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Inflation, pénurie alimentaire, coupures d'électricité… Six questions pour comprendre la crise au Venezuela

Le Venezuela est frappé par une sécheresse sévère et une grave crise économique depuis plusieurs semaines. L'opposition souhaite organiser un référendum pour révoquer le président Nicolas Maduro. 

Article rédigé par Elise Lambert
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 7 min
A La Bombilla, au Venezuela, des habitants tentent de récupérer de l'eau de pluie alors que le pays est en proie à une grave sécheresse, le 22 avril 2016.  (MIGUEL GUTIERREZ/SIPA / EFE / SIPA)

Chute des cours du pétrole, pénurie alimentaire, coupures d'électricité, pression de la rue… Depuis plusieurs semaines, le Venezuela traverse une crise politique et économique explosive. Dans tout le pays, l'opposition recueille des signatures afin d'organiser un référendum contre le chef de l'Etat, Nicolas Maduro, de plus en plus sous pression. Francetv info revient sur cette situation en six questions.

J'ai entendu parler de coupures d'électricité, de magasins vides, de fonctionnaires non payés… Que se passe-t-il au Venezuela ?

Depuis plusieurs semaines, les Vénézuéliens vivent un rationnement programmé. Lundi, le gouvernement a décrété une coupure d'électricité de quatre heures par jour dans les dix Etats (sur 24) les plus peuplés du pays, à l'exception de la capitale Caracas, et ce pendant quarante jours. Un changement de fuseau horaire de 30 minutes a été mis en place pour profiter au maximum de l'énergie solaire, et de nouveaux jours fériés ont été crées afin de réduire les frais de l'Etat.

Le président Nicolas Maduro a ordonné que les fonctionnaires ne travaillent plus que deux jours par semaine, les lundis et mardis. Les classes sont également suspendues le vendredi pour les élèves de la maternelle au lycée. Les plus gros consommateurs d'énergie, comme les hôtels, doivent pourvoir eux-mêmes à leurs besoins en électricité neuf heures par jour. 

En conséquence, les centres commerciaux sont contraints de réduire leurs horaires d'ouverture et les files d'attente s'allongent devant les magasins. Les produits de première nécessité se font de plus en plus rares, rendant la situation de plus en plus tendue. Des émeutes ont éclaté ces derniers jours dans la deuxième ville du pays, Maracaibo.

Des Vénézuéliens font la queue devant un supermarché de Caracas (Venezuela), le 22 avril 2016. (CARLOS GARCIA RAWLINS / REUTERS)

Au Parlement, les députés et employés ont appris qu'ils ne seraient pas payés ce mois-ci. "Il n'y pas d'argent pour payer les salaires car le gouvernement ne nous envoie pas les fonds", a expliqué le président de l'institution.

Sur les réseaux sociaux, les hashtags #MaduroEsOscuridad ("Maduro c'est les ténèbres") et #LaCorrupcionNosQuitoLaLuz ("La corruption nous a supprimé la lumière") sont repris en masse, et les habitants de la province accusent le gouvernement de privilégier la capitale. ("Aujourd'hui, le #Venezuela a été paralysé pendant 4 heures à cause d'un gouvernement inefficace. Ça suffit !")

Mais pourquoi l'Etat veut-il réduire la consommation d'électricité ?

Depuis 2007, le secteur électrique du Venezuela est nationalisé. Le président de l'époque, Hugo Chávez, souhaitait ainsi "réorganiser le secteur pour augmenter l'efficacité des sources de production d'énergie", rapporte Mediapart. Une instance d'Etat est créée, chargée de mettre en œuvre les activités de transmission et de distribution de l'électricité.

Or, de nombreux habitants dénoncent depuis un réseau délaissé par l'Etat : l'abandon progressif de l'entretien et des investissements provoquent des coupures régulières. Certains experts déplorent l'état des infrastructures et le problème de dépendance à l'énergie hydraulique, détaille RFI

La principale installation hydroélectrique du pays, la centrale de Guri, fournit 70% de l'énergie du pays, mais le niveau d'eau se trouve anormalement bas depuis le passage du phénomène cilmatique El Niño. C'est "presque une tragédie environnementale et nous devons adapter notre mode de vie", a plaidé Nicolas Maduro.

Le barrage de Guri, au Venezuela, le 12 avril 2016.  (CARLOS GARCIA RAWLINS / REUTERS)

La sécheresse est donc responsable de la crise ?

Pour les autorités, la principale raison de cette crise énergétique est le climat. Entre 2015 et 2016, El Niño a provoqué une grave sécheresse dans le pays et donc une baisse importante des réserves hydrauliques, indique le journal El Nacional (en espagnol).

Mais pour l’opposition, qui contrôle le Parlement, El Niño n'est pas la raison. La crise énergétique s'expliquerait par le manque d'investissements sur le réseau électrique et le fiasco du plan lancé en 2010 par Hugo Chávez pour diversifier les ressources. "Un plan atteint par de nombreux détournements et des lourdeurs bureaucratiques", indique Libération.

Selon un rapport du Fonds monétaire international (FMI), les graves problèmes rencontrés par le secteur énergétique au Venezuela sont liés au manque d'infrastructures, mais aussi à la conjonction climatique.

Quelles sont les autres raisons  ?

Des piétons bloquent le passage des voitures dans une rue de El Hatillo, pour protester contre une coupure de courant d'une durée de 24 heures, le 23 avril 2016.  (FERNANDO LLANO/AP/SIPA / AP / SIPA)

"Le problème de fond du Venezuela, c'est la monoculture pétrolière", indique à francetv info Jean-Jacques Kourliandsky, chercheur à l'institut de relations internationales et stratégiques et spécialiste de l'Amérique latine. Le Venezuela tire en effet plus de 96% de ses revenus de l'or noir, mais la crise pétrolière de 2014 a durement atteint l'économie du pays.

"Le pays n'a pas anticipé la baisse du cours du pétrole, la chute de la demande chinoise… Et n'a jamais cherché à diversifier son économie", décrit le chercheur. "Résultat, il est incapable de nourrir son pays. Il importe tout sans avoir les fonds nécessaires." Les programmes sociaux dans l'éducation ou la santé ont du mal à se maintenir. Un système de contrebande s'est installé aux frontières. "Il y a une pénurie de devises. Des échanges au noir avec la Colombie se développent et provoquent de nombreuses tensions aux frontières."

Selon le FMI, les revenus liés au pétrole sont ainsi passés de 80 milliards de dollars en 2013 à 20-25 milliards en 2015, reprend La Tribune. Alors le pays "fait tourner la planche à billets" – c'est-à-dire que la banque centrale du pays crée de la monnaie – provoquant une importante inflation. Après avoir atteint 180,9% en 2015, l'institution table sur une inflation de 700% en 2016, rappelle La Tribune.

En février, à la suite d'un décret présidentiel, le tribunal suprême de justice (la plus haute institution judiciaire du pays) a déclaré le pays en "état d'urgence économique". D'une durée de soixante jours, cette mesure est censée améliorer la lutte contre la crise du pays en conférant davantage de pouvoir au président.

Quelle est la part de responsabilité du gouvernement ?

Le président vénézuélien Nicolas Maduro, photographié à Caracas (Venezuela) le 12 avril 2016. (MAXPP)

À la crise énergétique s'ajoute une grande instabilité politique. En décembre, l'opposition MUD (Mesa de la unidad democratica) a remporté les élections législatives. Cest la première fois depuis 1999 que le président socialiste doit composer avec un Parlement d'opposition.

"Depuis, l'opposition tente par tous les moyens de destituer le président, qu'elle accuse de dilapider l'argent du pétrole, d'avoir détérioré la situation économique et d'être corrompu", précise Jean-Jacques Kourliandsky. Depuis la mort d'Hugo Chávez en 2013 et l'élection de son héritier Nicolas Maduro, le chavisme rencontre une certaine désaffection de la part des Vénézueliens, notamment "à cause du manque de charisme du leader, des tiraillements internes au régime (…) d'une plus grande visibilité de la corruption, d'une augmentation de la violence criminelle et de la répression politique", explique Libération.

Jeudi 28 avril, l'opposition a accentué la pression sur Maduro en votant au Parlement une motion de défiance contre le ministre de l'Alimentation, Rodolfo Marco Torres, accusé d'être à l'origine des pénuries du pays. En quelques jours, l'opposition a récolté près d'un million de signatures, huit fois plus que les 195 721 signatures nécessaires (soit 1% de l'électorat) requises par le Conseil national électoral pour pouvoir passer à l'étape suivante : le référendum. 

Des supporters de l'opposition vénézuélienne signent une pétition pour demander un référendum contre le président Nicolas Maduro, le 27 avril 2016.  (CITIZENSIDE/ANDREA HERNANDEZ / CITIZENSIDE / AFP)

A quoi doit-on s'attendre dans les prochaines semaines ?

Certains observateurs craignent que le pays ne bascule dans le chaos ou dans la dictature. Le journal suisse Le Temps pointe un accaparement des pouvoirs par l'exécutif, une censure des médias et une vague de nationalisation des entreprises depuis l'arrivée de Nicolas Maduro au pouvoir.

"Il y a actuellement environ une centaine de prisonniers politiques dans les prisons vénézuéliennes. Il y a plusieurs cas de torture avérés", renchérit Maria-Corina Machado, opposante du pouvoir, à L'ObsNicolas Maduro "viole la démocratie, restreint les libertés individuelles. 85% de la population aspire aujourd’hui au changement. Il faut les entendre (…) Or ce gouvernement n’a aucune intention de changer quoi que ce soit."

Des heurts ont éclaté entre policiers et manifestants à San Cristobal (Venezuela), le 29 mars 2016.  (CARLOS EDUARDO RAMIREZ / REUTERS)

L'opposition espère pouvoir mener à terme son référendum contre le président, mais rien ne dit qu'il aboutisse à une révocation. "Chávez a aussi fait face à une procédure de destitution en 2004, qui n'a pas abouti pour autant", analyse Jean-Jacques Kourliandsky. "C'est classique dans ce pays : l'exécutif se sert de ses pouvoirs pour contenir la crise, et l'opposition use de toutes les possibilités de la Constitution pour le renverser."

Pour le journal vénézuelien d'opposition Tal Cual (en espagnol), le chavisme s'est lentement mué en autocratie dictatoriale. "Reste à savoir quelle place aura l'armée dans cette histoire, si elle jouera un rôle d'arbitrage ou pas", précise Jean-Jacques Kourliandsky. "L'histoire du pays est traversée par des tentatives de coups d'Etat et de crises. Il y a toujours un risque que ça se reproduise."

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