Brexit : "Les Britanniques ont toujours été des Européens grincheux"
Pour l'historien Robert Saunders, le désamour entre le Royaume-Uni et l'Union européenne a commencé dès l'adhésion du pays "par nécessité" en 1973.
Le Royaume-Uni va-t-il s'éloigner un peu plus du continent européen ? Alors que les Britanniques sont invités à s'exprimer, jeudi 23 juin, lors du référendum sur l'avenir du pays dans l'Union européenne, plusieurs sondages donnent le camp du départ en tête des intentions de vote. Un tel divorce mettrait fin à une histoire tourmentée entre le Royaume-Uni et l'UE, comme le souligne l'historien Robert Saunders, spécialiste du sujet à la Queen Mary University de Londres.
Francetv info : Les partisans du Brexit espèrent qu'un départ de l'Union européenne permettra de relancer l'économie et l'influence internationale du Royaume-Uni. N'est-ce pas précisément pour cela que le pays a adhéré en 1973 ?
Robert Saunders : Si. Les Britanniques ont tenté de rejoindre la Communauté économique européenne (CEE) dès 1961 pour deux raisons. D'une part, alors que l'économie britannique semblait au bord de la faillite, les pays membres [République fédérale d'Allemagne, Belgique, France, Italie, Luxembourg, Pays-Bas] étaient en plein boom. D'autre part, le prestige britannique était en déclin et l'Europe apparaissait comme un moyen de se faire mieux entendre sur la scène internationale.
Après le veto de Charles de Gaulle aux demandes de 1961 et 1967, l'adhésion a fini par avoir lieu en 1973, sans susciter d'enthousiasme populaire. La démarche a été portée par le gouvernement non pas par goût de l'Europe ou par idéal, mais par nécessité économique. Puis l'économie britannique s'est redressée dans les années 1980 et 1990, jusqu'à faire mieux aujourd'hui que le reste du continent. Une partie des raisons qui justifiaient l'adhésion il y a quarante-trois ans a donc disparu.
Très vite, en 1975, les Britanniques ont été invités à s'exprimer par référendum sur le maintien dans le marché commun. Le "oui" l'a emporté avec 67% des voix. Un plébiscite ?
C'est le plus grand soutien populaire à l'Europe jamais exprimé au Royaume-Uni. Mais il ne faut pas s'y tromper : ce n'était pas un vote célébrant le projet européen, mais un choix par défaut. Les Britanniques avaient peur des conséquences d'une sortie, alors que les bénéfices de l'adhésion allaient bientôt se faire sentir.
Il faut avoir en tête les 25% d'inflation en 1975, quelques mois après le plus grand krach boursier subi depuis 1929. Il y avait des coupures d'électricité dans l'industrie, les entreprises n'avaient du courant que trois jours par semaine, le Royaume-Uni était presque devenu un pays du tiers-monde.
En 1979, la Première ministre, Margaret Thatcher, prononce son fameux "I Want my Money Back" ("Rendez-moi mon argent"), qui a abouti, en 1985, au rabais accordé aux Britanniques. Comment cela a-t-il été perçu outre-Manche ?
Il y avait un consensus sur le fait que le Royaume-Uni était victime d'une injustice : c'était le deuxième pays le plus pauvre de la CEE et, pourtant, celui qui finançait le plus le budget européen. Le Royaume-Uni était victime de son adhésion tardive, car les règles avaient déjà été fixées. Le pays se retrouvait donc à essayer de renégocier.
Le plus intéressant dans le rabais obtenu plus tard par les Britanniques est la façon dont il a été présenté par Thatcher. Pour elle, ce n'était pas un accord avec l'Europe, mais une victoire contre l'Europe. Cette ligne dure a provoqué des tensions au sein du parti conservateur et a fini par conduire à la chute de Thatcher en 1990.
Aujourd'hui, le parti conservateur est très divisé sur la question européenne...
Un tournant s'est produit dans les années 1980. Jusque-là, les conservateurs étaient très pro-européens, car ils voyaient la CEE comme un projet capitaliste construit autour d'une zone de libre-échange. La bascule est survenue avec l'arrivée de Jacques Delors à la tête de la Commission européenne, en 1985. Il s'est notamment intéressé à la protection sociale des travailleurs, que l'on retrouve dans le "chapitre social" du traité de Maastricht. Cet interventionnisme dans les affaires intérieures des Etats a été perçu comme un dangereux virage socialiste par une partie des conservateurs. Ce sont les mêmes qui estiment, aujourd'hui, que s'affranchir de ces réglementations redynamiserait l'économie.
Margaret Thatcher illustre ce tournant. Longtemps pro-européenne, elle est devenue eurosceptique après son départ du pouvoir. Elle a été une des premières à demander une sortie du Royaume-Uni de l'UE et a entraîné ses soutiens dans son giron. Il est toutefois intéressant de constater que les Premiers ministres britanniques ont toujours défendu l'UE lorsqu'ils étaient dans l'exercice de leurs fonctions. Ce n'est qu'une fois éloignés du pouvoir qu'ils se sont montrés plus critiques. Critiquer l'UE est une ficelle facile pour avoir l'air de défendre le Royaume-Uni. Lorsqu'il était chef de l'opposition, David Cameron était bien plus sévère qu'aujourd'hui.
Bien que partisan du maintien, le Premier ministre, David Cameron, a tout de même négocié un accord européen confortant le statut à part du Royaume-Uni dans l'UE... On a connu plus pro-européen.
Cameron assume en disant que c'est une façon d'avoir le meilleur des deux mondes : on profite du marché unique, tout en restant hors de la zone euro, de l'espace Schengen et en refusant toute future avancée en matière d'intégration. Il espérait que l'accord ferait mouche auprès du public. Mais cela donne aussi l'image d'un Royaume-Uni en périphérie, incapable de prendre les commandes, soumis au leadership franco-allemand.
A l'inverse, l'ancien Premier ministre travailliste Gordon Brown a choisi pour mot d'ordre "Let's Lead, Not Leave" ("Soyons meneurs, pas déserteurs").
Il est bien seul... Il n'y a plus grand-monde à espérer un leadership britannique dans l'UE. Il est vrai que le parti travailliste milite pour le maintien dans l'Union européenne, mais son leader, Jeremy Corbyn, peine à se faire entendre. Il faut dire que son message est peu inspirant : pour lui, il faut rester car l'UE protège les Britanniques de leur gouvernement conservateur.
Les travaillistes sont peu audibles car la presse britannique ne s'intéresse quasiment qu'à la guerre interne chez les conservateurs. Une bonne partie de l'image négative que les Britanniques ont de l'UE vient du traitement réservé à Bruxelles dans la presse, souvent eurosceptique. Il n'y a pas une grande différence entre la campagne officielle pour le Brexit et la ligne éditoriale du Sun, du Daily Express ou du Daily Mail.
Peut-on dire que le Royaume-Uni n'a jamais trouvé sa place dans l'Union européenne ?
Les Britanniques ont toujours été des Européens grincheux, contrairement à d'autres peuples. Cela tient en partie aux conditions de leur adhésion, moins positives qu'ailleurs. Les six pays fondateurs ont lancé le projet européen dans un contexte de croissance économique d'après-guerre. Les pays de l'ex-bloc soviétique ont vu l'UE comme une promesse de démocratie et de prospérité. La Grèce a rejoint le club pour tourner la page de la "dictature des colonels".
A l'inverse, le Royaume-Uni a rejoint l'Europe parce qu'il le fallait, par peur de la chute. C'était presque une humiliation. Au sortir de la seconde guerre mondiale, ce pays était une grande puissance dotée d'un empire. Il avait jusque-là encouragé le projet européen, tout en se sentant supérieur à cela. L'Europe était pour les petits pays. En adhérant à la CEE en 1973, le Royaume-Uni a reconnu qu'il n'était plus cette puissance d'antan. C'était un coup pour l'ego, que certains espèrent effacer en sortant.
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