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Reportage "Tu essaies d'oublier ce qui se passe" : face à la menace russe, David, expatrié français en Ukraine, se prépare sans céder à la panique

Kharkiv, la deuxième ville d'Ukraine, à 25 km de la frontière russe, compte une trentaine de Français. L'un d'eux raconte à franceinfo comment on vit avec le spectre d'un conflit dans un pays qui n'est pas le sien.

Article rédigé par Raphaël Godet - Envoyé spécial à Kharkiv (Ukraine)
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
David Culot, son épouse Anna et leur enfant Raphaël dans leur jardin à Kharkiv (Ukraine), le 2 février 2022. (RAPHAEL GODET / FRANCEINFO)

David Culot a regardé la carte, et voici donc son plan : "si ça part en sucette avec les Russes", il quittera Kharkiv (Ukraine) en voiture, "mais en évitant la capitale", Kiev. Avec sa femme et leurs trois enfants âgés de 1, 4 et 7 ans, ils passeront "plutôt par le Sud", traverseront le Dniepr, le fleuve qui fait office de frontière naturelle, avant de "filer au chaud vers l'Ouest". Mais tout est dans le "si". 

Lorsque franceinfo les rencontre à leur domicile, mercredi 2 février, les valises sont toujours rangées sur les étagères. "On ne va pas prendre la route ce soir en douce", tient à rassurer l'expatrié français. D'ailleurs, personne ne s'est encore réveillé en sursaut en pleine nuit, "perdu au milieu des cartons". Mais l'atmosphère n'est pas tout à fait sereine. "Il y a quand même ce truc au-dessus de toi", tente d'expliquer le père de famille de 51 ans en avalant son café. "Tu ne peux pas faire semblant qu'il ne se passe rien alors que des dizaines de soldats russes sont massés à deux pas de chez toi"

David vit à Kharkiv, dans l'est de l'Ukraine, tout près de la frontière russe. (PIERRE-ALBERT JOSSERAND / FRANCEINFO)

La frontière russe ? Elle est juste en face, tout droit, côté cuisine, à 25 petits kilomètres. "Au cas où", David Culot a donc rajouté quelques lignes à sa liste de courses. Au supermarché, il a fait un crochet par le rayon conserves pour faire un stock de boîtes de haricots et de petits pois. Il a aussi acheté du riz et cinq ou six briques de lait supplémentaires. Il a fait des réserves d'eau et mis de côté 40 litres de diesel pour pouvoir faire tourner le générateur. Toujours "au cas où". Par exemple "s'il y a un siège et qu'on ne peut plus sortir dehors". "Un peu comme pour un tremblement de terre, vous voyez l'idée ?"

"Papa, c'est quoi la guerre ?"

En refermant le placard, il s'interroge : "Peut-être que c'est trop, peut-être que ça ne servira pas. Mais ça rassure." Lui et sa famille ont déjà connu cette "ambiance de guerre". En 2014, quand le conflit militaire entre l'Ukraine et la Russie a démarré, c'est d'abord à Kharkiv que des militants pro-Moscou ont planté un drapeau russe sur le toit de l'administration régionale et proclamé une République séparatiste. "Les gens se frappaient, se tiraient dessus en plein centre-ville, se souvient-il. Les tirs, c'était tous les jours. Je voyais les avions ukrainiens qui passaient au-dessus de l’entreprise. J'ai encore des vidéos dans mon téléphone, vous voulez voir ?

"Le jour de la naissance de notre premier enfant, je sors de la clinique et sur quoi je tombe ? Un convoi de tanks qui allait vers le Donbass. C'était flippant."

David Culot

à franceinfo

Il y a quelque temps, Emile, l'aîné, est d'ailleurs venu trouver son père : "Papa, c'est quoi la guerre ?", lui a-t-il demandé. "Qu'est-ce qu'on répond à cette question ? Je me suis embrouillé à expliquer que c'était une histoire de gens qui n'aimaient pas d'autres gens et que donc ils se battaient." "Nos enfants ne savent pas que ça peut encore se recommencer ici, et c'est mieux comme ça", intervient Anna, la maman, d'origine ukrainienne. On les protège de tout ce qui se dit, de tout ce qui se passe."

David Culot et son enfant Raphaël dans leur maison à Kharkiv (Ukraine), le 2 février 2022. (RAPHAEL GODET / FRANCEINFO)

Sur le groupe WhatsApp de ressortissants français dans lequel la famille Culot figure, les tensions avec le voisin russe ne sont d'ailleurs "pas un sujet plus que ça." "Evidemment, on en parle", reconnaît celui qui a posé ses valises voilà quinze ans dans cette grande ville industrielle du nord-est de l'Ukraine. "On se dit qu'on fera un convoi si on doit partir, que ce sera plus 'sécure'. Mais il n'y a pas de vent de panique. Il y a des gens qui se posent des questions sur la suite. Mais on essaie de vivre normalement, sans trop y penser."

"Partir, mais partir où ?"

Ce n'est pas toujours simple. "Quand je lis Twitter, j'ai l'impression que l'attaque, c'est pour demain, que les militaires sont déjà là, et là je panique", observe David Culot, en secouant les mains. L'autre jour encore, il est tombé sur un podcast en anglais sur les différentes stratégies militaires. "C'était super intéressant. Enfin, au début. Mais je n'ai pas pu aller au bout..." Au travail aussi, le président russe Vladimir Poutine et ses hommes en treillis ne sont jamais très loin de la machine à café. "Je dois rassurer certains clients et leur expliquer que nos développeurs sont tous 'nomades', et peuvent se relocaliser en quelques jours", raconte celui qui est à la tête de deux entreprises dans l'informatique. 

Alors les Culot, comme les 1,4 million d'habitants de Kharkiv, n'ont pas d'autre choix que d'"attendre", "patienter", "penser à autre chose" : "Tu organises tes soirées comme si de rien n'était, tu fais ton sport, tu vas au cinéma, et tu essaies d'oublier ce qui se passe à vingt minutes d'ici". Et puis de toute façon, "partir, mais partir où ?, se demande Anna. Ma famille à moi, elle est ici, elle vit à côté. Je ne me vois pas les abandonner". "Mine de rienKharkiv, c'est l'un des endroits où j'ai passé le plus de temps depuis que je suis né", poursuit son mari. Il y aurait bien Brest, où habite la sœur de David Culot. "Mais est-ce qu'on a envie de revenir en France ? Je ne sais pas... On a tout construit ici. Au fond de moi, je me dis que si on part, ce sera définitif. On ne reviendra pas." 

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