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Arabie Saoudite: les femmes veulent faire tomber la tutelle masculine

Ni Daech, ni al-Qaïda, ni même l’ancestral ennemi perse, aujourd’hui ce sont les Saoudiennes qui constituent la véritable menace de changement pour la monarchie wahhabite, gardienne des lieux saints. Sous le mot d’ordre «Stop à l’asservissement des femmes», elles ont lancé une campagne sur Twitter appelant à faire tomber les articles de la Constitution les maintenant sous tutelle masculine.
Article rédigé par Alain Chémali
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 4 min
Des saoudiennes armées de leurs téléphones portables lors du Festival national du patrimoine et de la culture Al-Janadriyah, le 8 février 2016, dans le village d'Al-Thamama au nord de Riyad. Elles sont des milliers à se rallier, sur Twitter, à la campagne pour «faire tomber la tutelle masculine». (FAYEZ NURELDINE/AFP)

Sous le double hashtag «des Saoudiennes réclament la chute de la tutelle masculine», en arabe, et «Stop à l’asservissement des femmes», en anglais, des activistes féministes du royaume ont enclenché une campagne qui ne cesse de prendre de l’ampleur. Des graffitis ont même fait leur apparition sur les murs mettant leur revendication sur la place publique.



Les saoudiennes veulent la fin de la tutelle du mari, du père, du fils et du grand-père 
Sur le même air que le slogan bien connu des printemps arabes,«le peuple veut la chute du régime», elles réclament la fin de toute forme de domination ou de surveillance de la femme par la gent masculine de la famille, mari, père, fils ou grand père, bridant sa liberté et sa volonté.
 
A l’origine de cette initiative destinée à  révolutionner les mœurs du pays, un mouvement féministe apparu sur Twitter en juin 2016 sous le nom «des saoudiennes opposées à la marginalisation». Parmi elles, Hamssa al-Sanoussi, écrivaine et chercheuse saoudienne, militante pour une législation civile protégeant la femme.

A la mi-août, elle constatait déjà sur son compte Twitter (21.000 abonnés) que la campagne pour «faire tomber la tutelle de l’homme» avait rencontré un franc succès et appelait les femmes à persister dans leurs revendications constitutionnelles et sociales.

Une législation impitoyable pour les femmes et leurs droits 
Seul pays au monde où la gent féminine n’est pas autorisée à conduire, l’Arabie Saoudite est en effet dotée d’un système juridique impitoyable pour la femme et ses droits. Dans un rapport publié le 16 juillet 2016, Human Rights Watch fait état d’une existence en quasi-détention.
 
«Les femmes adultes doivent obtenir la permission d’un tuteur masculin pour pouvoir se rendre à l’étranger, se marier ou être libérée de prison. Le consentement préalable de leur tuteur peut être nécessaire pour travailler ou bénéficier de soins de santé. Ces restrictions s’appliquent de la naissance jusqu’à la mort, puisque les femmes sont considérées par l’Etat saoudien comme des mineurs à vie», explique HRW.


 
Parmi la soixantaine de personnes interrogées pour les besoins de ce rapport, une jeune femme de 25 ans explique : «Nous devons toutes vivre dans les cases que nos pères ou maris ont confectionnées pour nous». «Croyez-le ou non, mon fils est mon tuteur, ce qui est vraiment humiliant… Mon propre fils, celui auquel j’ai donné naissance, celui que j’ai élevé, est mon tuteur», déplore cette autre, âgée de 62 ans.
 
«Que les saoudiennes soient encore contraintes de demander la permission d’un tuteur pour voyager, travailler ou mener d’autres activités constitue une violation de longue date des droits des femmes et un obstacle aux objectifs de relance de l’économie fixés par le gouvernement», explique pour sa part Sarah Leah Whitson, directrice de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord de l’ONG.

Des efforts ont été faits, mais trop d'obstacles à la liberté des femmes subsistent 
Après deux précédentes campagnes en 2009 et 2013 réclamant l’abolition du système de tutelle, le pouvoir avait introduit quelques mesures pour réduire le contrôle des femmes par les hommes : fin de la demande d’autorisation pour travailler ou loi pénalisant les violences domestiques. En 2013, 30 femmes ont fait leur entrée au conseil consultatif (Majlis al-choura). En 2015, elles ont obtenu le droit de voter et de se présenter aux élections municipales.
 
Mais de nombreux obstacles juridiques subsistent concernant l’exercice de la violence par un tuteur, les déplacements ou les études à l’étranger sans accompagnateurs. «Le système de tutelle continue d’être un cauchemar. Je ne veux pas me marier parce que je ne veux pas qu’un étranger me contrôle… Au fond c’est de l’esclavage» affirme Tala, âgée d’une vingtaine d’année. «Vous n’avez aucun contrôle sur votre corps. Chaque étape de votre vie devient source de nervosité. Tous les efforts et le temps que vous avez investis pourraient disparaître en une seconde si votre tuteur le décide», témoigne de son côté Zahra, âgée de 36 ans.
 
Cette nouvelle campagne intervient aujourd’hui dans la foulée du projet de société Vision 2030 présenté par le vice-prince héritier Mohamed Ben Salmane en avril 2016. Selon cette «vision pour l’avenir», le gouvernement «continuera à développer les talents (des femmes), à investir dans leurs capacités productives et à permettre de de contribuer au développement de notre société et notre économie.»

La balle est désormais dans le camp du pouvoir royal 
Même si une contre-campagne a été lancée  sur Twitter par l’universitaire Amerah al-Saeidi (95.000 abonnés), sous le hashtag «Saoudiennes fières de la tutelle de nos parents», même si certaines juristes estiment que la supression de la tutelle est contraire à la chariaa, la balle est désormais dans le camp du pouvoir.
 
Le site du media Al-Monitor rappelle en effet que selon l’article 9 de la constitution, la «petite» tutelle sur les femmes, dépend d’une tutelle «plus grande», celle du roi.
 

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