Morsi: l'échec d'un président qui n'a pas tenu ses promesses
Tout avait pourtant bien commencé, Mohamed Morsi avait réussi a s’imposer face à l’armée en limogeant, le 12 août, le général Tantaoui, le tout-puissant ministre de la Défense qui dirigeait le pays depuis la chute d'Hosni Moubarak, et en effaçant du même geste les pouvoirs législatifs que les militaires s'étaient attribués. Une décision qui pèse sans doute dans le rôle que l'armée s'octroie aujourd'hui...
Sur le plan diplomatique, le début de mandat du président élu laissait entrevoir un retour de l’Egypte sur la scène internationale avec une présence plus active dans la vie régionale, même si une partie de ce renouveau diplomatique se conjugue avec la recherche de bailleurs de fonds.
Mais c’était surtout sur le plan économique que les Egyptiens attendaient le nouvel élu. Une attente pressante dans un pays dont la révolution n’avait fait qu’accentuer une situation économique déjà difficile.
Et c’est surtout de ce côté-là que les attentes ont été largement déçues. Son programme économique intitulé «renaissance» faisait la part belle à l’agriculture insistant sur la nécessité de parvenir à l’autosuffisance en produits stratégiques notamment, le coton, le sucre et le blé. Un programme en 64 points. Le développement de la filière agro-alimentaire devait suivre. Le candidat parlait de faire baisser les dettes des petits paysans mettant en avant «le passage rapide d’une économie de rente vers une économie avec une valeur ajoutée, à travers une centaine de projets nationaux». Il optait également pour le soutien des projets des petites et moyennes entreprises qu’il considère comme la base de l’économie égyptienne.
Dans la réalité, l'Egypte doit faire face à une hausse de son endettement public, une chute de la monnaie nationale entraînant une hausse des prix. Le recul des investissements étrangers et le recul du tourisme (un des piliers de l'économie) provoque un ralentissement de la croissance. Face à cela, le gouvernement a tenté de se financer à l'étranger mais n'a pas trouvé les recettes pour faire redemarrer la machine. Sur RFI, Mounir Makar, consultant économique égyptien, a déclaré: «Il n'y a vraiment pas un programme économique», tout en soulignant que malgré les difficultés le gouvernement continuait à subventionner de nombreux produits de base (pain, essence...).
Les 100 jours de Morsi
Au départ, l’Egypte y a cru. Un jour, après l’annonce de l’élection du nouveau président, l’indice de la bourse d'Egypte a enregistré un grand bond de 7,5% à la fin de séance du 25 juin 2012. Une augmentation non-enregistrée depuis neuf ans. Mais depuis, le marché est retombé… plus bas que lors de l’élection.
Le nouveau président égyptien avait donné cent jours aux Egyptiens pour qu’ils mesurent le changement . «En cent jours, je réglerai cinq problèmes qui empoisonnent la vie quotidienne des Egyptiens: la sécurité, la circulation dans les villes, la pénurie de pain subventionné, la pénurie de gaz et de pétrole et enfin le nettoyage des monceaux d’immondices qui ont envahi le pays», avait affirmé Mohamed Morsi.
Résultat, les médias égyptiens se sont fait une joie cent jours plus tard de vérifier les affirmations présidentielles. Quelques mesures ont été prises, mais ces dossiers compliqués n’ont pu être résolus dans le délai imparti. Le journal Ahram a dressé un bilan sur l’accomplissement de ces engagements. Un site internet égyptien, consacré à ces promesses, monté par une organisation anti-corruption sur le modèle d'un site américain obamameter, suit l'évolution des réformes en cours. Ce morsimeter dresse un constat sévère.
«Renvoyer l’Egypte vers le Moyen Age»
Sur un plan plus général, deux Egypte s'opposent sur le bilan de cette première année. «Morsi a échoué par excellence dans la gestion des affaires du pays. Il n’a fait que renvoyer l’Egypte vers le Moyen Age et a divisé la société en deux. Il est temps qu’il cesse de faire la sourde oreille et qu’il entende la voix de l’opposition qui réclame sa démission pour que la démocratie, la liberté et la justice sociale reprennent leurs démarches », affirme Mohamed al-Baradei, président du parti al-Dostour et coordinateur du Front national du salut.
«Aujourd’hui, les salaires sont améliorés, la subvention n’a pas été supprimée, des projets colossaux sont annoncés, comme le développement de la région du Canal de Suez et du Sinaï … La liste des réalisations est encore longue, malgré les grèves et les manifestations quasi quotidiennes, organisées pour des raisons futiles», semble lui répondre Gamal Heshmat, cadre des Frères musulmans et membre du Conseil consultatif, dans des propos recueillis par le journal Ahram.
Un gouverneur djihadiste
Sur un plan plus général, le président élu égyptien paye globalement pour la situation économique du pays, sur laquelle il n'a pas pu faire grand chose et pour sa gestion de la crise constitutionnelle en décembre 2012 qui fit plusieurs victimes entre partisans des Frères musulmans, dont est issu Mohamed Morsi, et opposants. «Exaspérés par la déclaration constitutionnelle par laquelle le chef de l'Etat s'était attribué, quelques jours plus tôt, des pouvoirs extraordinaires ainsi que par l'annonce d'un référendum sur le projet de Constitution, dont la rédaction avait été confisquée par les islamistes, des milliers de jeunes révolutionnaires avaient afflué devant le palais présidentiel», rappelle Benjamin Barthe dans Le Monde.
Ces événements avaient crispé la division au sein de la société égyptienne et l'espoir de certains de voir les islamistes égyptiens prendre la voie d'un réformisme à la turque s'était estompé. «L'aile modérée du mouvement, qui se réclamait à l'époque du modernisme supposé de l'AKP, le parti islamo-conservateur au pouvoir en Turquie, a été marginalisée», précise Benjamin Barthe.
En témoigne l'exemple de la nomination d'un gouverneur issu d'un parti djihadiste à Louxor, une des régions les plus touristiques du pays. Gouverneur qui a fini par démissionner.
La crise qui se prolonge aujourd'hui met en lumière une société profondément divisée, presque deux ans et demi après le départ d'Hosni Moubarak. Une division sur laquelle l'armée semble surfer.
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