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Ancien détenu syrien, Yassin Al Haj Saleh appelle à une révolution culturelle

Invité pour la première fois à l’Institut du Monde Arabe à Paris, l’ancien détenu syrien Yassin Al Haj Saleh a présenté devant une salle bondée et captivée «Récits d’une Syrie oubliée», la version française de son recueil d’essai-mémoires sur sa détention et les leçons qu’il a pu en tirer. Un ouvrage incontournable pour qui cherche à comprendre comment la Syrie en est arrivée là.
Article rédigé par Alain Chémali
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 2 min
Yassin Al Haj Saleh (au centre) présente son livre «Récits d'une Syrie oubliée» à l'Institut du Monde Arabe, le 2 avril 2015. (Alain Chemali/FTV)

Pour avoir passé seize ans et quatorze jours en prison, dont une année dans l’enfer de celle de Palmyre, «la honte indélébile de la Syrie», comme il l’appelle, Yassin Al Haj Saleh s’est métamorphosé en opposant naturel, historique et organique au régime des Assad père et fils.

C’est à l’âge de vingt ans, étudiant en troisième année de médecine, qu’il est arrêté, à l’aube d’un jour de décembre 1980, pour appartenance au Parti Communiste-Bureau politique. Un parti non-aligné sur l’orthodoxie moscovite. Libéré en décembre 1996, il reprend ses études jusqu’en 2000, mais surtout il devient un écrivain, une sorte de médecin de l’âme syrienne. Il replonge dans la clandestinité à la faveur de la révolte de 2011, à Damas, puis dans la Ghouta en rébellion et enfin à Raqqa, sa ville d’origine, avant de se réfugier en Turquie où il fonde une association culturelle avec de jeunes Turcs pour poursuivre un combat qu’il veut désormais résolument culturel.

Résister de l'intérieur de la prison
«Pour résumer l’idée principale de ce livre, je dirais que c’est la force de la liberté, même au cœur de la prison, qui permet de faire échec à l’objectif du régime de nous maintenir dans l’oubli.» Yassin a tenu le coup grâce à la règle «considère ta prison comme si tu devais y rester à jamais, et ta liberté comme si tu allais la retrouver demain!» Aujourd’hui, il refuse d’endosser le statut de victime et considère son passage en prison, même s’il n’y a connu qu’une torture «d’intensité moyenne», comme une expérience exceptionnelle de résistance. «Il faut résister de l’intérieur des prisons, dit-il, pour empêcher le régime de nous briser comme du bois. Il s’agit de transformer l’absence de liberté en espoir et d’user de l’écriture comme un défi pour contredire le récit officiel qui confisque celui des syriens.»

Plus jamais ça
Converti à l’écriture «grâce» à la prison, il se bat désormais pour que les milliers de Syriens qui ont été plongés ou qui se trouvent toujours «dans le ventre du monstre» puissent raconter chacun son histoire pour en sortir et en guérir. Pour que «cela ne se reproduise jamais».

Pour lui, le peuple syrien est occulté en ce moment par deux négations, «celle du discours géostratégique qui ne s’attache qu’aux dirigeants : Assad, Nasrallah, Obama, Khamenei ou Poutine, et celle le réduisant à des communautés, sunnites, alaouites chiites ou chrétiens, excluant toute perspective sociale ou individuelle.»

Reconstruire l'homme syrien
Pour lutter contre l’oubli, Yassin affirme qu’il ne faut pas démolir la prison de Palmyre. «Nous devons en faire un musée de la torture où l’on érigera un monument en hommage aux victimes, écrit-il, un monument de la repentance.» La Syrie doit tourner les pages d’Assad et de Daech en même temps et pour cela il prône «une révolution culturelle, une bataille contre les absolus politiques et religieux» pour reconstruire l’homme syrien.

Une proposition qui, pour l’heure, a du mal à se faire entendre tant le fracas des armes reste dominant.

«Récits d'une Syrie oubliée. Sortir la mémoire des prisons», par Yassin Al Haj Saleh (éditions les Prairies ordinaires)

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