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Quels débriefings pour les anciens otages français en Syrie?

Comme tous les otages après leur libération, les quatre journalistes libérés le 19 avril 2014, Didier François, Edouard Elias, Nicolas Hénin et Pierre Torrès, vont être débriefés en un lieu discret par la DGSE. Une opération indispensable, après les examens médicaux et psychologiques à l’hôpital militaire du Val-de-Grâce à Paris.
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Les quatre anciens otages français (de gauche à droite), Edouard Elias, Didier François, Nicolas Hénin (avec ses deux enfants), Pierre Torrès, à leur arrivée sur la base aérienne de Villacoublay le 20 avril 2014. Les journalistes sont entourés du président François Hollande (à gauche) et du ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius (à droite).   (AFP - Anadolu Agency)

Ces débriefings (rapports de mission) ou «retex» (retour d'expérience), menés par des officiers de la direction générale de la Sécurité extérieure (DGSE), sont essentiels : ils aident les analystes des services de renseignement français à recouper leurs informations sur le groupe qui a détenu pendant dix mois les quatre otages. Pour autant, ils ne peuvent avoir lieu que si un médecin de la la DGSE les autorise.
 
L’opération se déroule généralement en deux étapes, suivant des procédures bien rodées. La première a lieu dès le retour de l'otage à la liberté. En l’occurrence, pour les quatre journalistes, cette première phase s’est déroulée lors du vol de retour, entre la Turquie et la base militaire d'Evreux, dans le C-130 Hercules de la DGSE qui les ramenait en France.

«On essaie d'obtenir de premières informations en mobilisant immédiatement (la) mémoire (des otages) à très court terme avant qu'ils ne retrouvent leurs familles», expliquait en octobre 2013 au Nouvel Observateur Eric Denécé, spécialiste du renseignement (et ancien officier-analyste au Secrétariat général de la Défense nationale). On s'appuie ainsi sur leurs souvenirs et émotions immédiats avant que certains faits ne s'estompent totalement. Encore faut-il «qu'ils aient des choses à donner, car il n'est pas facile d'essayer de tirer des bribes d'informations à des otages tout juste libérés. Ils sont à la fois hébétés et surexcités, ils rencontrent les ministres, les médias, ils revoient leurs proches…», poursuit Eric Denécé.

Ceux qui mènent les entretiens tentent donc d’en savoir un peu plus sur leur libération : comment elle s’est passée, où ils se trouvaient… «L’audition à chaud permet d’obtenir les souvenirs les moins pollués car, ensuite, une reconstruction s’opère forcément» dans les esprits des ex-captifs, précise dans Le Parisien Alain Chouet, ancien de la DGSE.

Climat apaisé et détendu
La seconde phase a lieu dans les semaines qui suivent le retour en France, dans un lieu calme et discret, après que les otages ont retrouvé leurs proches, notamment à la base militaire de Cercottes dans le Loiret. Un lieu où «les familles sont les bienvenues», précise Le Parisien. Les agents de la DGSE attendent que les ex-otages soient reposés, «qu'ils aient retrouvé une forme de stabilité psychologique pour les interroger de manière plus longue et plus systématique sur leur période de détention», observe le spécialiste interviewé par Le Nouvel Observateur.

L'ancien otage Nicolas Hénin, avec sa fille et d'autres membres de sa famille, après son arrivée sur la base aérienne de Villacoublay le 20 avril 2014. (Reuters - Philippe Wojazer)

Pour autant, les entretiens se déroulent assez rapidement après la libération «pour ne pas raviver deux ou trois mois plus tard de très mauvais souvenirs», précise Frédéric Gallois, ancien commandant du Groupe d'intervention de la gendarmerie nationale (GIGN) qui a connu plusieurs dossiers d'otages. Ils peuvent s’étaler sur plusieurs jours. Chacune des discussions «peut durer facilement deux ou trois heures», raconte dans Le Figaro Georges Malbrunot, journaliste du quotidien enlevé en Irak en août 2004 avec son confrère Christian Chesnot (les deux hommes ont été libérés le 21 décembre 2004).

Les agents qui mènent ces entretiens sont des professionnels du genre. Ils doivent ainsi tout faire pour que les discussions se déroulent dans un climat apaisé et détendu. Il s’agit d’éviter que les ex-otages se sentent en situation d’interrogatoire. Ils doivent aussi tenir compte d’éventuelles difficultés psychologiques chez ces derniers : notamment qu’ils développent une forme de refoulement de souvenirs pénibles. Mais «des méthodes provenant des sciences cognitives et de la programmation neurolinguistique permettent de faire ressortir les informations», souligne Eric Denécé.   

Les membres des services de renseignement vont demander aux anciens otages un maximum de détails : conditions et lieux de détention, calendrier de la captivité, changements de lieu de détention, armements et véhicules. Ils cherchent aussi à connaître les relations des ravisseurs, leur comportement, d’éventuelles dissensions entre eux, leurs doutes. Les spécialistes de la DGSE vont également présenter aux anciens captifs des photos de djihadistes pour identification, les interroger sur les langues utilisées par les ravisseurs. Il s’agit notamment de savoir s’ils parlent français.

«Penser aux futurs prises d’otages»
Le moindre détail, a priori sans intérêt pour les ex-otages, peut aider les agents à parfaire leur connaissance des milieux rebelles en Syrie. Ces informations seront ensuite comparées avec des éléments recueillis par d'autres sources ou lors d'échanges bilatéraux avec des services de pays alliés. Les débriefings permettent à la DGSE de reconstituer les modes opératoires des ravisseurs et de faire également un «retex» sur les différents intermédiaires qui ont été contactés.

Une fois ces entretiens terminés, les otages libérés sont-ils soumis à des consignes particulières ? Lors de leur libération, les services spéciaux avaient demandé à Georges Malbrunot et Christian Chesnot de suivre «deux consignes, les deux seules» qu’ils «nous aient conseillé d'observer: ‘‘N'insultez pas vos ravisseurs devant la presse et ne dites pas où vous avez été détenu’’», rapporte Georges Malbrunot. «Il faut penser aux futures prises d'otages», avait précisé aux deux journalistes le directeur du renseignement de la DGSE de l'époque. Il avait «le nez creux», précise le collaborateur du Figaro. Car deux semaines après, le 5 janvier 2005, sa consœur Florence Aubenas était, à son tour, prise en otage…

L'ancien otage Didier François à son arrivée sur la base aérienne de Villacoublay le 20 avril 2014. (AFP - Mustafa Yalcin - Anadolu Agency)

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