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Pologne: des juges et des villes en guerre contre le gouvernement conservateur

Le gouvernement conservateur polonais, au pouvoir depuis octobre 2015, se trouve confronté à une rébellion des tribunaux et des grandes villes du pays. Ces derniers se rangent derrière le Tribunal constitutionnel (l’équivalent polonais du Conseil constitutionnel français) dans son bras de fer avec la majorité au pouvoir, qui tente de réformer l’institution à son profit.
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Devant l'entrée du Tribunal constitutionnel à Varsovie, le 5 avril 2016. (REUTERS - Kacper Pempel)

Depuis près de deux mois, le nouveau gouvernement du parti Droit et Justice (PiS) refuse de publier les décisions du Tribunal constitutionnel, pourtant garant de la conformité des lois avec la Constitution. Le PiS craint en fait que cette institution, où les juges désignés par le Parlement précédent sont majoritaires, ne l'empêche d'introduire ses réformes, dont certaines sont controversées. Dès son arrivée au pouvoir, il a donc décidé d’en modifier le fonctionnement pour mieux la contrôler.

Résultat : la nouvelle majorité considère les décisions du Tribunal comme nulles et non avenues car adoptées, selon lui, sans respecter la loi en vigueur sur le fonctionnement de l’institution. Une loi votée par le Parlement où le PiS est majoritaire, mais jugée inconstitutionnelle… par le même Tribunal.

Le 26 avril 2016, l'assemblée générale des juges de la Cour suprême (équivalent de la Cour de cassation française) a statué que les décisions du Tribunal constitutionnel étaient valides dès qu'elles sont formulées sans attendre leur publication dans le Journal officiel. Et ce contrairement à l'avis du gouvernement.

Nombre d'assemblées de juges de tribunaux de différentes instances dans plusieurs régions de Pologne n'ont pas attendu l’avis de la Cour suprême. Elles ont d'ores et déjà déclaré leur attachement aux avis du Tribunal constitutionnel.
              
«Anarchie inspirée par l’opposition»
«C'est de l'anarchie inspirée par l'opposition et par les gens de l'ancien pouvoir», tonne Beata Mazurek, la porte-parole du groupe parlementaire du PiS. Et de qualifier l'assemblée générale des juges de la Cour suprême de «réunion de copains et de coquins». Le vice-ministre de la Justice, Patryk Jaki, a dénoncé le 27 avril une «rébellion de juristes snobinards» et une «pression exercée sur des simples juges» d'instances inférieures.

Plusieurs grandes villes polonaises, dont la capitale Varsovie, Lodz (centre) et Poznan (ouest), ont suivi le mouvement. Leurs conseils municipaux ont décidé d'appliquer les décisions du Tribunal constitutionnel même si elles n'étaient pas promulguées dans le Journal officiel. La liste des cités rebelles continue à s'allonger avec des villes comme Bydgoszcz (centre) et Slupsk (nord).
              
«Tout l'ordre légal commence à se scinder entre celui que représentent les tribunaux et le tribunal constitutionnel, et l'état de non-droit représenté par le pouvoir exécutif entre les mains de PiS», affirme la députée Katarzyna Lubnauer, du parti d'opposition libérale Nowoczesna. Celui-ci a réuni plus de 100.000 signatures sous une lettre appelant le gouvernement à publier les arrêts du Tribunal constitutionnel.

En bas à gauche, Beata Szydlo, Première ministre de Pologne. A sa droite, Jaroslaw Kaczynski, président du Parti Loi et Justice (PiS). Lequel passe pour être le vrai chef de gouvernement agissant dans l'ombre...  (REUTERS - Kacper Pempel)

Dans l’avenir, ce dernier «adoptera une décision. Elle ne sera (alors) reconnu ni par le gouvernement ni par ses services qui vont donc prendre leurs décisions suivant un ordre légal alternatif», prévoit l'ancien Premier ministre de gauche Wlodzimierz Cimoszewicz. «Mécontents, les citoyens porteront leurs affaires devant les tribunaux. Ceux-ci, fidèles aux décisions du Tribunal constitutionnel, trancheront en défaveur du gouvernement. Et, de nouveau, le gouvernement et ses agences ne vont pas le reconnaître...», poursuit-il en prévoyant une situation kafkaïenne.
 
«Défendre la démocratie» 
Le 25 avril, trois anciens présidents polonais ont lancé une attaque frontale contre le parti conservateur et appelé «tous les Polonais» à «défendre la démocratie». Lech Walesa, Aleksander Kwasniewski et Bronislaw Komorowski, ainsi que sept autres personnalités, dont d'anciens leaders du syndicat Solidarité, ont accusé le PiS de «détruire l'ordre constitutionnel et de paralyser le travail du Tribunal constitutionnel».

Adoptée fin décembre par le Parlement, la nouvelle loi réformant le fonctionnement de l'organisme garant de la Constitution avait déclenché une profonde crise. Ce qui a conduit la Commission européenne à lancer à l'égard de la Pologne une procédure inédite pour juger de l'Etat de droit dans ce pays.

Le Parlement européen s'est dit récemment «vivement préoccupé par le fait que la paralysie effective du Tribunal constitutionnel en Pologne met en péril la démocratie, les droits de l'Homme et l'Etat de droit». Il a «prié instamment le gouvernement polonais de respecter» les décisions du Tribunal constitutionnel.

«Dans l’ombre et sans scrupule»
Pour la Première ministre, Beata Szydlo, la prise de position du Parlement européen est «une résolution contre l'Etat polonais». Aux dires de certains observateurs, le vrai Premier ministre est en fait Jaroslaw Kacsynski, fondateur et chef du parti majoritaire et frère jumeau de Lech Kacsynski, l’ancien président décédé dans le crash aérien de Smolensk en 2010. Pour Libération, «il place ses pions qui à la présidence, qui au poste de Première ministre, et dirige le pays dans l’ombre et sans scrupules».

Depuis la fin 1995, le gouvernement du PiS, soutenu par l’Eglise catholique, s’est rapproché des Etats eurosceptiques de l’UE, à commencer par la Hongrie du populiste Viktor Orban. Outre la réforme du Tribunal constitutionnel, il a adopté toute une série de mesures qui rencontrent une contestation plus ou moins vive : prise de contrôle des services spéciaux, réforme des médias, interdiction totale de l’avortement… Dans ce contexte, certains observateurs en arrivent à parler de «dérive autoritaire» (La Croix).

Manifestation à Varsovie le 12 mars 2016 contre la réforme du Tribunal constitutionnel (REUTERS - Kacper Pempel - File Photo)

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