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Après les caricatures sur le crash , la Russie n'est plus du tout «Charlie"

La Russie n'était déjà pas trop «Charlie» après les attentats contre la rédaction de l'hebdomadaire satirique français en janvier 2015. Après les caricatures sur le crash de l'avion russe dans le Sinaï, qui a fait 224 victimes, de nombreux médias et internautes russes réagissent avec virulence.
Article rédigé par Miriam Palisson
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 4 min
Des caricatures qui passent mal en Russie... (Twitter/Charlie Hebdo)

Des débris d’avion et des corps pleuvant sur la tête d’un terroriste, et la légende «Daech : l’aviation russe intensifie ses bombardements» ; un crâne sur fond de carcasse fumante en train de se dire «J’aurais dû prendre Air Cocaïne», titré «Les dangers du low cost russe». Ces deux caricatures publiées dans le numéro du 3 novembre de Charlie Hebdo passent très mal en Russie. Après le crash de l'Airbus russe au-dessus du Sinaï le 31 octobre dernier, le pays a proclamé un deuil national en hommage aux 224 victimes (presque toutes russes) de la catastrophe et de nombreux Russes, officiels ou non, sont scandalisés.

Officiels et médias scandalisés
Le Kremlin, par la voix de son porte-parole, juge ces dessins «inacceptables». «Dans notre pays, il y a un mot pour nommer cela : blasphème. Cela n’a aucun rapport ni avec la démocratie, ni avec l’expression de soi, ni avec rien. C’est du blasphème», a déclaré Dmitri Peskov. 

L'ambassade de Russie en France se dit «profondément indignée» par ces «ignobles caricatures». Le Sénat russe demande des explications au ministère français de la Culture. Le président de la Commission des affaires internationales du parlement russe, Alexeï Pouchkov, se demande sur Twitter (en russe) «s'il y a une limite à la russophobie des médias occidentaux» et juge qu'«après les publications du journal sur ceux qui sont morts dans le ciel au-dessus du Sinaï, seul un salaud peut encore soutenir le slogan "Je suis Charlie"».

«Quelqu'un est-il encore "Charlie" ?» La représentante du ministère russe des Affaires étrangères Maria Zakharova pose la question sur sa page VKontakte. En tout cas, pas le réalisateur serbe Emir Kusturica, qui a jugé à l'antenne de la chaîne télévisée russe REN-TV que ces dessins étaient «une provocation manifeste». Son intervention a été relayée dans les médias francophones pro-Kremlin, Sputniknews et RT (Russia Today). Les deux sites ont mis en ligne une série d'articles sur ces Français qui se désolidarisent de l'hebdomadaire et «disent non à l'inhumanité sous couvert de liberté»

Les internautes très remontés
Sputniknews, déjà révolté par les caricatures de Charlie Hebdo sur le crash du MH370 malaysien ou sur la découverte du corps du petit Aylan,  publie un sondage express :


Samedi 7 novembre, Charlie Hebdo ou sa version cyrillique чарли хебдо étaient en tête des tendances Twitter. Le hashtag #ЯНеШарли («Je ne suis pas Charlie») s'est propagé sur Twitter et VKontakte, le Facebook russe. «La soif du gain indifférente à la douleur d'autrui et à la tragédie mérite le plus sévère des châtiments», tweete ainsi une certaine Svetka za Putina («Svetka pour Poutine»)


Certains internautes affichent sur Twitter leur soutien à Ramzan Kadyrov, le président tchétchène, qui demande carrément aux autorités françaises de fermer le journal«Ces créatures sont des ordures qui n'ont pas le droit d'exister parmi les humains», a-t-il déclaré au sujet des caricaturistes. On se souvient qu'il avait organisé le 19 janvier 2015 une manifestation monstre à Grozny après la couverture «Tout est pardonné» représentant le prophète Mahomet, suite aux attentats de janvier 2015 contre la rédaction de l'hebdomadaire satirique. 


Le retour de la polémique de janvier 2015 
Outrée par ces nouvelles caricatures, la toile russe conspue les «libéraux» qui avaient soutenu Charlie Hebdo en janvier 2015. Certains en profitent pour lancer une campagne contre la radio d'opposition «Echo de Moscou», coupable d'avoir posé en tee-shirt «Je suis Charlie» après les attentats de janvier en France, dans une Russie plutôt hostile. «Vous seriez pour que la station "Echo de Moscou" cesse d'émettre ? Oui - RT», tweete cet internaute.

 
Les médias d'opposition étaient parmi les rares soutiens russes à Charlie Hebdo après les attentats de janvier. Dans un paysage médiatique très anti-«Charlie», la radio «Echo de Moscou», le journal Novaïa Gazeta ou la télé indépendante Dojd'/ TV Rain détonaient largement. Ce 7 novembre, face aux nombreux usagers de Twitter qui lui demandent «s'il est toujours "Charlie"», le rédacteur en chef de l'«Echo de Moscou», Alexeï Venediktov, répond «aujourd'hui, non ; mais quand ils ont été tués, oui». En réponse à un sondage sur Twitter de TVDojd' demandant «La Russie doit-elle quitter la Syrie après le crash de l'A321 ?», cet internaute retourne la question ainsi : «TV Dojd' doit-elle quitter la Russie après "JeSuisCharlie" ?»

Sur le site de TV Dojd', le journaliste d'opposition Oleg Kachine signe une tribune assez critique envers ces «officiels et organes de presse (qui) expriment leur vindicte contre les caricaturistes français». Si les frères Kouachi n'avaient pas décimé la rédaction de Charlie Hebdo en janvier, il se trouverait sûrement de nombreux patriotes aujourd'hui en Russie pour prendre une mitraillette et en finir avec les blasphémateurs français», estime-t-il. «Le blasphème», pour Oleg Kachine, «c'est cette Russie encapuchonnée dans un foulard qui fait les gros yeux.» 

Un hashtag «concurrent» de «Je suis Charlie», «Je suis Donbass», en soutien aux séparatistes de l'est de l'Ukraine, a fait sa réapparition sur Twitter.


Quelqu'un est-il encore «Charlie» en Russie ? Le journaliste Kirill Martynov, un collaborateur de la Novaïa Gazeta, explique dans un autre média d'opposition, Slon, pourquoi, au nom de la liberté d'expression, il est «encore "Charlie"», et note qu'au moins, avec cette affaire, les Russes ressentent une certaine empathie envers les musulmans...

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