à l'affaire."

Il n'y a aucun élément de droit sur lequel fonder une action en justice. Il n'y a rien d'attaquable. 

Thierry Vallat, avocat au barreau de Paris

à franceinfo

Le Rassemblement national "tire parti d'une information pour faire campagne". "C'est de bonne guerre", juge l'expert, qui souhaite donc "bonne chance à La France insoumise pour faire interdire ce tract"

Une "manœuvre frauduleuse" ?

"Dans le cadre d'une campagne électorale, tout n'est pas permis, pointe cependant Jean-Baptiste Chevalier, avocat en droit public et auteur d'un article sur le sujet. Certains procédés peuvent constituer ce que la loi appelle des 'manœuvres frauduleuses'."

Mais la diffusion sur le web de cette affiche est-elle pour autant une manœuvre frauduleuse ? "Pour le déterminer, le juge électoral s'appuie sur deux éléments : l'artifice et la volonté de tromper", expose le juriste. Le magistrat devra d'abord juger si cette affiche est un artifice, c'est-à-dire si elle crée la confusion dans l'esprit de l'électeur. Une fois cet élément matériel établi, il devra se prononcer sur l'élément intentionnel, à savoir si le tract a été créé avec la volonté de tromper l'électeur. Si ces deux conditions sont réunies, la manœuvre frauduleuse est prouvée.

Ici, "la qualification ne peut être exclue", conclut l'avocat, compte tenu notamment de "certains éléments de mise en page", comme la taille de la police utilisée pour écrire en grand "La France insoumise". De même, les mentions "membre de l'équipe de Jean-Luc Mélenchon" et "La France insoumise" peuvent laisser croire qu'Andréa Kotarac occupe toujours cette fonction et qu'il est encore membre de LFI, alors qu'il a démissionné de ce parti et qu'il a décidé de renoncer à son mandat régional.

Depuis la loi de 2011, les manœuvres frauduleuses sont sanctionnées d'une annulation partielle ou totale du scrutin, mais aussi d'une peine d'inéligibilité allant jusqu'à trois ans pour le ou les candidats y ayant pris part. Mais "à condition qu'elles aient eu une incidence sur le scrutin". Or dans le cas présent, le tract controversé est apparu plus de dix jours avant le vote. "Le juge peut considérer que La France insoumise a eu le temps nécessaire pour réagir." Enfin, fait observer l'avocat en droit public Louis le Foyer de Costil : "La justice n'annule pas un tract. Et la tromperie de l'électeur est toujours jugée après le scrutin." 

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