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Cinéma : « La belle et la meute » un film de Kaouther Ben Hania, en DVD le 3 avril

Lors d’une fête étudiante, Mariam, jeune Tunisienne, croise le regard de Youssef. Quelques heures plus tard, elle erre dans la rue en état de choc. Commence alors une longue nuit durant laquelle elle devra lutter pour le respect de ses droits et de sa dignité.

Article rédigé par franceinfo
Radio France
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La belle et la meute (JOUR2FETE)

Entretien avec Kaouther Ben Hania   

Mariam incarne-t-elle la jeunesse qui croit fermement à un État de droit issu du nouvel ordre apparu après la fin du régime de Ben Ali en Tunisie ?

En fait, je ne voulais pas la charger d’un passé de militante. C’est pourquoi je l’ai présentée comme un personnage naïf lorsqu’elle ment au policier. Youssef est bien davantage politisé, c’est lui qui lui parle de la Révolution. Lorsque l’on subit une injustice, de fait on devient militant, comme un réflexe de survie. Mariam a besoin que les personnes qui l’ont violée se retrouvent en prison. Si l’on parle d’un processus de vengeance sous couvert de prise en charge de la justice civile, on n’est pas du tout dans le militantisme. Mais celui-ci commence à apparaître face à un ordre social qui dénie totalement le respect des droits élémentaires d’un citoyen. Mariam suit un parcours où elle souhaite seulement justice et réparation pour ce qu’elle a subi, en réclamant un procès verbal. Elle devient militante à partir du moment où elle s’aperçoit que cela est impossible. En face d’elle, la « meute » devient violente, non pas à cause de ce que Mariam représente, mais parce qu’elle ose porter plainte. Les policiers vont utiliser tout ce dont ils disposent pour la rabaisser en puisant dans un imaginaire collectif de mépris pour tout ce qui est provincial. Cette manifestation de dénigrement et de mépris de l’autre sont des armes psychologiques dans le contexte d’une guerre où s’affrontent deux groupes.

Mariam lutte aussi contre la « banalisation du mal » lorsque ses interlocuteurs traitent le viol avec mépris et indifférence.  

Le film est à cet égard un constat de cette « banalisation du mal » non seulement en Tunisie mais dans le monde entier. À cet égard, je fais référence au documentaire THE HUNTING GROUND (Kirby Dick, 2015) qui traite du cas des viols dans les prestigieuses universités américaines (Columbia, Harvard, etc.) où les victimes féminines ne parviennent pas à trouver justice au sein de l’administration de leur campus. En effet, les universités sont des entreprises placées dans un système hyper compétitif qui ne souhaitent pas voir leur réputation ternie. Aussi, l’administration pousse les victimes de viol à se taire, d’autant que les personnes incriminées sont des champions adulés de l’équipe de football, objet de gros enjeux financiers. LA BELLE ET LA MEUTE est plus un film sur le diktat de l’institution que sur le viol. C’est pourquoi le viol est commis par des policiers, autrement dit ceux qui incarnent le monopole de la violence symbolique dans la société. Les sociétés modernes sont en effet construites sur cette idée que les individus sont protégés par ces fonctionnaires.  

L’un des arguments d’un policier pour faire taire Mariam consiste à mettre en valeur une société en construction qui a besoin de l’institution policière et qui ne peut dès lors être ternie.  

C’est toujours le chantage que l’on connaît tous qui consiste à opposer la sécurité à la liberté, comme si on ne pouvait pas avoir les deux. Dans cette logique, pour avoir une police forte, il faut lui donner les pleins pouvoirs et se taire lorsqu’elle commet des crimes. Ceci est à l’oeuvre aux États-Unis après le 11 septembre, on retrouve cela en France et ailleurs autour du terme « lois d’exception ». Selon ce chantage, il vaut mieux se taire à propos des exactions policières si l’on veut éviter la guerre civile et les menaces terroristes.  

La belle et la meute (JOUR2FETE)

Si le contexte du film est local à travers un portrait de la Tunisie de l’après 2011, il dépasse très largement ces frontières. Comment  dialogue-t-on entre local et global dans la conception d’un film ?  

Il faut toujours un contexte pour construire un film. Je connais bien le contexte tunisien que je trouve passionnant car foisonnant, où tout est remis en question. Tous mes films ont été conçus avec cette possibilité de pouvoir dialoguer avec tout public, quel que soit le pays d’origine. Je me rends compte aussi que, comme il y a très peu d’images qui proviennent de la Tunisie, se forme une adhésion totale aux quelques images véhiculées vers l’extérieur. À un réalisateur issu d’une industrie cinématographique plus productive, on ne posera pas les mêmes questions sur les préjugés associés à un pays.  

Ce film est adapté d’un fait divers, quelles libertés ont été prises par rapport à la réalité des faits de celui-ci ?  

J’ai pris beaucoup de libertés. C’est un fait divers qui m’avait énormément touchée à l’époque et qui avait fait beaucoup de bruit, avec de nombreuses manifestations de soutien à la victime. J’ai pris l’événement de départ qu’était le viol. Mais les personnages du film ne ressemblent pas aux personnages réels. Tous les événements qui se déroulent dans le scénario ne se sont pas produits comme tels dans la réalité : ainsi, la victime du viol croise ses bourreaux durant la nuit même, mais pas pour les mêmes raisons que j’ai choisies dans le scénario. Je ne souhaitais pas rencontrer la victime réelle de ce viol, qui a écrit un livre dont la production du film a acheté les droits afin de conserver ma liberté d’interprétation*. La rencontre a pourtant eu lieu et la lecture du scénario ne l’a guère satisfaite, ce que je comprends aisément : lorsque l’on a vécu une expérience traumatique, on peut se sentir trahi de ne pas voir la re-transposition ?fidèle de ce vécu. Or, je souhaitais, plus qu’adapter fidèlement un fait divers, parler du courage de nombreuses femmes qui luttent pour faire respecter leurs droits, en utilisant la fiction. Derrière le courage qu’elle a eu à témoigner devant la Justice et par son livre, je souhaitais aussi parler dans mon film de toutes ces femmes dont on n’entendait pas la voix.  

La belle et la meute (JOUR2FETE)

Mariam passe peu à peu du statut de victime d’un viol qui a besoin d’être prise en charge, au rôle de citoyenne agissante qui ne peut compter que sur elle, en l’absence de groupes de pression, qu’il s’agisse de la famille, d’amis ou d’institutions. Ceci constitue- t-il une vision politique de la société d’aujourd’hui ?

En effet, je pense qu’il faut être suffisamment solide de l’intérieur et se construire peu à peu pour s’affirmer et trouver sa place dans la société. Or dans mon film, cette prise de conscience citoyenne (la revendication des droits) passe par un événement fortement traumatique. Ceci dit, dans le véritable fait divers, la prise en charge sociale est venue de la part de la société civile toujours vivante et active en Tunisie. Évidemment, la première nuit a été très dure pour la victime avant que le soutien n’arrive de l’extérieur. C’est pourquoi j’ai tenu à présenter le rôle de la journaliste dans le film. Avant que ne parvienne tout ce soutien de l’extérieur, le film montre la nécessité urgente pour elle de se construire de l’intérieur tout au long de cette nuit. Elle a en effet progressivement basculé dans un point de non-retour. On imagine alors que ce soutien extérieur viendra par la suite pour faire aboutir sa construction personnelle. Je pense que, lorsque l’on est fragile de l’intérieur, les autres ne peuvent pas nous aider. Toutes les personnes qui se construisent ainsi peuvent peu à peu constituer le puzzle d’une société très forte.

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