L'économiste Kai Carstensen à propos du jugement de Moody's sur l'Allemagne
Moody’s a abaissé de «stable» à «négative» la perspective pour l’Allemagne, mais aussi les Pays-Bas et le Luxembourg, trois pays notés «triple A». Concrètement, ce placement sous perspective négative signifie que l’agence n’exclut pas un abaissement de la note souveraine.
Elle justifie sa décision par «la probabilité de plus en plus forte d'une sortie de la Grèce de l'euro» et par l' «impact» d'un tel événement sur des Etats-membres de la zone euro, notamment les plus solides. «Même si un tel événement est évité, il existe une probabilité de plus en plus forte qu'une aide à d'autres Etats de la zone euro, notamment l'Espagne et l'Italie, soit requise», ajoute Moody 's. A ses yeux, le «fardeau» devrait peser plus « lourdement » sur les Etats considérés comme les plus solvables de la zone euro. En clair, Allemagne, Pays-Bas et Luxembourg risquent de supporter l’essentiel d’une éventuelle aide à l’Italie et l’Espagne.
Le ministère allemand des Finances a aussitôt réagi à cette annonce en assurant que l'Allemagne, première économie en Europe, continuerait d'être l' «ancre de stabilité dans la zone euro».
D’où l’interêt d’un point de vue indépendant… En l’occurrence celui du Dr Kai Carstensen, économiste au prestigieux IFO (Institut für Wirtschafsforschung) basé à Munich, responsable d’un très influent indicateur du moral des chefs d’entreprise. A ses yeux, l’Allemagne, malgré sa puissance économique, n’est pas en mesure de prendre en charge la dette d’autres Etats européens.
Comment interprétez-vous le fait que Moody ait placé l’Allemagne sous perspective négative ?
C’est seulement un signal d’avertissement. Un avertissement que dans l’état actuel des choses, l’Allemagne n’échappera pas à la crise dans la zone euro avec la politique actuelle de prise en charge de la dette d’autres Etats. Les investisseurs sont sceptiques. Ils ne croient pas que des pays comme l’Allemagne et la France, qui sont les deux principales puissances économiques de l’UE, soient capables de supporter une telle prise en charge.
L’Allemagne ne constitue pas une exception. C’est peut-être le plus sûr des pays de l’UE. Mais la sécurité qu’elle offre n’est pas absolue.
Les investisseurs ont tendance à penser qu’ils ne récupèreront pas leur argent. Le volume de la garantie accordée, notamment par l’Allemagne, est trop énorme. S’il faut un plan d’aide pour l’Italie, les conséquences pourraient être terribles.
Alerte sur le AAA allemand: les marchés restent prudents
euronews, 24-7-2012
Moody’s met en avant la « vulnérabilité du système bancaire allemand », liée notamment au fait que les établissements financiers d’Outre-Rhin sont très exposés en Italie et en Espagne. Qu’en pensez-vous ?
Encore une fois, l’Allemagne ne fait pas exception en Europe. En matière bancaire non plus A l’exception de la Deutsche Bank, qui est entièrement privée, la plupart des grandes banques sont liées à l’Etat fédéral et aux Länder. Si elles ont des difficultés, c’est donc l’Etat qui devra mettre la main à la poche, ce qui aura pour effet d’augmenter son endettement.
Qu’en est-il, aujourd’hui, de la situation économique de votre pays ?
La situation des affaires n’est pas mauvaise. L’économie allemande n’est pas guettée par la récession, comme ailleurs en Europe. Mais justement, cette situation et l’incertitude qui entourent la crise du Vieux continent, rendent les investisseurs hésitants. Ils craignent un retour au D-mark et une réévaluation de 30 à 40 % que cette devise pourrait alors subir.
Avant la mise en place de l’euro en 2002, les surplus de la balance commerciale de l’Allemagne pesaient sur sa monnaie. L’euro a permis de desserrer cet étau et de rendre son économie compétitive par rapport aux Etats-Unis et à l’Asie. Un retour en arrière risquerait donc d’entraîner un surenchérissement du mark.
Le "miracle économique allemand": décryptage
Euronews, 7-2-2012
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