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"Que préfère-t-on, des marchés aux esclaves en Libye ou accueillir quelques dizaines de milliers de personnes en Europe ?" interroge Amnesty

Jean-François Dubost, responsable du programme protection des populations à Amnesty International France, estime mardi sur franceinfo qu'il faut réintroduire "des programmes exceptionnels d'admission de réfugiés" en France et dans le reste de l'Union européenne.

Article rédigé par franceinfo - Edité par Mariam El Kurdi
Radio France
Publié
Temps de lecture : 3 min
Des migrants arrivant au centre de détention de Gharyan, en Libye, le 12 octobre 2017. (HANI AMARA / REUTERS)

Emmanuel Macron, en déplacement au Burkina Faso, a promis "un soutien massif à l'évacuation des personnes en danger" en Libye, qualifiant la vente de migrants comme esclaves de "crime contre l'humanité". Son discours est "bon", estime mardi 28 novembre sur franceinfo Jean-François Dubost, juriste, responsable du programme protection des populations à Amnesty International France, mais il souhaite que les autorités passent à l'acte. "Il faut absolument évacuer les populations, les protéger. Il s'agit pour la plupart de réfugiés. Il faut les réinstaller sur notre sol", a-t-il martelé.


franceinfo : Est-ce que la France a une part de responsabilité dans le chaos que connaît la Libye depuis maintenant sept ans ?

Jean-François Dubost : Du point de vue des droits humains, la responsabilité est une responsabilité par passivité de la France. On a un réveil de M. Macron sur ce cas extrêmement horrifiant de l'esclavage, quelque chose qui était connu depuis très longtemps. Mais d'un autre côté, les conséquences ne sont pas tirées du point de vue de la politique européenne que construit la France avec ses partenaires. Une politique que soutient et valide la France et qui conduit des personnes à souffrir en Libye.

Selon vous, c'était connu depuis très longtemps ?

Le cas de l'esclavage, documenté, en tant que tel, peut-être pas. Mais le travail forcé, la contrainte des personnes sans salaires, oui. On s'approche de l'esclavage. Les tortures, les maisons de torture, les exécutions extra judiciaires, les centres de détention gérés par des autorités avec lesquelles on discute aujourd'hui et qui torturent, tout cela était connu et documenté.

Emmanuel Macron a promis mardi à Ouagadougou une initiative pour "un soutien massif à l'évacuation des personnes en danger" en Libye, qualifiant la vente de migrants comme esclaves de "crime contre l'humanité". Adhérez-vous à ce discours ?

Dans le discours de M. Macron, tout est bon. Il faut absolument évacuer les populations, les protéger. Il s'agit pour la plupart de réfugiés. Il faut les réinstaller sur notre sol. Il faut entraîner d'autres Etats à les réinstaller, à les protéger, à les sortir avant même la Libye. Il faut lutter contre les trafiquants, les entraîner devant la justice quand cela est possible. Mais il manque quelque chose, il manque le même discours de fermeté et de transparence par rapport à la situation en Europe. Il faut cesser de financer les opérations navales européennes qui vont former des garde-côtes qui tirent sur les migrants lorsqu'ils les sauvent en mer puis les ramènent de force sur le territoire libyen, où ces mêmes garde-côtes sont trafiquants et où ils les placent en centre de détention. Ça, nous l'attendons de pied ferme. La situation ne changera pas radicalement si l'Europe ne se rend pas compte qu'elle doit changer de logique, c'est-à-dire ne plus mettre en avant la protection des frontières à tout prix mais d'abord la protection des droits humains.

Faut-il créer une route officielle pour les migrants, qui permettrait de mieux les protéger, de les mettre à l'abri ?

Ce n'est pas la solution unique qui va tout résoudre, mais parmi les différentes options qui doivent être mises en place par les Etats, il faut impérativement ouvrir des voies sûres et légales. Il y a différentes façons : il y a la réinstallation, l'admission humanitaire, des programmes exceptionnels d'admission de réfugiés. Il y a aussi pour les migrants des réunifications familiales, des délivrances de visas. Tous ces outils qui existent sont sous-utilisés. Le Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) parle de 40 000 personnes qui sont en besoin urgent de réinstallation, c'est-à-dire d'exfiltration vers un territoire sûr.

La France propose d'accueillir 3 000 migrants, mais elle pourrait faire plus. Par ailleurs, que font les autres Etats de l'Union européenne ?

Jean-François Dubost, Amnesty International

franceinfo

On attend de M. Macron qu'il interpelle ses partenaires européens. Il va falloir que les responsables politiques européens mettent les choses sur la table de façon claire et soient assez directs avec leur opinion publique. Que préfère-t-on, voir des marchés aux esclaves en Libye ou accueillir quelques dizaines de milliers de personnes à 27 Etats membres par la plus grande puissance économique mondiale ? C'est la question qui est posée à tous les citoyens de l'Union européenne. Jusqu'à quel point sommes-nous prêts à aller dans l'horreur, pour ne pas voir arriver quelques dizaines de milliers de personnes par des voies légales et sécurisées ?

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