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La reconversion compliquée des prisonniers palestiniens détenus par Israël

Le gouvernement israélien a remis en liberté le 31 décembre un troisième contingent de 26 prisonniers palestiniens (21 originaires de Cisjordanie, cinq de la bande de Gaza) dans le cadre des négociations de paix en cours sous l’égide des Etats-Unis. La reconversion de ces détenus, restés parfois des dizaines d’années derrière les barreaux, n’est pas chose facile dans une société qui a évolué.
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3 min
Un prisonnier palestinien, libéré par Israël, arrive au point de passage d'Erez, à la frontière entre Israël et la bande de Gaza, le 30 octobre 2013. (Reuters - Suhaib Salem)

Naël Barghouthi se rend chaque matin dans son champ à Kober, au nord de Ramallah. Depuis qu'il a été libéré il y a près de trois ans, il a pris goût au travail de la terre qu'il cultive avec son frère Omar, lui aussi ancien détenu en Israël.

Les deux hommes ont trouvé dans l'agriculture une façon de se réintégrer dans la société palestinienne. Un objectif souvent difficile pour des détenus ayant passé des dizaines d'années dans les geôles israéliennes. Cela risque d’être le cas pour les 26 prisonniers libérés le 30 novembre 2013 dans le cadre des négociations de paix.

Omar, 60 ans, a été libéré en vertu d'un accord conclu en 1985 entre Israël et le Front populaire de libération de la Palestine - Commandement général (FPLP - CG), après 25 années passées dans les prisons israéliennes. Depuis, il a été arrêté à plusieurs reprises et a été de nouveau libéré il y a quatre mois à l'issue de trois ans de détention administrative (sans inculpation ni procès).

De son côté, Naël, 56 ans, a passé plus de 33 ans derrière les barreaux avant d'être relâché à la suite de l'accord, conclu en 2011 entre le mouvement islamiste Hamas et Israël. Lequel s'est traduit par la libération d'un millier de détenus palestiniens en échange du soldat israélien Gilad Shalit. Le militant du Hamas déplore que les habitants de son village ne s'intéressent plus à l'agriculture. Une activité qui lui a permis de retrouver une place dans la société à sa sortie de prison.

Plus de 20 hectares de terre jouxtent la maison qu'il vient de construire. «Ces champs étaient verts il y a 30 ans. Je me rappelle qu’avant mon arrestation, les gens du village y travaillaient jour et nuit. Malheureusement, aujourd'hui, ils ressemblent à un désert. Cela me fait mal au coeur de voir ce paysage», a-t-il confié à l'AFP. «C'est dommage que la génération d'aujourd'hui l’ait abandonné. Moi, je reviens à la terre parce que j'ai payé plusieurs années de ma vie en prison pour la défendre», explique-t-il. Et de souligner que «si nous abandonnons la terre et que nous ne la cultivons pas, nous resterons à la merci de ce que les autres planifient pour nous».
             

En Cisjordanie, près de Jéricho (14-11-2012). (Reuters - Ammar Awad)

«Tout a changé»
Omar et Naël ne regrettent pas les années passées en prison. «C'est un tribut pour le pays», témoignent-ils. Mais Ismat Mansour, qui a retrouvé la liberté il y a deux mois après avoir passé 20 ans dans les geôles israéliennes, se sent «étranger» chez lui. Même s'il a réintégré le Front de libération de la Palestine (FLP), auquel il appartenait avant sa détention. «Tout a changé, les bâtiments, l'organisation», avoue-t-il. «Nous étions des combattants et vivions à la campagne. Maintenant, nous travaillons dans des bureaux avec une Autorité (palestinienne) qui essaie de fonctionner comme un Etat, même si elle est sous occupation (israélienne)», raconte-t-il, amer.
              
Pour Hilmi al-Aaraj, qui dirige une ONG palestinienne, le Centre pour les libertés démocratiques, et qui a été emprisonné pendant 10 ans en Israël, le fait, pour un prisonnier, de se sentir étranger après sa libération est «un sentiment naturel», commun à tous les anciens détenus.
 
L'Autorité palestinienne du président Mahmoud Abbas, basée à Ramallah (Cisjordanie), paie à chaque détenu libéré environ 2000 dollars (1500 euros) pour chaque année passée en détention afin de leur permettre de recommencer leur vie, affirme Hilmi al-Aaraj.
 
Les anciens détenus sont comptabilisés sur la liste des forces de sécurité de l'Autorité palestinienne pourvu qu'ils soient affiliés à un groupe appartenant à l'OLP (Organisation de libération de la Palestine). Ce qui exclut les membres du Djihad islamique et du Hamas. Ils sont ainsi éligibles pour recevoir une retraite de l'Autorité. En revanche, ils ne bénéficient d'aucun programme d'aide psychologique ou d'insertion sociale. Ces derniers sont réservés aux détenus de droit commun, rapporte le président du Club des prisonniers palestiniens à Ramallah, Qaddoura Fares.

Selon l’organisation israélienne B’Tselem, «la seule à tenir un recensement faisant autorité», selon Le Monde, il y avait 4753 prisonniers palestiniens fin octobre 2013 dans les prisons de l’Etat hébreu.

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