Cet article date de plus d'onze ans.
Pierre Monégier sur Mittal et les patrons indiens
Le correspondant de France 2 en Inde explique pourquoi Lakshmi Mittal n’a pas été soutenu par ses compatriotes dans l’affaire Florange. Les Indiens préfèrent au patron d’ArcelorMittal des capitaines d’industrie flamboyants qui les font rêver.
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Quelle image Lakshmi Mittal a-t-il auprès des Indiens ?
Il n’est pas ressenti comme vraiment Indien, mais bien plus comme Britannique dans la mesure où il réside à Londres. Il ne vient jamais en Inde.
De plus, il n’a pas de projet industriel dans le pays. Il était censé investir dans l’Orissa et le Jharkand, deux Etats de l’est très pauvres. Ceux-ci possédant des ressources minières, il y a donc des possibilités d’investissements. Leurs gouvernements voulaient travailler avec un Indien et Lakshmi Mittal a su jouer de ce patriotisme économique. Mais pour l’instant, on n’a rien vu venir. Les projets sont toujours à l’étude.
Motif : l’industriel demande davantage de garanties et, en Inde, il faut beaucoup de temps pour mener à terme des projets de ce genre. L’affaire a suscité la colère du ministre de l’Acier. Dans le journal Business Standart, Beni Prasad Verma, lui a demandé d’«arrêter de diffamer l’Inde».
On comprend alors mieux que dans l’affaire de Florange, il n’ait pas reçu le soutien de ses compatriotes. Il n’y a qu’à voir la manière dont la presse a parlé de cette affaire: elle l’a traitée de manière très factuelle, comme s’il s’était agi d’un industriel étranger. D’habitude, quand un Indien est concerné, les réseaux sociaux réagissent très vite. Des dizaines d’hommes politiques prennent la parole, de nombreuses manifestations sont organisées. Là, il n’y a eu pratiquement rien : au plus deux réactions sur le site du Times of India, dont l’une traitant les Français de «racistes».
Les origines de Mittal (il est issu de la communauté marwarie, originaire de l’Etat occidental du Rajasthan) expliquent-elles en partie ces réactions ?
Non. Les Indiens ne prennent pas en compte ces éléments. Ratan Tata, qui dirige l’un des plus grands groupes industriels (éponyme) du pays, est d’origine parsie (iranienne). Pourtant, il a un vrai profil d’investisseur. Ce n’est pas le cas de Mittal qui ne créé pas de richesses dans les pays où il intervient et maximise ses profits.
Aujourd’hui, cependant, ses affaires sont moins florissantes. Il a perdu 10 milliards de dollars en deux ans et demi. Même si selon Forbes, il reste la seconde fortune du pays avec 16 milliards de dollars (contre 26 il y a deux ans et demi). Il faut voir aussi que l’agence de notation Moody’s a dégradé la note d’ArcelorMittal, passée en catégorie pourrie (junk).
Les Indiens aiment-ils vraiment leurs capitaines d’industrie ?
Ils sont fascinés par ceux qui réussissent. Le meilleur exemple est Mukesh Ambani, classé par Forbes première fortune d’Inde et 19e fortune mondiale, qui dirige un groupe spécialisé notamment dans l’énergie. L’homme est très bling bling. Il s’est fait construire à Bombay la résidence la plus chère du monde (évaluée à un milliard de dollars), haute de 27 étages. Il va très loin dans l’extrême. Il est très présent dans l’actualité et son entreprise intervient dans la vie quotidienne, alors qu’on ne parle pas tous les jours de Lakshmi Mittal.
On peut aussi parler de Vijay Mallya, qui commande aux destinées du géant de spiritueux Kingfisher. Lui, c’est un mélange de Tapie et de Branson [patron de Virgin, NDLR] puissance dix. Il organise des fêtes sublimes, s’occupe d’une manifestation qui met en scène des tops models en maillots de bain, dirige l’écurie automobile de formule 1 indienne.
Pour autant, son entreprise va très mal. Elle pourrait même être rachetée par le gouvernement ! Et pourtant, il est très populaire dans l’opinion. En quelque sorte parce qu’il fait quelque chose pour la cause. C’est un porte-drapeau de son pays dans la vie de tous les jours.
Lakshmi Mittal, lui, est tout le contraire. Il ne vit pas en Inde, il n’y a même pas marié sa fille (la fête a eu lieu au château de Versailles !). Cela en a agacé plus d’un ici : on pense que pour un évènement aussi important, il aurait pu au moins organiser une cérémonie dans son pays. Il a donc vraiment complètement coupé les ponts.
Il a construit une immense résidence à Londres, il a subventionné les Jeux olympiques. Il a, d'une certaine manière, décidé d’être du côté britannique. Pour un pays très nationaliste, qui a le complexe de la «gueule de bois coloniale» (colonial hangover) comme disent les Indiens, cela passe très mal. Il n’incarne pas la revanche vis-à-vis de l’ancien colonisateur, au contraire d’un Tata qui a racheté la marque automobile Jaguar et a, quelque part, nargué la Grande-Bretagne. Aux yeux de ses compatriotes, Mittal représente même une nouvelle forme de soumission.
Il n’est pas ressenti comme vraiment Indien, mais bien plus comme Britannique dans la mesure où il réside à Londres. Il ne vient jamais en Inde.
De plus, il n’a pas de projet industriel dans le pays. Il était censé investir dans l’Orissa et le Jharkand, deux Etats de l’est très pauvres. Ceux-ci possédant des ressources minières, il y a donc des possibilités d’investissements. Leurs gouvernements voulaient travailler avec un Indien et Lakshmi Mittal a su jouer de ce patriotisme économique. Mais pour l’instant, on n’a rien vu venir. Les projets sont toujours à l’étude.
Motif : l’industriel demande davantage de garanties et, en Inde, il faut beaucoup de temps pour mener à terme des projets de ce genre. L’affaire a suscité la colère du ministre de l’Acier. Dans le journal Business Standart, Beni Prasad Verma, lui a demandé d’«arrêter de diffamer l’Inde».
On comprend alors mieux que dans l’affaire de Florange, il n’ait pas reçu le soutien de ses compatriotes. Il n’y a qu’à voir la manière dont la presse a parlé de cette affaire: elle l’a traitée de manière très factuelle, comme s’il s’était agi d’un industriel étranger. D’habitude, quand un Indien est concerné, les réseaux sociaux réagissent très vite. Des dizaines d’hommes politiques prennent la parole, de nombreuses manifestations sont organisées. Là, il n’y a eu pratiquement rien : au plus deux réactions sur le site du Times of India, dont l’une traitant les Français de «racistes».
Les origines de Mittal (il est issu de la communauté marwarie, originaire de l’Etat occidental du Rajasthan) expliquent-elles en partie ces réactions ?
Non. Les Indiens ne prennent pas en compte ces éléments. Ratan Tata, qui dirige l’un des plus grands groupes industriels (éponyme) du pays, est d’origine parsie (iranienne). Pourtant, il a un vrai profil d’investisseur. Ce n’est pas le cas de Mittal qui ne créé pas de richesses dans les pays où il intervient et maximise ses profits.
Aujourd’hui, cependant, ses affaires sont moins florissantes. Il a perdu 10 milliards de dollars en deux ans et demi. Même si selon Forbes, il reste la seconde fortune du pays avec 16 milliards de dollars (contre 26 il y a deux ans et demi). Il faut voir aussi que l’agence de notation Moody’s a dégradé la note d’ArcelorMittal, passée en catégorie pourrie (junk).
Les Indiens aiment-ils vraiment leurs capitaines d’industrie ?
Ils sont fascinés par ceux qui réussissent. Le meilleur exemple est Mukesh Ambani, classé par Forbes première fortune d’Inde et 19e fortune mondiale, qui dirige un groupe spécialisé notamment dans l’énergie. L’homme est très bling bling. Il s’est fait construire à Bombay la résidence la plus chère du monde (évaluée à un milliard de dollars), haute de 27 étages. Il va très loin dans l’extrême. Il est très présent dans l’actualité et son entreprise intervient dans la vie quotidienne, alors qu’on ne parle pas tous les jours de Lakshmi Mittal.
On peut aussi parler de Vijay Mallya, qui commande aux destinées du géant de spiritueux Kingfisher. Lui, c’est un mélange de Tapie et de Branson [patron de Virgin, NDLR] puissance dix. Il organise des fêtes sublimes, s’occupe d’une manifestation qui met en scène des tops models en maillots de bain, dirige l’écurie automobile de formule 1 indienne.
Pour autant, son entreprise va très mal. Elle pourrait même être rachetée par le gouvernement ! Et pourtant, il est très populaire dans l’opinion. En quelque sorte parce qu’il fait quelque chose pour la cause. C’est un porte-drapeau de son pays dans la vie de tous les jours.
Lakshmi Mittal, lui, est tout le contraire. Il ne vit pas en Inde, il n’y a même pas marié sa fille (la fête a eu lieu au château de Versailles !). Cela en a agacé plus d’un ici : on pense que pour un évènement aussi important, il aurait pu au moins organiser une cérémonie dans son pays. Il a donc vraiment complètement coupé les ponts.
Il a construit une immense résidence à Londres, il a subventionné les Jeux olympiques. Il a, d'une certaine manière, décidé d’être du côté britannique. Pour un pays très nationaliste, qui a le complexe de la «gueule de bois coloniale» (colonial hangover) comme disent les Indiens, cela passe très mal. Il n’incarne pas la revanche vis-à-vis de l’ancien colonisateur, au contraire d’un Tata qui a racheté la marque automobile Jaguar et a, quelque part, nargué la Grande-Bretagne. Aux yeux de ses compatriotes, Mittal représente même une nouvelle forme de soumission.
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