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Le téléphone portable, compagnon de voyage indispensable des migrants

Ils expliquent à francetv info comment cet appareil leur permet d'organiser le quotidien et d'avoir des nouvelles de leur famille.

Article rédigé par Florian Delafoi
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Ahmed Salem, originaire de Libye, ne lâche jamais son téléphone. L'appareil lui permet de rester en contact avec ses amis et sa famille, comme ici depuis un lycée désaffecté du 19e arrondissement de Paris, mercredi 5 août 2015. (FLORIAN DELAFOI / FRANCETV INFO)

"Vous entrez dans une zone où l'usage du téléphone portable est interdit." L'affiche, scotchée dans les couloirs d'un lycée hôtelier désaffecté du 19e arrondissement de Paris, paraît bien désuète. La plupart des migrants qui ont trouvé refuge dans le bâtiment naviguent entre les salles de cours le portable logé dans le creux de leur main. D'autres discutent au téléphone, assis sur une chaise. Loin d'être un gadget, le portable est le compagnon de voyage indispensable pour la centaine de migrants qui a trouvé refuge, vendredi 31 juillet, dans l'ancien établissement scolaire situé rue Jean-Quarré. Et c'est évidemment encore mieux s'il s'agit d'un smartphone avec accès internet.

Ahmed Salem consulte son téléphone dans la cour du lycée désaffecté. (FLORIAN DELAFOI / FRANCETV INFO)

À toutes les étapes de leur aventure, leur portable est un outil précieux. Car leur voyage vers l’Europe est semé d'embûches. Les migrants sont nombreux à rassurer leur entourage, resté au pays, par le biais de courts messages ou de photos postées sur les réseaux sociaux. "Je n'ai jamais arrêté de parler avec ma famille. J'ai traversé beaucoup de pays pour arriver en France. Durant mon voyage, j'ai envoyé un grand nombre de photos à ma famille et à mes amis sur Facebook", raconte Ahmed Salem, le portable scotché à la main. Ce Libyen, marcel blanc et pantalon de survêtement gris, a obtenu un droit d'asile cinq mois après son arrivée en France.

Selfies et GPS sur le bateau

Le téléphone se révèle utile dès leur départ du pays. Il permet aux migrants de fixer des rendez-vous avec leurs passeurs ou de trouver leur chemin. Assis dans la cour de l’ancien lycée, Aziz raconte comment son bateau a finalement réussi à atteindre les côtes italiennes. "Certaines personnes utilisaient le GPS installé sur leur portable pour se repérer en mer", explique ce Soudanais arrivé en France il y a une vingtaine de jours.

Casquette fixée sur le crâne, Gabriel Dumas-Delage aide les migrants depuis leur évacuation du camp de La Chapelle, à Paris, début juin. Les personnes tout juste arrivées en France lui content souvent leur périple. Ce fut le cas d'un Soudanais de 20 ans, il y a quelques jours. "Gasim, qui est devenu un bon ami, m'expliquait qu'il prenait des selfies dans le bateau." Une anecdote qui fait écho à l'initiative contestée d'un festival de photographie qui a mis en scène le voyage d'un faux migrant sur Instagram.

Un blog pour raconter son histoire

Une fois débarqué sur les côtes européennes, le dépaysement est total pour les migrants. Difficile de se repérer dans les rues d'une ville que l'on découvre à peine. "Quand je suis arrivé en Italie, je ne connaissais rien, ni personne. Grâce à Google Maps, j'ai pu trouver un supermarché pas loin pour acheter de la nourriture", se souvient Ahmed Salem. Mais bien souvent, l'application de géolocalisation ne suffit pas. "Parfois, j'appelais mes amis, qui avaient déjà fait le voyage, pour qu'ils me donnent la bonne direction."  

Veste noire sur les épaules, Afchin essaye d'entamer une conversation en français. Mais la barrière de la langue freine encore son enthousiasme, six mois après son arrivée en France. Après un bref moment de panique, le jeune Afghan plonge son regard dans son smartphone et lance Google Traduction. Il prononce quelques mots dans sa langue maternelle avant de tendre l'appareil sur lequel apparaît une interprétation approximative de ses propos. Mais l'essentiel est là : Afchin a réussi à se faire comprendre.

Arif et Afchin dans les couloirs du lycée Jean-Quarré, à Paris, mercredi 5 août 2015. (FLORIAN DELAFOI / FRANCETV INFO)

Les téléphones sont de véritables couteaux suisses pour ces migrants démunis. Ils leur permettent même de raconter leur histoire aux internautes. C’est ce qu’a fait Youssif, avec le soutien de traducteurs bénévoles. Sur son blog Le Voyage de la mort, il retrace son parcours plein de souffrance. Un témoignage fort qu’il dédie “à tous les gens qui ne sont pas arrivés jusqu’en Europe, ceux qui sont morts en route”.

Système D pour se connecter

Une fois les frontières de l’Europe franchies, les migrants adoptent le système D pour capter du réseau. Quelques-uns trouvent des identifiants d'accès au wifi gratuit, comme Ahmed Salem, qui souhaite contacter ses proches dispersés aux quatre coins du monde. Certains vivent à Londres, en Allemagne, et même aux Etats-Unis. Des amitiés qui survivent grâce à internet. Dès qu'il le peut, le jeune homme se connecte pour échanger avec eux.

Ahmed Salem poste régulièrement des photos sur son compte Facebook. (FTVI / CAPTURE D'ECRAN)

D'autres s'installent dans un café pour profiter d'internet. "Si je veux charger mon portable et me connecter, je dois me rendre dans un café et acheter une consommation", confirme Mekal. Sous le préau de l'ancien lycée, l'Erythréen de 32 ans explique utiliser son téléphone pour dissuader ses amis de traverser la Méditerranée. "Je me connecte parfois sur Facebook, Viber ou WhatsApp pour avoir des nouvelles de mes proches. Je leur envoie des photos pour qu'ils aient conscience que passer par la mer est extrêmement dangereux. Si je leur explique mes conditions de vie, ils vont peut-être renoncer à venir, espère celui qui compte apprendre le français et trouver un travail. Ma vie est ici maintenant".  

"Je ne sais pas si mes parents sont en vie"

L'utilisation du téléphone dépend beaucoup de l'argent dont disposent les migrants. Ils n'ont pas tous les moyens de s'offrir un portable avec une connexion internet. "Ici, il y a deux types d'utilisateurs. Il y a ceux qui ont un smartphone et les autres", estime Gabriel Dumas-Delage. Ces derniers se débrouillent avec des appareils mobiles basiques. "Je contacte ma famille une seule fois par mois parce que je n'ai pas d'argent pour recharger la carte sim de mon téléphone", regrette Moez. Ce Soudanais aimerait pourtant savoir si son enfant de 12 ans se débrouille bien à l'école.

Sans nouvelles de leurs proches, les migrants peinent à garder le moral. Pour Mekal, le temps s'est comme arrêté. Il n'a pas réussi à contacter sa famille depuis son départ d'Erythrée. "C'est difficile, j'imagine le pire. Je ne sais pas si ma famille est encore en vie." L'homme craint le régime de son pays, qui "surveille et contrôle tout". De temps en temps, Mekal consulte YouTube pour regarder des vidéos de la chaîne de télévision de son pays d'origine. En cas d’urgence et de grande détresse, le comité de soutien des migrants peut décider de prêter des cartes téléphoniques. "Une fois, un migrant n'avait plus de crédit au moment où il a appris que sa famille était à l'hôpital. On lui a trouvé un moyen de contacter ses proches", raconte Gabriel Dumas-Delage. Le téléphone portable est souvent la dernière chose qui leur permet de garder la main sur un quotidien angoissant.  

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