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Quand des labos occidentaux testaient leurs médicaments dans l'ex-RDA...

Pendant des années, l’ancienne Allemagne communiste «a vendu ses citoyens comme cobayes pour des essais de médicaments produits par des groupes pharmaceutiques occidentaux», rapporte l’hebdomadaire Der Spiegel. Plus de 50.000 personnes seraient concernées.
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 2 min
L'Alexanderplatz (place Alexandre), au coeur de Berlin Est, le 1-10-1989.  (AFP -  Ria Novosti)

La plupart des cobayes, appelés «lapins d’essais» («Versuchskaninchen») en allemand, n’étaient pas au courant de ce qu’ils subissaient. Ces essais, dont on connaissait l’existence sans qu’on en connaisse l’ampleur, rapportaient beaucoup d’argent aux autorités de la République démocratique allemande (RDA) : jusqu’à 860.000 marks (près de 440.000 euros) par étude, selon Der Spiegel.
 
Au total, plus de 600 études auraient été menées dans 50 cliniques jusqu’à la chute du Mur de Berlin en 1989, rapporte le newsmagazine. Lequel se fonde sur des documents inédits de l’ex-RDA et de l’Institut allemand des médicaments.
 
Les essais étaient tout sauf anodins… Il y aurait ainsi eu des victimes. Pour ceux concernant le Spirapril des laboratoires suisses Sandoz (racheté depuis par le suisse Novartis), un médicament contre l’hypertension, «six des 17 personnes ayant subi le test» seraient décédées dans une clinique à Lostau (Saxe-Anhalt), croit savoir Der Spiegel. Deux autres seraient décédées lors de tests concernant le Trantal, un produit améliorant la circulation sanguine développé par le groupe ouest-allemand Hoechst (fusionné depuis au sein du groupe français Sanofi).
 
«Exportations immatérielles»
«Dans la RDA, il n’y avait pas de liberté d’expression, pas de contrôles publics. Les entreprises s’accommodaient en silence que des citoyens restent sur le carreau», constate Roland Jahn, chef des archives de la Stasi, la police politique du régime est-allemand, et lui-même un ancien dissident. Les avantages d’un Etat totalitaire, en quelque sorte…
 
L’affaire aurait commencé en 1983. A cette époque, les firmes pharmaceutiques voyaient les législations nationales se durcir suite à plusieurs scandales. D’où la volonté de s’affranchir de certaines règles chez des partenaires moins regardants…
 
De son côté, la dictature stalinienne d’Erich Honecker, exsangue économiquement, avait un grand besoin des devises occidentales. Conséquence d’une économie chancelante: le système de santé était touché par des restrictions, et de nombreux médecins cherchaient à émigrer à l’Ouest, raconte Der Spiegel. Inquiet, le régime cherche alors la parade : en clair, il s’agit de trouver de l’argent. D’où des négociations très âpres avec des labos pharmaceutiques portant sur des «exportations immatérielles», comme le rapporte le journaliste Carsten Opitz, co-auteur d’un reportage sur l’affaire, intitulé «Des tests et des morts» et diffusé sur la chaîne ARD…

«Des tests et des morts»

Mis en ligne le 4-12-2012. En allemand.

Des indemnités pour les victimes ?
Pour l’instant, lesdits labos font profil bas. La Fédération des entreprises de recherches allemandes (VFA) s’est dit «prête à toute discussion sur la façon dont elle peut contribuer» aux enquêtes actuelles. Bayer affirme que ses tests «sont et ont toujours été pratiqués » selon les «mêmes règles, partout dans le monde». «Nous partons du principe» que les tests réalisés en RDA pour le groupe étaient conformes aux standards, a dit la firme allemande

De leur côté, les suisses Novartis et Roche se sont montrés ouverts à des recherches sur le sujet. Le second souligne qu'il faudra cependant bien faire la différence en fonction du contexte, «les connaissances scientifiques d'il y a trente ans ne correspondant plus forcément à celles d'aujourd'hui».
 
Des enquêtes officielles ont été lancées pour éclaircir cette ténébreuse affaire qui déborde sur le plan politique. Roland Jahn a enjoint l’industrie pharmaceutique «d’ouvrir ses archives et de contribuer financièrement» pour établir la vérité. De son côté, le responsable gouvernemental chargé de l’ex-République démocratique allemande, Christoph Bergner, a évoqué l’éventualité du paiement d’indemnités. Mais pour l’instant, aucun labo n'a souhaité s'exprimer sur d'éventuels dédommagements de victimes.

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