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Syrie: sous la trêve de Poutine, Assad poursuit l’extermination d’opposants

Avant la reprise des pourparlers de Genève et en plein processus d’Astana, parrainé par la Russie, Vladimir Poutine continue de miser sur Bachar al-Assad pour réaliser ses ambitions en Syrie. Un protégé encombrant, accusé une nouvelle fois d’extermination de civils. Selon Amnesty international,13.000 personnes ont été exécutées «dans le secret le plus total» à la prison de Saidnaya, près de Damas.
Article rédigé par Alain Chémali
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 4 min
Vue aérienne de la prison syrienne de Saidnaya, à une trentaine de kilomètres au nord de Damas. (Capture d'écran de Googlemaps/DR)

Au lendemain d’une réunion d’experts russes, iraniens, turcs et des Nations Unies à Astana, au Kazakhstan, pour discuter de la mise en œuvre du cessez-le-feu en Syrie, et à quelques jours de la reprise des pourparlers de Genève, en principe le 20 février, une nouvelle et terrible accusation vient accabler le régime de Bachar al-Assad.
 
«La prison de Saidnaya, un abattoir humain en Syrie»
Dans un nouveau rapport, rendu public le 7 février 2017, Amnesty international révèle que «la prison militaire de Saidnaya est un abattoir humain en Syrie».
 
Sur la base d’entretiens directs avec 84 personnes, anciens responsables ou gardiens de cette prison, anciens détenus, juges et avocats, experts nationaux et internationaux de la détention en Syrie, l’organisation de défense des droits de l’Homme rapporte que 13.000 personnes, en majorité des civils, ont été exécutées à Saidnaya entre septembre 2011 et décembre 2015 «au cours d’horribles pendaisons de masse.»
 
Selon ce rapport, les détenus victimes d’exécutions extrajudiciaires font d’abord l’objet d’un «procès» devant un tribunal militaire opérationnel. «Les détenus y passent très peu de temps, une ou deux minutes seulement, avant d'être emmenés. Le juge demande le nom du prisonnier et s'il a commis le crime concerné. Qu'il réponde oui ou non, il sera déclaré coupable», témoigne un ancien juge.
 
Les détenus qui sont condamnés à mort ne le savent qu’une fois devant la potence. Les gardiens viennent les chercher dans leur cellule et leur disent qu’ils vont être transférés dans une prison civile. En réalité, ils sont emmenés dans une cellule au sous-sol du bâtiment où ils vont être passés à tabac toute la nuit.
 
Les bourreaux peuvent pendre jusqu'à 50 détenus en une nuit
«Ils n'ont pas le droit de s'asseoir. C'est là qu'on commencer à leur crier dessus... On commence à les rouer de coups... On sait déjà qu’ils vont mourir de toute façon, donc on peut leur faire ce que l'on veut», raconte un ancien gardien.
 
Quand ils pénètrent dans la salle d’exécution, les détenus ont les yeux bandés, on leur demande d’exprimer un dernier souhait et on leur fait apposer leur empreinte digitale sur un document attestant leur mort. 
 
Selon un ancien juge du tribunal militaire, «ils les laissent (se balancer) là pendant 10 à 15 minutes. Certains ne meurent pas parce qu'ils sont trop légers. Surtout les jeunes, car leur poids ne suffit pas pour les tuer. Des assistants les détachent alors et leur brisent la nuque.»
 
Les bourreaux peuvent pendre jusqu’à 50 personnes en une nuit. Les corps sont emportés dans des camions et enterrés secrètement dans des fosses communes.
 
Une politique d'extermination systématique de toute velléité d'opposition
Les rares détenus qui survivent à Saidnaya racontent un monde effroyable à l’intérieur de la prison. Privés régulièrement de nourriture et d’eau les détenus ne sont autorisés ni à parler ni à chuchoter. Nombre de prisonniers déclarent avoir été violés ou contraints de violer d’autres détenus. Torture et coups leur sont régulièrement infligés entraînant des lésions durables, des handicaps ou la mort. Le sol des cellules est d’ailleurs couvert de sang et de pus suintant des blessures des prisonniers.
 
Amnesty précise que le but de ces pratiques, approuvées au plus haut niveau de l’Etat et qui «s’apparentent à des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité», est d’écraser toute velléité de dissidence ou de contestation au sein de la population.
 
Concluant à une véritable politique d’extermination, l’ONG insiste sur le fait que ces 13.000 morts de Saidnaya ne font pas partie du chiffre de 17.000 tués dans les prisons syriennes publié dans son précédent rapport d’août 2016.

Le président syrien, Bachar al-Assad, reçu au Kremlin par le président russe, Vladimir Poutine, le 21 octobre 2015 à Moscou. (Pool/Kremlin Press Office/Anadolu Agency )

Les pratiques d'un régime sur lequel mise Poutine pour réaliser ses ambitions 
Ces révélations interviennent au moment ou Moscou s’active avec l’Iran et la Turquie à créer un mécanisme de supervision du très hypothétique accord de cessez-le-feu conclu fin décembre sous sa supervision.
 
Parrain des pourparlers d’Astana, Vladimir Poutine continue de miser sur Bachar al-Assad et ses pratiques pour conserver, après la défection de l'administration Obama, le monopole des négociations sur la Syrie.
 
Analysant dans Orient XXI le jeu de la Russie en Syrie après la chute d’Alep et le «nettoyage» en cours dans les faubourgs de Damas, le politologue Joseph Bahout estime que l’objectif du président russe est de faire avaliser par la nouvelle administration américanie son grand plan pour la Syrie.
 
Pour Joseph Bahout, si les efforts de Moscou à Astana et Genève obtenaient le feu vert de Donald Trump, Vladimir Poutine aura réussi à «poser un couvercle sur la révolution syrienne, mettre temporairement de côté la question de l’avenir d’Assad, et faire valider par la communauté internationale la situation militaire et politique créée sur le terrain par la Russie.»

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