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Comment l'armée française a été accusée d'acheter des pulls "made in China" plutôt que "made in France"

Article rédigé par Benoît Zagdoun, Pauline Lecouvé
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Le candidat à la présidentielle Arnaud Montebourg lors d'un déplacement le 30 septembre 2021 à Carbonne (Haute-Garonne). (FLORENT BUSQUETS MANAVIT / HANS LUCAS / AFP)

Une erreur glissée dans un communiqué du mouvement soutenant la candidature d'Arnaud Montebourg à la présidentielle a été le point de départ de cette polémique qui s'est invitée dans la campagne.

Une cause toute trouvée pour l'avocat du "made in France". Jeudi 4 novembre, Arnaud Montebourg visite les ateliers de la manufacture Regain à Castres (Tarn). L'équipe de campagne du candidat à la présidentielle a convié les journalistes. L'ancien ministre de l'Economie attire l'attention des médias sur le fabricant de pulls français, car, explique-t-il, l'entreprise tarnaise "vient de perdre une commande publique au profit d'un producteur étranger". L'ex-ténor socialiste réclame que son successeur à Bercy, Bruno Le Maire, soutienne la fabrication hexagonale et ne fasse pas le choix de la concurrence étrangère.

Annonçant la venue du candidat de "la remontada", la presse locale rapporte que l'armée française a préféré au manufacturier tricolore un concurrent chinois pour habiller ses soldats. Une information démentie par la "grande muette", qui dénonce une "fake news". Alors, "made in China" ou "made in Tarn" ? Voici l'itinéraire de cette fausse information.

Aux yeux du grand public, tout commence par des articles de presse. "Des militaires (...) vont bientôt porter des pulls fabriqués en Chine", écrit Actu Occitanie mardi, annonçant la venue imminente d'Arnaud Montebourg. "L'armée a préféré un fabricant chinois à Regain pour une de ses dernières commandes de pulls", renchérit France Bleu Occitanie, mercredi, à la veille du déplacement du candidat.

Indignation autour du "pullgate", de Le Pen à Mélenchon

En pleine pré-campagne présidentielle, d'autres prétendants à l'Elysée s'emparent du sujet, jeudi matin. A l'extrême droite, Marine Le Pen tweete : "Avec [Emmanuel] Macron, nos impôts subventionnent les importations chinoises et les délocalisations." La candidate du Rassemblement national promet, si elle est élue, de consacrer "l'essentiel de la commande publique aux entreprises qui produisent en France".

A sa gauche, Jean-Luc Mélenchon, lui aussi, s'indigne que "l'armée française achète des pulls en Chine plutôt que dans le Tarn". BFMTV embraye et titre sur ce "pullgate".

Fabrication au Maroc et en Tunisie, selon l'armée

Jeudi à la mi-journée, le porte-parole du ministère des Armées, Hervé Grandjean, se fend d'une série de tweets pour démentir la "fake news". En septembre 2020, l'armée a conclu un contrat avec deux entreprises françaises, Saint James et Leo Minor, pour se fournir en pulls, relate-t-il. "La confection est faite soit en France soit au Maroc ou en Tunisie" et non en Chine, précise le porte-parole. Le marché s'est déroulé "conformément au Code de la commande publique, sur des critères de qualité, de prix, en intégrant des dispositions de responsabilité sociale", assure Hervé Grandjean.

Si la manufacture Regain n'a pas remporté ce marché, elle n'a pas pour autant été oubliée par le ministère, ajoute le porte-parole. Dans le cadre du plan de relance, l'entreprise a bénéficié d'"un contrat de 500 000 euros pour la fourniture de 15 000 chandails". L'armée finance également son "expérimentation sur des sous-vêtements techniques innovants". Le porte-parole des Armées fait valoir que "78% de [se]s fournisseurs sont français et la moitié sont des PME et des TPE". Des entreprises tricolores certes, mais qui fabriquent parfois leurs produits dans des usines hors de l'Hexagone. 

Des sites de production à Casablanca et Monastir

Mais alors, où les pulls de l'armée française seront-ils fabriqués ? Sur son site internet, Leo Minor précise que ses sites de production sont implantés à Casablanca, au Maroc, et à Monastir, en Tunisie. Contactée par franceinfo, l'entreprise n'avait pas encore répondu à nos questions à la publication de cet article. Quant à Saint-James, la marque ne fait mention sur son site internet que de son atelier historique de Saint-James dans la Manche, près du Mont-Saint-Michel. Le groupe n'a lui non plus pas encore répondu aux questions de franceinfo.

Un examen des articles vendus dans une boutique parisienne de la marque confirme que les pulls sont "made in France", les autres vêtements étant confectionnés au Portugal ou en Italie. La laine de la plupart des pulls "made in France" provient en revanche d'Australie ou de Nouvelle-Zélande, selon un vendeur de ce magasin. Un seul modèle présent en magasin serait confectionné à partir de laine d'origine française : celui similaire aux uniformes de gendarmerie. Le modèle correspondant aux uniformes de l'armée n'est lui pas disponible à la vente, mais, toujours selon ce vendeur, il serait lui aussi confectionné à partir de laine française.

Une erreur dans un communiqué de l'équipe Montebourg

D'où vient alors cette affirmation selon laquelle la manufacture Regain aurait été victime d'une concurrence chinoise ? La réponse se trouve dans un communiqué envoyé lundi 1er novembre par Willy Bourgeois, secrétaire général de L'Engagement, le mouvement de soutien à la candidature d'Arnaud Montebourg. Celui-ci prévient les rédactions de la venue du candidat à Castres pour la visite de la manufacture Regain. L'entreprise "vient de perdre un marché important avec l'armée française qui a fait le choix de commander ses pulls auprès d'une entreprise chinoise, menaçant directement l'emploi en France", écrit-il, dénonçant ce "choix du gouvernement français de privilégier une entreprise chinoise au détriment du savoir-faire français". Joint par franceinfo, Willy Bourgeois n'a pas souhaité répondre à nos questions.

Au sein de l'équipe du mouvement L'Engagement, on reconnaît que cette "concurrence chinoise" a bien été évoquée dans cette invitation à la presse locale. On affirme cependant que cette information provient du patron de la manufacture Regain. C'est lui qui aurait informé l'équipe d'Arnaud Montebourg de sa situation, en évoquant cette "concurrence chinoise". L'origine de cette fausse information serait donc due à une erreur de communication survenue dans l'empressement des échanges entre le patron de la manufacture Regain et l'équipe d'Arnaud Montebourg.

"Des délocalisations maquillées sous couvert de marques françaises"

Joint par franceinfo, Laurent Brunas, patron de la manufacture Regain, assure n'avoir jamais déclaré que son entreprise avait perdu ce marché des pulls militaires au profit d'une entreprise chinoise ou fabriquant en Chine. "Ce sont des informations que je n'ai jamais divulguées", affirme-t-il, jurant : "Je suis incapable de dire où mes concurrents fabriquent." Tout en se désolant de cette polémique, qu'il compare à une "météorite" qui lui "est tombée dessus", il confirme en revanche ses propos tenus sur France Bleu Occitanie.

Il y comparait le coût de la main-d'œuvre, moins chère au Portugal qu'en France, et encore moins onéreuse en Tunisie, en Roumanie ou en Chine, concluant, fataliste : "La Chine est donc dix fois moins chère que la France. Donc, je n'ai aucune chance de passer."

Bien que la délocalisation de la fabrication des pulls de l'armée française ne se fasse pas du côté de la Chine, la critique reste inchangée, aux yeux de l'équipe du mouvement L'Engagement : "Pour nous, le problème reste entier, ce n'est pas produit en France. C'est de la délocalisation déguisée. Sous couvert de donner le contrat à une boîte française, on supprime des emplois en France." Dans un communiqué tweeté jeudi soir, le candidat Arnaud Montebourg ne dit pas autre chose : "L'armée française pratique des délocalisations maquillées sous couvert de marques françaises." Et le candidat de lâcher sur BFMTV "C'est peut-être pas la Chine, mais en tout cas, c'est pas la France."

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