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Entre Turquie et Grèce, la complexe mission de l'Otan

L'Otan devrait officiellement déployer très rapidement des forces navales entre la Turquie et la Grèce pour, en théorie, réduire l'activité des passeurs supposés développer le trafic des migrants vers l'Europe. Une mission qui s'avère complexe tant en raison des relations difficiles entre Grèce et Turquie que pour des raisons d'efficacité.
Article rédigé par Pierre Magnan
France Télévisions
Publié
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«Ce samedi matin, je me réveille en sursaut vers sept heures en entendant de nombreuses sirènes d’ambulances. Mon hôtel est situé juste à côté de la base des garde-côtes. Quelque chose de grave a dû se produire.» (AFP / Ozan Köse )

Les détails de l'opération seront finalisés «dans les prochains jours», mais d'ores et déjà, explique une source de l'OTAN, «le groupe maritime permanent de l'OTAN numéro 2, composé de cinq navires allemand, canadien,  italien, grec et turc, est déployé dans les eaux internationales de la mer Égée» et a commencé à mener des opérations de surveillance.

Ce deploiement de navires se fait dans une zone délicate puisque les îles grecques de la mer Egée bordent les côtes turques, transformant quasiment cette mer en mer grecque. La définition des espaces propres à chaque pays est sujette à constante polémique. 

Ankara interdit à Tsipras de se poser à Rhodes

La largeur des eaux territoriales grecques est fixée à 6 milles (11 km), mais Athènes se réserve le droit d'en revendiquer 12, ce que la Turquie refuse, estimant que cela transformerait l'Égée «en mer grecque».  En 1996, dans ce contexte, les deux pays ont failli en venir aux armes sur la propriété des îlots Imia/Kardak qu'ils revendiquent chacun.
 
De même, la Grèce réclame 10 milles d'espace aérien autour de ses côtes, quand la Turquie n'en reconnaît que 6, ce qui multiplie les cas de violation rapportés par la Grèce. La semaine dernière, l'agence grecque ANA a fait état d'une vingtaine de violations de l'espace aérien grec en quelques heures par des chasseurs turcs, qui ont été interceptés par la chasse grecque. 

Preuve des constantes tensions, l'avion utilisé par le premier ministre grec Alexis Tsipras, lors d'un voyage officiel en Iran le 7 février dernier, s'est vu interdire de se poser à Rhodes par les Turcs...


En novembre, à l'issue du sommet UE-Turquie, le Premier ministre grec  Alexis Tsipras avait publié sur Twitter une série de propos qu'il y avait tenus sur ce thème à son homologue turc Ahmed Davutoglu. Avec notamment une allusion au chasseur russe que venait d'abattre la Turquie sur sa frontière syrienne : «Heureusement que nos pilotes ne sont pas aussi nerveux que les vôtres». Ambiance garantie entre deux pays membres de l'Otan...mais aux relations toujours compliquées. En 1974 notamment, les deux pays avaient failli entrer en guerre.

Malgré ces différends, les deux pays ont  rejoint l'Allemagne dans sa demande d'une mission alliée en Égée. «L'UE voulait un moyen sûr et incontestable d'informer la garde-côte turque  des mouvements de passeurs», explique Angelos Syrigos, enseignant en droit international à l'université Panteio d'Athènes, observant que l'Agence européenne de surveillance des frontières, «Frontex n'a quant à elle aucune  autorité pour surveiller les côtes turques».

L'exemple de la mission Sophia
Les unités grecque et turque resteront dans leurs eaux respectives durant l'opération. «Nous avons demandé que cela figure spécifiquement dans l'accord, de sorte que l'OTAN et toute cette opération ne soient pas mêlées aux divergences que la Turquie n'aurait pas manqué de soulever», a assuré récemment le ministre grec de la Défense, Panos Kammenos, évoquant «les revendications absurdes» de la Turquie en Égée.
 
Toute cette opération se met en place alors que les arrivées en UE de réfugiés et migrants ne semblent pas devoir se tarir cette année, selon Fabrice  Leggeri, le directeur de Frontex.

Reste à savoir ce que pourront faire ces forces de l'Otan pour lutter contre ces passages et les passeurs, sauf si les barques de migrants capturés sont ramenés vers la Turquie.... Les côtes turques ne sont qu'à quelques kilomètres des îles grecques (moins de cinq parfois). Et l'expérience de la présence militaire dans ces situations ne garantit pas des résultats très spectaculaires.


Le contre-Amiral Hervé Bléjean, en charge de l'opération Sophia au large de la Libye en témoignait récemment lors d'une conférence du CESM. Il a raconté comment les passeurs s'adaptent très facilement à la présence des marines étrangères. «Du fait de la présence des forces navales au large des côtes libyennes, les passeurs ont changé leur méthode. Avant cette présence, les passeurs fournissaient des bateaux capables de tenir la mer jusqu'à l'Italie avec le carburant nécessaire. Aujourd'hui ils ne leur donnent du carburant que pour sortir des eaux nationales car ils savent que les vaisseaux militaires viendront sauver les migrants». Et l'amiral de préciser que les passeurs ne sont plus jamais à bord des navires.

Si l'opération Sophia n'a pu se saisir de beaucoup de passeurs (faute de pouvoir notamment intervenir directement en Libye), elle a cependant permis de sauver de nombreux migrants de la mort. 3.000 selon l'amiral. Un objectif que pourrait se donner l'Otan ?

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