Cet article date de plus de huit ans.
Lech Walesa: ancien agent communiste, américain ou rien de tout cela?
L’ex-président polonais Lech Walesa, leader historique du syndicat Solidarité, est une nouvelle fois accusé d’avoir été un agent de l’ancien régime stalinien. Accusation déjà lancée en 1992 par un proche de Jaroslaw Kaczinsky, chef du parti conservateur PiS, revenu au pouvoir en 1995. Et ennemi de Walesa. De plus, ce dernier et Solidarité auraient été aidés par… la CIA dans les années 80.
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«Dans son dossier personnel, il y a une enveloppe avec un engagement manuscrit à la collaboration, signé Lech Walesa ‘‘Bolek’’. Parmi les documents que contient ce dossier, il y a aussi des reçus d'argent manuscrits, signés du pseudonyme ‘‘Bolek’’», a déclaré le 18 février 2016 Lukasz Kaminski, chef de l'Institut polonais de la mémoire nationale (IPN) qui instruit les crimes nazis et communistes.
En 2000, un tribunal spécial avait pourtant blanchi Lech Walesa de ces accusations. Mais en 2008, l'IPN a publié un livre relançant l'affaire, signé de deux historiens. Selon cet institut, l’ancien responsable du premier syndicat libre du monde communiste avait été enregistré comme agent secret en décembre 1970, puis rayé des registres en juin 1976 pour «manque de volonté de coopérer».
«Je manipulais les services secrets communistes»
Que répond Lech Walesa ? Ce dernier, âgé de 72 ans, a publiquement reconnu avoir signé «un papier» à la police après une interpellation alors qu’il était ouvrier opposant au régime dans les années 70. Mais il a toujours qualifié d’«absurde» toute accusation de collaboration réelle avec la police de la dictature. «Je n'ai jamais touché d'argent ni fait de rapports écrits ou oraux», a-t-il écrit sur son blog. «La vérité, c’est que je manipulais les services secrets communistes bien plus qu’eux ne me manipulaient», a expliqué l’ancien chef de l’Etat au Monde (accès payant).
«Sur moi et mon combat, les services de renseignement communistes avaient près de cent tomes d’actes, qui ont presque tous été détruits. Ce qui est resté, c’est ce qui arrangeait les communistes pour me discréditer», poursuit-il. La relance de l’affaire semble avoir été déclenchée par la veuve du général Czeslaw Kiszczak, dernier chef du gouvernement communiste. Celle-ci souhaitait vendre près de 300 documents puisés dans le dossier de «Bolek» couvrant la période 1970-1976 pour, selon le Daily Mail, payer un monument funéraire à son mari défunt. Et rénover sa maison…
Walesa : «Kaczynski, c’est un malheur»
L'éventuelle collaboration de Lech Walesa reste depuis le début des années 1990 un sujet d'incessants débats politiques en Pologne et l'une des causes de polarisation de la société polonaise entre partisans et adversaires de l’ancien leader syndical. Parmi ses ennemis jurés figure Jaroslaw Kaczynski, chef du parti conservateur Droit et Justice (PiS), actuellement au pouvoir en Pologne, et véritable homme fort de la Pologne.
«Pour gouverner et se maintenir au pouvoir, Jaroslaw Kaczynski a besoin d’un ennemi. C’est pour ça que les gens du PiS fouillent toujours dans le passé, font la chasse aux ‘‘agents’’ communistes. Ils ont besoin de ça pour cimenter leurs bases, et alimentent la ‘‘guerre polono-polonaise’’», commente Walesa dans Le Monde.
Pourrait-on voir dans l’affaire un règlement de compte personnel ?
Jaroslaw Kaczynski et son frère jumeau, Lech Kaczinski, ancien président polonais mort dans un accident d’avion en 2010, connaissent Walesa depuis l’époque de Solidarité. Ils furent par la suite conseillers du premier chef de l’Etat élu démocratiquement en Pologne après guerre.
«La division au sein de Solidarité est douloureusement personnelle, liée en grande partie à la brouille entre Walesa et les frères jumeaux», constate le Guardian. A tel point qu’en 2010, Walesa mettait en garde l’opinion polonaise contre un retour aux affaires de Jaroslaw Kaczynski. «Je vous préviens, Kaczynski, c’est un malheur», lançait-il. Rebelote en février 2016 dans Le Monde à propos du rôle des jumeaux dans Solidarité : «Ils étaient en somme assez marginaux dans le mouvement, cachés par des personnes plus compétentes».
Pour expliquer l’animosité entre les trois hommes, certains évoquent parfois le ressentiment des jumeaux d’avoir été écartés du cercle des proches de leur ancien mentor. Mais au-delà des rancœurs personnelles, la brouille serait plus politique qu’autre chose : «Les frères voulaient détruire les anciens réseaux communistes, alors que Walesa préférait que l’on autorise le passé à rester le passé», rapporte le Spiegel.
Walesa, un agent américain?
Au-delà, les accusations de proximité de l’ancien électricien des chantiers navals de Gdansk avec la dictature communiste ne sont pas les seules. Il a aussi été désigné comme… «un agent des Etats-Unis» dans les années 80. Rumeur ?
«Ce qui est moins sujet à caution (qu’un passé d’agent communiste, NDLR), c’est l’aide secrète que Solidarność (Solidarité), le syndicat anti-gouvernemental polonais fondé en 1980 et dirigé par Lech Walesa, a reçu de la CIA», rapporte le site intelnews.org, notamment animé par l’universitaire Joseph Fitsanakis. Dans un livre écrit en 1996, le secrétaire d’Etat à la Défense, Robert Gates, rapporte que l’agence américaine du renseignement était «très active» en Pologne et a fait parvenir au syndicat «du matériel d’impression et d’autres moyens de communication».
Dans un long papier pour Time, le journaliste Carl Bernstein (qui, dans les années 70, a notamment révélé l’affaire du Watergate avec son confrère Bob Woodward), affirme que le président des Etats-Unis Ronald Reagan et le pape Jean-Paul II, lui-même d’origine polonaise, auraient conclu en juin 1982 une «sainte alliance» «pour hâter la dissolution de l’empire communiste». «L’opération était centrée sur la Pologne, le plus peuplé des pays satellites soviétiques en Europe de l’Est», ajoute Bernstein.
Quel crédit accorder à ces affirmations ? Quoi qu’il en soit, elles ont été corroborées par des auditions au Sénat américain en date du 21 janvier 1999. Et que l’on peut trouver sans difficulté sur un site officiel du gouvernement fédéral. Ce jour-là, intervient notamment Richard Lugar, alors sénateur de l’Indiana, ancien président de la puissante commission des Affaires étrangères et membre du conseil d’administration du National Endowment for Democracy (NED, Fondation nationale pour la démocratie), financée par les autorités américaines.
Le parlementaire explique en toute franchise que le gouvernement fédéral «a alloué (les) fonds» qui «ont conduit à un changement de gouvernement» en Pologne. C’est le NED «qui a pris les décisions», prend-il soin d’ajouter, comme pour dédouaner le gouvernement. Richard Lugar rend hommage au courage de l’ex-syndicaliste. Mais tout cela ne fait pas forcément de Walesa un agent stipendié par la CIA…
En 2000, un tribunal spécial avait pourtant blanchi Lech Walesa de ces accusations. Mais en 2008, l'IPN a publié un livre relançant l'affaire, signé de deux historiens. Selon cet institut, l’ancien responsable du premier syndicat libre du monde communiste avait été enregistré comme agent secret en décembre 1970, puis rayé des registres en juin 1976 pour «manque de volonté de coopérer».
«Je manipulais les services secrets communistes»
Que répond Lech Walesa ? Ce dernier, âgé de 72 ans, a publiquement reconnu avoir signé «un papier» à la police après une interpellation alors qu’il était ouvrier opposant au régime dans les années 70. Mais il a toujours qualifié d’«absurde» toute accusation de collaboration réelle avec la police de la dictature. «Je n'ai jamais touché d'argent ni fait de rapports écrits ou oraux», a-t-il écrit sur son blog. «La vérité, c’est que je manipulais les services secrets communistes bien plus qu’eux ne me manipulaient», a expliqué l’ancien chef de l’Etat au Monde (accès payant).
«Sur moi et mon combat, les services de renseignement communistes avaient près de cent tomes d’actes, qui ont presque tous été détruits. Ce qui est resté, c’est ce qui arrangeait les communistes pour me discréditer», poursuit-il. La relance de l’affaire semble avoir été déclenchée par la veuve du général Czeslaw Kiszczak, dernier chef du gouvernement communiste. Celle-ci souhaitait vendre près de 300 documents puisés dans le dossier de «Bolek» couvrant la période 1970-1976 pour, selon le Daily Mail, payer un monument funéraire à son mari défunt. Et rénover sa maison…
Walesa : «Kaczynski, c’est un malheur»
L'éventuelle collaboration de Lech Walesa reste depuis le début des années 1990 un sujet d'incessants débats politiques en Pologne et l'une des causes de polarisation de la société polonaise entre partisans et adversaires de l’ancien leader syndical. Parmi ses ennemis jurés figure Jaroslaw Kaczynski, chef du parti conservateur Droit et Justice (PiS), actuellement au pouvoir en Pologne, et véritable homme fort de la Pologne.
«Pour gouverner et se maintenir au pouvoir, Jaroslaw Kaczynski a besoin d’un ennemi. C’est pour ça que les gens du PiS fouillent toujours dans le passé, font la chasse aux ‘‘agents’’ communistes. Ils ont besoin de ça pour cimenter leurs bases, et alimentent la ‘‘guerre polono-polonaise’’», commente Walesa dans Le Monde.
Pourrait-on voir dans l’affaire un règlement de compte personnel ?
Jaroslaw Kaczynski et son frère jumeau, Lech Kaczinski, ancien président polonais mort dans un accident d’avion en 2010, connaissent Walesa depuis l’époque de Solidarité. Ils furent par la suite conseillers du premier chef de l’Etat élu démocratiquement en Pologne après guerre.
«La division au sein de Solidarité est douloureusement personnelle, liée en grande partie à la brouille entre Walesa et les frères jumeaux», constate le Guardian. A tel point qu’en 2010, Walesa mettait en garde l’opinion polonaise contre un retour aux affaires de Jaroslaw Kaczynski. «Je vous préviens, Kaczynski, c’est un malheur», lançait-il. Rebelote en février 2016 dans Le Monde à propos du rôle des jumeaux dans Solidarité : «Ils étaient en somme assez marginaux dans le mouvement, cachés par des personnes plus compétentes».
Pour expliquer l’animosité entre les trois hommes, certains évoquent parfois le ressentiment des jumeaux d’avoir été écartés du cercle des proches de leur ancien mentor. Mais au-delà des rancœurs personnelles, la brouille serait plus politique qu’autre chose : «Les frères voulaient détruire les anciens réseaux communistes, alors que Walesa préférait que l’on autorise le passé à rester le passé», rapporte le Spiegel.
Walesa, un agent américain?
Au-delà, les accusations de proximité de l’ancien électricien des chantiers navals de Gdansk avec la dictature communiste ne sont pas les seules. Il a aussi été désigné comme… «un agent des Etats-Unis» dans les années 80. Rumeur ?
«Ce qui est moins sujet à caution (qu’un passé d’agent communiste, NDLR), c’est l’aide secrète que Solidarność (Solidarité), le syndicat anti-gouvernemental polonais fondé en 1980 et dirigé par Lech Walesa, a reçu de la CIA», rapporte le site intelnews.org, notamment animé par l’universitaire Joseph Fitsanakis. Dans un livre écrit en 1996, le secrétaire d’Etat à la Défense, Robert Gates, rapporte que l’agence américaine du renseignement était «très active» en Pologne et a fait parvenir au syndicat «du matériel d’impression et d’autres moyens de communication».
Dans un long papier pour Time, le journaliste Carl Bernstein (qui, dans les années 70, a notamment révélé l’affaire du Watergate avec son confrère Bob Woodward), affirme que le président des Etats-Unis Ronald Reagan et le pape Jean-Paul II, lui-même d’origine polonaise, auraient conclu en juin 1982 une «sainte alliance» «pour hâter la dissolution de l’empire communiste». «L’opération était centrée sur la Pologne, le plus peuplé des pays satellites soviétiques en Europe de l’Est», ajoute Bernstein.
Quel crédit accorder à ces affirmations ? Quoi qu’il en soit, elles ont été corroborées par des auditions au Sénat américain en date du 21 janvier 1999. Et que l’on peut trouver sans difficulté sur un site officiel du gouvernement fédéral. Ce jour-là, intervient notamment Richard Lugar, alors sénateur de l’Indiana, ancien président de la puissante commission des Affaires étrangères et membre du conseil d’administration du National Endowment for Democracy (NED, Fondation nationale pour la démocratie), financée par les autorités américaines.
Le parlementaire explique en toute franchise que le gouvernement fédéral «a alloué (les) fonds» qui «ont conduit à un changement de gouvernement» en Pologne. C’est le NED «qui a pris les décisions», prend-il soin d’ajouter, comme pour dédouaner le gouvernement. Richard Lugar rend hommage au courage de l’ex-syndicaliste. Mais tout cela ne fait pas forcément de Walesa un agent stipendié par la CIA…
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