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Evadés d’Iran, un scoop et un scénario digne d’Albert Londres

Jean Pelletier est premier directeur information télévision à Radio Canada, la radio-télévision publique canadienne. C’est aussi lui qui, en 1980, a révélé que six membres de l’ambassade américaine à Téhéran avaient échappé au sort de leurs collègues pris en otages par les Iraniens. Une affaire récemment portée au cinéma par le film Argo. Le journaliste nous en révèle les dessous...
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 2 min
Jean Pelletier, premier directeur information télévision à Radio Canada, dans son bureau le 9 mai 2013. (FTV - Laurent Ribadeau Dumas)
(De notre envoyé spécial à Montréal, Laurent Ribadeau Dumas)

Au moment des faits, en novembre 1979, Jean Pelletier était alors correspondant du journal québécois La Presse à Washington. «C’était la dernière année du mandat de Jimmy Carter. Son administration était en quelque sorte assiégée par l’affaire des otages de l’ambassade américaine à Téhéran», raconte-t-il aujourd’hui.
 
Le journaliste connaissait les locaux diplomatiques des Etats-Unis dans la capitale iranienne. «Je suis arrivé à la conclusion qu’il était impossible que tous les diplomates aient été capturés. D’autant plus que les autorités américaines refusaient de donner le nombre d’otages. Le porte-parole de Carter avait même été jusqu’à dire qu’il faudrait les compter !» Par recoupements, le journaliste était arrivé à la conclusion qu’une demi-douzaine de personnes manquaient à l’appel. Confrontées à ces éléments, des sources au sein de l’administration à Washington, notamment au Département d’Etat, ont admis qu’il avait raison.
 
Pour autant, il n’est pas décidé à publier son scoop. Mais le 26 janvier 1980, Ottawa annonce la fermeture de son ambassade à Téhéran en Iran. C’est la preuve que les otages sont libres. Et en sécurité. Le journaliste se sent alors dégagé de son obligation de silence et publie l’information. Il écrira par la suite un livre, Evadés d’Iran.
 
Il y révèle le rôle essentiel joué par les Canadiens dans l’exfiltration des six diplomates. «Ce sont eux qui leur ont créé une véritable identité en leur fournissant les papiers d’identité, d’assurance maladie, de fausses inscriptions à l’Université. C’était une véritable pelure d’oignon. Si un élément s’avérait faux, un autre, tout aussi vraisemblable, venait prendre le relais».
 
Dans ce contexte, le film de Ben Affleck magnifie le rôle de la CIA et de son agent Tony Mendez. Et il minimise celui joué par les autorités canadiennes, tout particulièrement celui joué de leur ambassadeur, Ken Taylor. «Le film le présente un peu comme un barbier d’opérette. En fait, c’était un homme sûr de lui, parfaitement capable de diriger une telle opération».
 
Dans la réalité, Mendez n’est venu que du vendredi au dimanche pour récupérer les six Américains. «Il n’y a jamais eu de sortie dans le bazar de Téhéran, comme le montre le film. Ni de problème et de tensions à l’aéroport, comme la poursuite de l’avion sur le tarmac. En fait, il y a eu deux vols différents pour l’exfiltration».
 
En clair, le cinéaste a magnifié le rôle des Américains et inventé purement et simplement nombre de faits pour épicer son film. «Alors que 90 % du succès de l’opération revient aux Canadiens». Ce n’est pas un hasard si Ken Taylor s’est vu par la suite décerner par les Etats-Unis les plus hautes décorations de ce pays, notamment la médaille du Congrès.
 
Aujourd’hui, ce qui gêne le plus Jean Pelletier, «c’est la manière de présenter l’Histoire que le grand public va retenir d’Argo». Dernier petit détail : initialement, Ken Taylor n’avait pas été invité au lancement du film au Canada. Heureusement, Ben Affleck s’est rattrapé par la suite…

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