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Christine Kepinski sur les ravages de la guerre sur le patrimoine en Irak

Considéré comme l’un des berceaux de l’humanité, l’Irak est riche de quelque 12.000 sites archéologiques répertoriés. Mais depuis plus de 20 ans et avec l’émergence de l’organisation Etat islamique, le pays est dévasté par la guerre. Entre destructions et pillages, le patrimoine a ainsi subi de multiples outrages. Entretien avec Christine Kepinski, directrice de recherche au CNRS.
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3 min
Temple à Hatra (nord de l'Irak), ville édifiée par une dynastie arabe au début de notre ère (Reuters - Suhaib Salem)
Quels dommages le patrimoine irakien a-t-il subi ?
Les sites ont souffert des dommages collatéraux aux conflits, notamment liés à l’ignorance des combattants. Plusieurs de ces sites ont été occupés par des unités militaires, par exemple américaines à Babylone. Plus récemment, l’organisation Etat islamique aurait transformé en base les ruines de Hatra (nord), ville édifiée au début de notre ère par une dynastie arabe dans une zone rattachée aux Parthes. Hatra est exceptionnel car c’est l’un des rares sites irakiens construits en pierre.
 
De leur côté, les trafics ont commencé à l’époque de la première guerre du Golfe. Par la suite, l’embargo a jeté dans la misère des milliers de gens, ce qui a intensifié le phénomène, lié aussi au fait que le régime de Saddam Hussein avait alors des difficultés à contrôler les régions du sud du pays.
 
Aujourd’hui, le phénomène nouveau, c’est l’émergence d’EI. Ce groupe exprime une volonté iconoclaste de détruire les communautés qui ne pensent pas comme lui. Et petit à petit, ses partisans font disparaître les lieux de culte de ces communautés.

La destruction du sanctuaire du prophète Jonas à Mossoul, News of Irak, 24-7-2014

A Mossoul, ils ont ainsi rayé de la carte la tombe du prophète Jonas, implantée à l’intérieur d’une mosquée, elle-même construite sur le site archéologique de Ninive, vieux de 6000 ans, dernière capitale des Assyriens. Mais là, ils ont pêché par ignorance. Car Jonas est mentionné dans le Coran : le prophète Mahomet avait beaucoup d’admiration pour lui.
 
A Tell Afar, enclave turkmène dans le nord-ouest, EI aurait fait exploser des lieux de culte de cette minorité turcophone, majoritairement chiite. A Sinjar (nord-ouest), l’organisation aurait détruit non seulement les lieux des cultes des Yézidis, mais aussi leurs mausolées. Je préfère parler au conditionnel car nous ne recevons que des informations lacunaires qui demandent à être vérifiées.

Il semble aussi que l’organisation ait détruit plusieurs édifices religieux à Tikrit (centre), patrie du sultan Saladin, notamment l’«église verte», qui date du VIIIe siècle.
 
En détruisant ces lieux de culte, EI montre qu’il entend effacer l’histoire du pays, faire disparaître la mémoire et l’identité des communautés visées, plonger l’Irak dans l’obscurité la plus totale. On en a eu une nouvelle preuve avec le fait qu’à l’université de Mossoul, les responsables du groupe islamiste ont supprimé les départements de sciences sociales, à commencer par celui d’histoire ancienne et d’archéologie.
 
Frise sumérienne trouvée à Ur (Tel al-Muqayyar) (sud de l'Irak), exposée au British Museum à Londres (AFP - Ann Ronan Picture Library - Photo12)

Que savez-vous sur les trafics ?
Peu de choses. Les trafics sont apparemment une source de financement de la guerre.
 
Pour rentrer davantage dans le détail, il se dit que les sites autour de Mossoul ont été pillés, mais nous n’avons pas d’informations. L’un des plus connus de la région, celui de Ninive, avait subi des déprédations avant même l’arrivée d’EI. Des bâtiments auraient ainsi été construits sur la zone archéologique. Une zone notamment riche en tablettes d’argile écrites, dont une partie constituait les célèbres bibliothèques de Ninive. Tablettes qui ont une forte valeur sur le marché des antiquités.
 
Le patrimoine irakien est donc en grand danger…
Certaines choses ont pu être sauvées comme certains manuscrits chrétiens de Karakosh (nord). Mais d’une manière générale, on ne peut pas faire grand-chose. Les médias, les agences humanitaires, l’Unesco tentent d’informer sur la situation. De leur côté, les spécialistes s’efforcent de souligner l’importance du patrimoine irakien. Mais c’est à peu près tout.
 
En France, la loi permet de bloquer les ventes d’objets anciens arrivés sur le marché avant 2003 (date de l’invasion américaine en Irak, NDLR). Mais ailleurs, ce n’est pas forcément le cas. Il nous arrive, avec des collègues, d’être consultés par le ministère de l’Intérieur pour authentifier tel ou tel objet. Mais pour le reste, on se sent impuissant.

BFMTV, 29 septembre 2014

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