Brexit : on vous explique la tempête provoquée par la décision de Boris Johnson de suspendre le Parlement britannique
Le Premier ministre britannique a créé la surprise en annonçant la suspension du Parlement entre la deuxième semaine de septembre et le 14 octobre, ce qui ne laisserait que quelques jours aux députés pour tenter d'empêcher un Brexit sans accord.
Boris Johnson vient de lancer un bâton de dynamite dans la déjà très explosive saga du Brexit. A quelques semaines de la date fatidique de la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne, prévue le 31 octobre, le Premier ministre britannique a annoncé, mercredi 28 août, la suspension prochaine du Parlement. La Chambre des communes devrait donc tenir sa dernière séance dans le courant de la deuxième semaine de septembre avant de débuter une nouvelle session parlementaire le 14 octobre.
Alors que les députés doivent faire leur rentrée mardi après la trêve estivale, cette manœuvre politique extrêmement controversée a provoqué l'indignation de nombre d'entre eux, qui dénoncent un "coup" contre la démocratie parlementaire. Voici ce qu'il faut savoir pour y voir plus clair.
Qu'a décidé exactement Boris Johnson ?
Le Premier ministre britannique a écrit à la reine Elizabeth pour lui demander de suspendre le Parlement après les débats du 9 septembre et jusqu'au 14 octobre. D'habitude, cette procédure, appelée "prorogation", n'est qu'une formalité : régulièrement, le Parlement est "prorogé" pendant quelques jours. A chaque fois, le Premier ministre en fait la demande à la reine et cette dernière la lui accorde.
Car d'habitude, cette manœuvre n'a que peu d'incidence sur le calendrier législatif et permet surtout de clôturer la session parlementaire et d'en ouvrir une nouvelle. Par exemple, la session en cours a déjà duré plus de 340 jours, une durée particulièrement longue, a fait valoir Boris Johnson dans le communiqué annonçant sa décision. Aussi, quand un nouveau gouvernement est formé, le nouveau Premier ministre demande traditionnellement à la reine de suspendre le Parlement. Et pour cause : chaque nouvelle session parlementaire étant ouverte par un discours de la reine, cela lui permet de signifier, au moins symboliquement, qu'une page se tourne.
Seulement voilà, choisir de solliciter cette prorogation maintenant, alors que la date du Brexit approche, est très lourd de conséquences.
Comment justifie-t-il cette décision ?
Boris Johnson explique vouloir permettre aux députés de se concentrer sur le Brexit dès la reprise des débats le 14 octobre. "J'ai l'intention de présenter un agenda législatif ambitieux pour permettre le renouvellement de notre pays après le Brexit", écrit-il dans la lettre qu'il a envoyée aux députés pour les informer de sa décision.
NEW: Boris Johnson writes to MPs setting out his decision pic.twitter.com/8HHBovYShC
— Paul Brand (@PaulBrandITV) August 28, 2019
Il y affirme que les députés auront "l'occasion de débattre du programme du gouvernement et de son approche du Brexit avant le Conseil européen [des 17 et 18 octobre] et pourront ensuite voter les 21 et 22 octobre, une fois son résultat connu". "Si je réussis à conclure un accord avec l'UE, le Parlement pourra alors passer la loi pour la ratification de l'accord avant le 31 octobre", dit-il.
"Les députés auront amplement le temps de débattre", a-t-il aussi martelé sur la chaîne de télévision SkyNews, alors qu'il était sommé de répondre aux accusations de manœuvre politique. Pour la plupart des parlementaires et des observateurs, la motivation du Premier ministre, connu pour défendre une sortie à tout prix – y compris sans accord – de l'UE, est tout autre.
Quelle est la stratégie du Premier ministre ?
De nombreux élus britanniques, y compris au sein de sa famille politique, le Parti conservateur, accusent Boris Johnson de vouloir réduire au silence les députés pendant ces quelques semaines décisives. Sans avoir à rendre de comptes à la Chambre, il pourrait en effet conduire à sa guise le pays vers un inévitable "No deal", une sortie de l'UE brutale et sans accord. "Il sait que les gens ne choisiraient pas le 'no deal' et que les représentants élus ne le permettraient pas. Il tente d'étouffer leurs voix", a notamment déclaré la cheffe du Parti libéral démocrate, Jo Swinson, accusant Boris Johnson de "lâcheté".
D'autres, comme cet éditorialiste du Guardian, voient dans la décision du Premier ministre un coup de billard à trois bandes, dont le but serait de provoquer – et, bien sûr, de remporter – de nouvelles élections législatives. Selon cette théorie, les députés outragés, profitant de la fenêtre de quelques jours pendant laquelle ils siégeront, s'empresseraient de voter une motion de défiance entraînant la tenue de nouvelles élections. Boris Johnson pourrait alors unir la droite pro-Brexit en assurant que la seule façon de quitter l'UE le 31 octobre serait de le conforter à son poste, tandis que les "remainers" (partisans du maintien dans l'Union européenne) s'éparpilleraient entre les partis pro-européens. Ce scrutin lui assurerait une confortable majorité au Parlement, bien plus pratique que celle dont il dispose en ce moment, afin de faire voter les lois qu'il souhaite pour l'après-Brexit.
Pourquoi parle-t-on de "crise constitutionnelle" ?
Si une poignée d'élus pro-Brexit salue l'initiative de Boris Johnson, l'ambiance est plutôt à l'indignation outre-Manche. Le chef de file de l'opposition au Parlement, le travailliste Jeremy Corbyn, s'est dit "consterné par l'insouciance" du Premier ministre. "C'est un outrage et une menace pour notre démocratie", a-t-il jugé, tandis que la cheffe du groupe des Indépendants (centristes et pro-UE), Anna Soubry, ancienne députée conservatrice, a estimé que la démocratie était "menacée par un Premier ministre impitoyable".
Nicola Sturgeon, la Première ministre écossaise, a quant à elle déclaré que cette décision de Boris Johnson faisait du Royaume-Uni une dictature : "Fermer le Parlement afin d'imposer un Brexit sans accord qui fera des dégâts insoupçonnés et durables sur le pays contre la volonté des députés, ce n'est pas comme cela que fonctionne une démocratie. C'est une dictature et si les députés ne s'unissent pas pour arrêter Boris Johnson, ce jour restera comme le jour où la démocratie britannique est morte", a-t-elle déclaré à la BBC. "Dictature", "coup", "scandale constitutionnel"… Les opposants au Premier ministre n'ont pas de mots assez durs pour dénoncer sa décision. "Alors que nous vivons un instant parmi les plus difficiles de l'histoire de notre nation, il est vital que notre Parlement élu ait son mot à dire", a notamment rappelé le président de la Chambre des communes, John Bercow.
Quels sont les recours possibles contre cette suspension du Parlement ?
Les députés ne disposent pas d'une grande marge de manœuvre : dans une déclaration vidéo transmise à la presse, Jeremy Corbyn a annoncé que la première chose que les députés du Labour feront en arrivant mardi à Westminster sera de proposer une loi pour empêcher cette suspension du Parlement. Ils disposeront alors de quelques jours pour agir, avant que la suspension ne prenne effet après le 9 septembre. Ils demanderont également une motion de défiance à l'égard du Premier ministre. "Nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir", a assuré le chef de l'opposition.
Et cela passe par des actions qui promettent d'agiter Westminster. Sur Twitter, le député travailliste Clive Lewis s'est ainsi déclaré prêt à rester dans le Parlement jusqu'à ce que la police le déloge. "Si Boris [Johnson] suspend les travaux du Parlement pour mener à bien son Brexit dur, moi et d'autres députés défendrons la démocratie, promet-il. La police devra nous faire sortir de la Chambre. Nous demanderons aux gens de descendre dans la rue. Nous convoquerons une session extraordinaire du Parlement", assène-t-il dans un message partagé des milliers de fois.
If Boris shuts down Parliament to carry out his No-Deal Brexit, I and other MPs will defend democracy.
— Clive Lewis MP (@labourlewis) August 28, 2019
The police will have to remove us from the chamber. We will call on people to take to the streets.
We will call an extraordinary session of Parliament. #PeoplesParliament
Par ailleurs, un groupe de 75 parlementaires pro-UE vont porter une réclamation devant les tribunaux écossais. Ils estiment en effet que dans ce cas précis, la prorogation du Parlement est anticonstitutionnelle. Leur recours devrait être étudié jeudi ou vendredi par la Court of Session, une cour civile suprême qui siège à Edimbourg.
Enfin, Jeremy Corbyn a écrit à la reine pour lui demander un entretien, selon une source au sein du Labour.
Comment les Britanniques réagissent-ils ?
Les Britanniques qui craignent une sortie de l'UE sans accord se sont à nouveau saisi d'un outil maintes fois utilisé par les anti-Brexit : la pétition. Un texte demandant de ne pas proroger le Parlement a été mis en ligne dès l'annonce de la décision de Boris Johnson : en quelques heures à peine, il avait reçu plus de 200 000 signatures. Le seuil nécessaire à l'organisation d'un débat parlementaire est de 100 000 signatures, mais il n'est pas acquis que le sujet soit mis à l'ordre du jour dès la reprise des discussions, mardi. Le site internet de la Chambre indique en effet que la question soulevée par la pétition doit d'abord être étudiée par un comité.
Craignant les conséquences d'un Brexit sans accord, 25 évêques de l'Eglise d'Angleterre ont signé une lettre ouverte faisant part de leurs inquiétudes. "La souveraineté du Parlement n'est pas un terme vide de sens. Elle est fondée sur des institutions qui doivent être honorées et respectées : les traiter de façon cavalière met en danger la démocratie", écrivent-ils.
Que peut faire la reine ?
Traditionnellement, la reine ne s'implique pas dans la vie politique du pays. Ainsi, logiquement, elle a accédé à la demande de Boris Johnson de proroger le Parlement. Si elle s'y était opposée, cela aurait signifié prendre parti dans le débat du Brexit, ce qu'Elizabeth II – et l'ensemble de la famille royale – s'est gardée de faire jusqu'ici.
It’s done pic.twitter.com/YGdB0WX4zk
— Vicki Young (@BBCVickiYoung) August 28, 2019
En sollicitant la prorogation du Parlement, le Premier ministre a donc mis la reine dans une position extrêmement délicate : déjà, les militants anti-monarchie de l'organisation Republic ont fait savoir que la crise constitutionnelle pourrait déboucher sur une crise monarchique. "Des gens lancent des pétitions pour demander à la reine d'intervenir, mais elle ne le fera pas. Pas parce qu'elle ne le peut pas, mais parce que sa seule priorité a toujours été de préserver la monarchie", écrit leur porte-parole. "La reine a un choix à faire et, qu'elle décide ou non de le faire, elle est maudite", analyse-t-il.
Et l'Union européenne ?
Les responsables européens ne cessent de le marteler : ils ne rouvriront pas les négociations sur l'accord de retrait de l'UE. L'eurodéputé Guy Verhofstadt, chargé de coordonner le travail du Parlement européen sur la question du Brexit, a ainsi réagi à la manœuvre de Boris Johnson : "'Reprendre le contrôle' [en quittant l'Union] n'a jamais semblé aussi sinistre. Etant parlementaire moi-même, j'exprime ma solidarité avec ceux qui luttent pour que leur voix soit entendue", a-t-il tweeté.
"Taking back control" has never looked so sinister. As a fellow parliamentarian, my solidarity with those fighting for their voices to be heard.
— Guy Verhofstadt (@guyverhofstadt) August 28, 2019
Suppressing debate on profound choices is unlikely to help deliver a stable future EU - UK relationship.https://t.co/NyCoLA8nFe
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