Comment Hollywood a étouffé le scandale sexuel impliquant Harvey Weinstein pendant des années
Selon plusieurs témoins, les agissements du célèbre producteur de cinéma avec les actrices étaient connus depuis des décennies. Mais il a fallu attendre la publication de deux articles pour que le scandale éclate.
C'était l'un des secrets les mieux gardés d'Hollywood, disent certains. Le comportement "inapproprié" du producteur Harvey Weinstein, aujourd'hui accusé de "viols" et d'"agressions sexuelles" par de nombreuses actrices, était en réalité un secret de Polichinelle dans le petit monde du cinéma. Le fondateur de la société Miramax puis de la Weinstein Company est parvenu à maintenir une omerta sur ses agissements pendant des décennies.
Après la parution des enquêtes du New York Times* et du New Yorker*, début octobre, la chasse aux "enablers", ces "facilitateurs" qui n'ont rien dit pendant tout ce temps, a commencé. Voici comment Hollywood a étouffé le scandale jusqu'à ce que la presse s'en empare vraiment.
Au sein du groupe Miramax et de la Weinstein Company
C'est avec son frère Robert qu'Harvey Weinstein fonde en 1979 la société Miramax Films, célèbre dans les années 1980 et 1990 pour ses films indépendants, comme ceux de Steven Soderbergh ou Quentin Tarantino. Après le rachat de Miramax par Walt Disney en 2003, il crée deux ans plus tard, toujours avec son frère, la Weinstein Company. Malgré ce changement de cap, Harvey Weinstein a toujours été entouré par une garde rapprochée. Selon le New Yorker, c'est d'abord lui-même, assisté de ses avocats et de son équipe de relations publiques, qui a fait en sorte, depuis des décennies, que rien ne soit rendu public sur les cas de harcèlement, d'agressions ou de viols présumés.
L'auteur de l'article du New Yorker assure que le producteur aurait même eu le culot de demander à l'actrice Asia Argento, ces derniers mois, de produire un témoignage en sa faveur. L'actrice affirme pourtant avoir été violée par l'intéressé dans une chambre d'hôtel.
La stratégie d'Harvey Weinstein et de ses conseils a majoritairement consisté à acheter le silence de ses victimes présumées. Selon le New York Times*, huit d'entre elles ont accepté un règlement financier confidentiel. La dernière en date est une jeune mannequin, Ambra Battilana, en 2015.
Au-delà de son premier cercle, Harvey Weinstein avait aussi mis en place un système complexe reposant sur la coopération de ses anciens et actuels collaborateurs ou employés. Selon le quotidien américain, les assistants organisaient souvent les rendez-vous avec les actrices, arrangeaient les chambres d'hôtel, les accompagnaient parfois sur place, puis disparaissaient. Plusieurs témoins ont raconté comment certains des cadres et assistants du producteur avaient par la suite trouvé des agents et des rôles à des actrices "contrariées" par ce qu'elles avaient vécu dans la chambre.
Une note de 2015 d'un ancien dirigeant de la Weinstein Company, divulguée par le New York Times, atteste que ces pratiques se sont poursuivies jusqu'à très récemment. C'est pourquoi l'actrice Rose McGowan, qui a signé un accord financier en 1997 avec Harvey Weinstein après un épisode dans une chambre d'hôtel dont elle ne peut dévoiler le contenu, appelle à la dissolution de la Weinstein Company et à la démission générale de ses cadres.
Bob Weinstein, Lance Maerov, Richard Koenigsberg and Tarak Ben Ammar, David Glasser: you knew. you funded. you are guilty. #resign
— rose mcgowan (@rosemcgowan) 9 octobre 2017
Parmi les actrices et les acteurs
Le comportement d'Harvey Weinstein était de notoriété publique dans le milieu des comédiens. Il a même occasionné quelques blagues, lancées ouvertement et sous les rires de l'assistance. Comme le rappellent le Daily Mail* et Reddit*, dans un épisode de la saison 6 de la série 30 Rock, l'actrice Jane Krakowski plaisante sur le fait d'avoir réussi à échapper aux assauts du magnat hollywoodien : "Je ne crains personne dans le show business. J'ai refusé de coucher avec Harvey Weinstein à au moins trois reprises."
En 2013, quand le comédien Seth MacFarlane annonce les nominations des actrices aux Oscars, il glisse : "Félicitations, cinq femmes ne doivent plus faire semblant d'être attirées par Harvey Weinstein."
Plusieurs actrices ont expliqué, a posteriori, pourquoi elles n'avaient pas parlé à l'époque, étant pour la plupart très jeunes et au début de leur carrière. C'est le cas de Katherine Kendall, qui est apparue dans le film The Swingers, distribué en 1996 par Miramax. Après une rencontre dans une suite d'hôtel avec Harvey Weinstein, où elle affirme qu'il l'a pourchassée nu dans le salon, elle a raisonné ainsi : "Si je parle, je ne travaillerai plus jamais et personne ne s'en souciera ni ne me croira."
Gwyneth Paltrow a eu la même crainte après avoir refusé les avances d'Harvey Weinstein, qui distribuait le film Emma, l'entremetteuse dans lequel elle jouait le rôle titre. Elle s'est tout de même confiée à son compagnon de l'époque, Brad Pitt, dont les remontrances auprès du producteur ont visiblement suffi à étouffer l'affaire.
Mais l'information a continué à circuler sous le manteau. Angelina Jolie affirme avoir prévenu les actrices qui s'apprêtaient à travailler avec Harvey Weinstein après avoir eu une "mauvaise expérience" avec lui. Sur Twitter, Jessica Chastain dit aussi avoir été avertie "depuis le début".
I was warned from the beginning. The stories were everywhere. To deny that is to create an enviornment for it to happen again.
— Jessica Chastain (@jes_chastain) 9 octobre 2017
Du côté des acteurs, le malaise est palpable parmi ceux qui ont travaillé avec Harvey Weinstein. Le quotidien britannique The Guardian* a tenté de contacter, en vain, plus de vingt personnalités concernées, dont Ben Affleck, Ewan McGregor, Russell Crowe, Matt Damon, Colin Firth ou encore Quentin Tarantino... Aucun n'a répondu.
Ben Affleck s'est tout de même fendu d'un communiqué sur Twitter pour faire part de sa "tristesse" et sa "colère" après avoir découvert les accusations visant le producteur. Une réaction qui a aussitôt fait bondir les actrices Rose McGowan et Jessica Chastain. Elles l'interpellent sur le réseau social, suggérant qu'il savait ce qui se tramait.
You want to play let's play #ROSEARMY pic.twitter.com/uqd26Z78gc
— rose mcgowan (@rosemcgowan) 10 octobre 2017
THIS. https://t.co/V0GsX0KD4I
— Jessica Chastain (@jes_chastain) 10 octobre 2017
Dans le milieu des médias
"M. Weinstein avait ses propres facilitateurs. Il a construit son empire sur une pile de coupures de presse positives qui, avant l'ère d'Internet, aurait pu atteindre la Lune", écrit un éditorialiste dans le New York Times*, pour justifier le silence des médias sur ce personnage sulfureux. "La véritable histoire n'a pas fait surface jusqu'à présent parce que trop de gens, dans les industries des médias et du divertissement, ont eu trop de choses à gagner d'Harvey Weinstein pendant trop longtemps. Au cours d'une période de plus de trente ans, il a eu le pouvoir de fabriquer des stars, lancer des carrières (...). Et il l'a fait avec des films de qualité qui ont remporté des statuettes et fait beaucoup d'argent pour beaucoup de monde", poursuit-il.
Dans cet article, la rédactrice en chef du Hollywood Reporter évoque sa tentative de sortir l'affaire pendant des années. Kim Masters dit s'être heurtée à la peur. "A la dernière minute, la source s'est retirée", affirme-t-elle. Une autre journaliste témoigne avoir été elle-même été victime d'Harvey Weinstein il y a une dizaine d'années. Selon Lauren Sivan, qui travaillait à l'époque pour une chaîne câblée locale à New York, le producteur l'a coincée dans le couloir d'un restaurant et s'est masturbé devant elle. Elle n'a rien dit, craignant le pouvoir exercé par Weinstein dans les médias.
Un grand titre de la presse américaine a failli révéler au grand jour ce que tout le monde savait. Celui-là même par qui le scandale est arrivé en octobre 2017 : le New York Times. Sharon Waxman, journaliste et fondatrice du site TheWrap.com, explique avoir mené une enquête en 2004* pour le quotidien afin d'étayer des soupçons à l'encontre du producteur. Elle est partie en Europe, où le producteur était censé sévir à l'occasion de soirées arrosées. Elle y a notamment rencontré le responsable de Miramax Italy à l'époque, Fabrizio Lombardo. Selon elle, c'est lui qui organisait les fêtes et se chargeait de trouver des "escorts" pour Harvey Weinstein. C'est par son biais que l'actrice italienne Asia Argento s'est retrouvée dans une chambre d'hôtel, comme elle le rapporte sur Twitter. C'était en 1997, elle était âgée de 21 ans et s'est retrouvée seule avec le producteur.
Fabrizio Lombardo brought me to Weinstein's room when I was 21 in '97. He told me it was a Miramax party. Only Harvey was there.
— Asia Argento (@AsiaArgento) 11 octobre 2017
Sharon Waxman a aussi rencontré à Londres une femme payée après une relation sexuelle non désirée et en a ramené la preuve à son journal. Malgré tout, l'article a été passé à la trappe. En cause, selon la reporter ? D'intenses pressions d'Harvey Weinstein, un annonceur de poids pour le New York Times, et un coup de fil de Matt Damon et Russell Crowe pour prendre la défense de Fabrizio Lombardo.
Matt Damon s'est défendu auprès du site Deadline.com*, assurant n'avoir jamais su de quoi il retournait et avoir simplement rendu service à Harvey Weinstein et Fabrizio Lombardo, qu'il ne connaissait que sur un plan professionnel. Le New York Times a pour sa part démenti avoir cédé à une quelconque pression financière. Selon un responsable du quotidien, la journaliste n'avait, à l'époque, pas assez d'éléments pour porter de telles accusations.
C'est le même argument qui a été avancé par la chaîne NBC, pour laquelle travaillait initialement Ronan Farrow, le fils de Woody Allen et Mia Farrow, avant de poursuivre son enquête pour le New Yorker. Selon Noah Oppenheim, le président de la chaîne, NBC a renoncé à publier le travail du journaliste cet été, "faute d'éléments suffisants". "L'idée que nous puissions essayer de couvrir une personnalité puissante est profondément offensante pour nous tous", a-t-il ajouté, selon le New York Times.
Au terme d'une enquête de plusieurs mois, deux journaux ont finalement brisé l'omerta. Et provoqué l'éviction de celui que Meryl Streep avait rebaptisé "Dieu".
*Tous les liens de cet article sont écrits en anglais
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