François Ruffin explique sa lettre ouverte à Emmanuel Macron, "président déjà haï" : "Passer en force dans une France sous tension, c'est dangereux"
François Ruffin, réalisateur du film "Merci Patron !", s'inquiète de la politique que pourrait mettre en place Emmanuel Macron s'il est élu président de la République dimanche.
François Ruffin, journaliste, candidat aux législatives soutenu par la France insoumise dans la Somme, a publié, jeudi 4 mai dans Le Monde, une "Lettre ouverte à un président déjà haï" adressée à Emmanuel Macron. Vendredi, sur franceinfo, le réalisateur de Merci Patron ! déplore le côté "ça passe ou ça casse" de la politique que pourrait mettre en place Emmanuel Macron s'il est élu dimanche, à l'issu du second tour de l'élection présidentielle.
franceinfo : Vous accusez Emmanuel Macron d'être frappé de "surdité sociale", est-ce sa campagne d'entre-deux-tours qui vous fait dire ça ?
François Ruffin : Je me suis baladé, lundi, avec mes tracts, sur les braderies du quartier Saint-Maurice, un quartier populaire d'Amiens, et de Longueau, une petite ville à côté. La veille, j'étais au motocross de Flixecourt. Et – c'est moins l'institut Ifop que l'institut "au pif" qui parle – dans les centaines de conversations que j'ai eues, j'étais vraiment très surpris, voire stupéfait, par l'hostilité, la véhémence, à l'égard d'Emmanuel Macron. Je ne suis pas sûr que lui prenne ce pouls-là. Il y a une lecture à avoir de ce qui se passe au niveau du vote : il y a les CSP+ qui l'appuient, une classe intermédiaire, dont je suis, qui est dans l'hésitation à faire encore l'effort pour faire barrage au Front national, et il y a des classes populaires qui sont en décrochage massif, qui vont soit s'abstenir, et ça sera le mieux qu'elles puissent faire, soit saisir l'autre bulletin contre Emmanuel Macron. Et, ce que je vois, c'est que, malgré tout, Emmanuel Macron va utiliser le vote de dimanche soir comme une garantie politique, et pour avoir un calendrier, nous dit-il, très rapide, en fonctionnant par ordonnances. Je trouve que c'est dangereux, dans une société française qui est déjà en tension, d'effectuer des passages en force comme cela.
Il est quand même compliqué de demander à Emmanuel Macron une inflexion de son programme alors que l'on reproche souvent aux politiques d'être des girouettes…
Il veut faire une loi Travail n°2, mais il aurait pu au moins décider de ne pas passer par les ordonnances. Son économiste, Philippe Aghion, nous dit qu'on est, en gros, dans la situation de la France en 1945, et qu'il faut un traitement de choc, que tout doit y passer : l'assurance chômage, les tarifications à l'acte, l'assurance maladie, les collectivités locales…Je ne suis pas sûr que cela contribue à rassurer les classes populaires et reconstruire du tissu social. Je crains vraiment quelque chose, dans cette France en tension. Il y a un côté "ça passe ou ça casse". Il y a une espèce de double discours : le même économiste nous dit que, si jamais on ne vote pas Macron, on laisse passer le fascisme ; et derrière, il nous dit que "le vote de dimanche va nous permettre de tout faire très vite parce qu'on aura une légitimité politique pour fonctionner par ordonnance en contournant le Parlement". Je pense qu'il y a une volonté de passage en force qui ne me semble pas être ce qu'attendent les classes populaires.
Pour vous, même s'il est élu dimanche soir, Emmanuel Macron ne dispose pas d'une légitimité suffisante pour gouverner ?
Pour gouverner, il aura une légitimité. Maintenant, est-ce qu'il a une légitimité suffisante quand on connaît les conditions de son éventuelle élection ? Au premier tour, un électeur sur deux d'Emmanuel Macron a voté en adhésion à son programme et l'autre moitié pour le "vote utile". Au second tour, des électeurs vont le choisir pour faire barrage au FN, et puis il y a ceux qui ne se déplacent pas parce qu'ils ne veulent pas choisir entre la peste et le choléra... Tout ça ne donne pas une légitimité qui permette de dire ensuite : "Je vais passer en force pour vous faire un traitement de choc."
Dans votre tribune, vous écrivez à Emmanuel Macron : "Vous portez en vous la guerre sociale comme la nuée porte l'orage"…
Quand vous avez Marine Le Pen qui, au premier tour de l'élection présidentielle, fait 21% – et on verra quelle sera sa percée dans les classes populaires –, cela indique un gros souci en France. Un souci qui préexiste, Emmanuel Macron n'en est pas la cause. Mais je crains que [son] choix d'y aller par la thérapie de choc contribue plus à faire éclater la fracture sociale qu'à la résorber. Le ressenti que j'ai eu, le week-end dernier, auprès de centaines de gens sur de très brèves conversations politique, me fait dire qu'il y a, en quelque sorte, deux France face au phénomène Macron.
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