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Après-guerre: expulsés de leurs pays natals parce qu'Allemands

A la fin de la Seconde guerre mondiale, près de 15 millions de «Volkdeutsche» («Allemands ethniques») vivent hors d’Allemagne depuis des siècles, répartis entre URSS, Pologne, Tchécoslovaquie… Pour leur soutien réel ou supposé à la conquête hitlérienne, la quasi-totalité des «Volkdeutsche» seront expulsés de leurs pays natals et déportés vers l’Allemagne, au prix de 500.000 morts.
Article rédigé par zacharie boubli
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Publié Mis à jour
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Expulsés allemands.
«Les trois Gouvernements (Moscou, Londres et Washington), après avoir examiné la question sous tous ses aspects, reconnaissent qu'il y aura lieu de procéder au transfert en Allemagne des populations allemandes restant en Pologne, en Tchécoslovaquie et en Hongrie. Ils sont d'accord pour estimer que ces transferts devront être effectués de façon ordonnée et humaine.»
                            Acte final de la Conférence de Potsdam, article XIII, 2 août 1945, cité par R. M. Douglas dans Les Expulsés (publié en 2012), premier ouvrage de référence sur cet épisode.
 NDLR : le terme «Allemand» désigne ici les Allemands ethniques (minorités germanophones d’Europe de l’Est) et non les citoyens d’Allemagne.
 

Des Allemands dans toute l'Europe
Pendant 700 ans, des colons allemands s’installent par vagues successives entre le Danube et la Volga à l’appel du Pape. Ils sont venus christianiser (et parfois asservir) Slaves, Baltes et Magyars. Au XIXe siècle, leur existence devient un enjeu de taille pour le jeune nationalisme allemand : le mouvement pangermaniste réclame la réunion de tous les Allemands dans une grande Allemagne. Mais le Traité de Versailles et la dislocation de l’Autriche-Hongrie laisse des millions d’Allemands minoritaires en Tchécoslovaquie, Pologne, Hongrie et Yougoslavie. Le programme d’Hitler prévoit dès le départ de les réunir dans le IIIe Reich.
 
Carte des principales minorités germanophones autour de l'Allemagne au moment de la rédaction de Mein Kampf (milieu des années 20)

Il commence en 1938 : l’Allemagne annexe l’Autriche puis les Sudètes tchécoslovaques peuplées de Sudetendeutsche (Allemands des Sudètes représentant un quart de la population tchécoslovaque). En 1939, le Pacte germano-soviétique donne l’occasion de «rapatrier» des Allemands de la Mer Noire, de la Volga et des Pays Baltes. Puis l’invasion de la Pologne permet de retrouver les provinces cédées en 1919.
L’occupation nazie de la Pologne sera extrêmement violente : les plans d’Hitler prévoient la destruction de la nation polonaise et des juifs. Les élites sont massacrées et la population réduite en esclavage au profit des Allemands. 16% des Polonais meurent pendant la Seconde guerre mondiale.

Pour les Soviétiques, l’entrée en Allemagne est l’occasion d’enfin venger les 13 millions de civils et 10 millions de soldats soviétiques tués par l’invasion allemande. Des millions de femmes allemandes, hongroises, slovaques et ukrainiennes sont violées. Les civils polonais, biélorusses et tchécoslovaques sont incités à se venger de leurs anciens oppresseurs. Des pogroms éclatent contre les Allemands… et contre les juifs survivants de la Shoah.
 
Victimes allemandes de l'Armée rouge. Les blessures sur les jambes des femmes suggèrent fortement des viols de guerre.

Le plan des Alliés : Opération Swallow                 
Depuis 1942, le Foreign Office envisage de procéder à des déplacements de populations allemandes et hongroises pour asseoir la prochaine paix sur des Etats «ethniquement homogènes». On souhaite éviter ainsi de réitérer les erreurs de 1919 où une paix imparfaite avait semé les germes de la guerre.
Ce projet ne choque pas particulièrement : Churchill le défend aux Communes en 1944, Roosevelt s’y laisse rallier tandis que son prédécesseur Herbert Hoover réclame à grands cris que la «panacée» du déplacement de population soit administrée à l’Europe.
 
Il existe en effet un précédent : en 1923, le Traité de Lausanne avait mit fin à la Guerre d’Indépendance turque en prévoyant des échanges de populations «baïonnette dans le dos»: un million et demi de Grecs ottomans contre 400.000 musulmans de Grèce. Les grands empires coloniaux sont d’ailleurs familiers de ce type de politique et considèrent que les Allemands à expulser auront in fine mérité leur sort.
 
Ce sont donc les puissances occupantes de l’Allemagne (USA, URSS, Royaume-Uni, France) qui prendront en charge les transferts. Comme aucune ne souhaite voir sa zone d’occupation envahie d’expulsés à nourrir, vêtir et loger, elles contingentent le nombre d’Allemands à accueillir.
 
Les quatres zones d'occupation alliée en Allemagne. La zone soviétique devient la RDA tandis que les autres zones fusionnent pour former la RFA.

La zone soviétique accueillera donc 2,75 millions d’Allemands de Pologne et Tchécoslovaquie, la zone américaine 2,25 millions de Tchécoslovaquie et Hongrie, la zone britannique 1,5 millions d’Allemands des Territoires reconquis (Pologne occidentale) et la zone française 150.000 des Sudètes transitant par l’Autriche.
 
Pour procéder aux transferts «de façon ordonnée et humaine», un Combined Repatriation Executive est établi le 20 Novembre 1945. Cet organe réunit des représentants des pays expulseurs et des puissances occupantes, mais ne disposera ni de l’autorité, ni des moyens nécessaires pour éviter le désastre humanitaire qui attend les expulsés. Parmi ses premières actions, le transfert en Allemagne de 1000 Souabes (Allemands de Hongrie) le 15 décembre 1945, en wagons chauffés devant un parterre de journalistes.

Expulsions sauvages
Les décisions feutrées de Potsdam arrivent cependant bien trop tard. Car les expulsions ont en fait commencé dès la libération des territoires nazis…et ne sont ni ordonnées, ni humaines.
                       
En Tchécoslovaquie libérée, environ un dixième des 3 millions de Sudetendeutsche ont déjà fui l’avancée soviétique. Au reste, on impose rapidement le port de signes distinctifs (brassards colorés) pendant que commencent des mois de persécutions antiallemandes.
 
Les violences qui touchent les Allemands des Sudètes sont présentées à l’opinion publique internationale comme des manifestations populaires spontanées. Mais c’est une véritable politique d’Etat qui vise les Allemands. Pendant l’été, le président Benes passe une série de décrets spéciaux qui privent les minorités allemande et hongroise de la citoyenneté tchécoslovaque, de leurs biens et de leurs terres.
 
A Brno, le Comité national de Libération décide l’expulsion des 25.000 Allemands de la ville, en majorité des femmes et des enfants.
Ils sont rassemblés dans la nuit du 30 mai 1945 par les partisans tchécoslovaques, disposant de quelques minutes pour rassembler leurs affaires et préparer des vivres pour 10 jours. Puis ils sont emmenés à pied vers la frontière autrichienne, distante de 55 km. Des centaines de personnes meurent d’épuisement sur la route. Elles sont achevées sans ménagement par les gardes.
A l’arrivée à la frontière autrichienne, consternation : les autorités d’occupation soviétiques refusent ce flot humain qu’elles n’ont aucune envie de prendre en charge. Les Allemands doivent donc rebrousser chemin. Ils échouent dans un village déserté où rien n’est prévu pour les loger. Ils y resteront des mois, sans soins médicaux et sans approvisionnement. Les morts se comptent par centaines.
 
A Usti-nad-Labem (Aussig-sur-Elbe), le 31 juillet 1945, un dépôt de munitions explose et tue 28 personnes, surtout des Allemands. On n’en attribue pas moins la responsabilité à des Werwolf (SS ayant pris le maquis après la Libération). Les Allemands sont victimes d’un déchaînement de violence auquel participent les ouvriers, les partisans, les autorités soviétiques et l’armée tchécoslovaque. Ils sont tabassés et jetés dans l’Elbe, ceux qui surnagent abattus par balles. 
 
Au total, environ 400.000 Sudetendeutsche quittent la Tchécoslovaquie entre mai et novembre 1945.
 
Concernant la Pologne, les chiffres ne sont pas fiables étant donné que la situation des Allemands y est extrêmement confuse. Sans parler des populations de culture mixte (parlant allemand et polonais), il faut compter avec le fait que la Pologne est «déplacée» de 200 km vers l’Ouest pour compenser les gains soviétiques de l’invasion de 1939 que Staline refuse de lâcher. Des régions d’Allemagne orientale sont donc annexées par Varsovie. Les Allemands qui y vivaient doivent être expulsés, même si la plupart ont fui début 1945.
 
Pour compenser l'annexion soviétique du tiers est de la Pologne d'avant-guerre, les Alliés attribuent des provinces allemandes à Varsovie. (Adam Carr)

Beaucoup tentent de retrouver leurs maisons en traversant la nouvelle frontière (ligne Oder-Neisse). Ceux qui y parviennent sont à la merci de colons polonais ou de soldats soviétiques sans scrupules, venus piller les villes désertées des Territoires reconquis dans une atmosphère que Douglas rapproche du Far West. Les Allemands prisonniers de l’armée ou des gardes-frontières polonais sont quant à eux expulsés sans ménagement vers l’Allemagne, souvent après avoir été victimes de graves violences.
 
Enfin, des dizaines de milliers d’orphelins livrés à eux-mêmes, les Wolfskinder («enfants-loups») passeront des années à errer en Prusse orientale, entre la Pologne et la Lituanie.
 
Trains et camps de concentration
A partir de la fin 1945, les expulsions prennent un caractère plus systématique : les Allemands doivent être rassemblés dans des camps de transit satisfaisant aux critères de la Croix-Rouge en attendant leur transfert dans le respect des calendriers et contingents établis par le Combined Repatriation Executive.
 
Dans les faits, l’opération se déroule dans une désorganisation qui provoque encore des dizaines de milliers de morts. Les camps de transit polonais, tchécoslovaques et yougoslaves sont improvisés, sous-équipés et sous-approvisionnés. On utilise parfois d’anciens camps de concentration nazis pour y loger les expulsés : à Auschwitz-III, les derniers détenus juifs quittent le camp quinze jours avant l’arrivée d’Allemands.
 
Expulsés allemands des Sudètes quittant la Tchécoslovaquie. 

Les Allemands ainsi «rassemblés» sont affamés, ne recevant parfois qu’un bol de soupe claire et deux tasses de faux café par jour ; dépouillés (leurs biens et leur argent sont confisqués par l’administration, extorqués par les miliciens ou volés) ; exploités (l’administration des camps a souvent trop peu de moyens et empoche de l’argent à bon compte en louant le travail des internés aux fermiers et entreprises locales) et maltraités. La plupart des femmes pubères sont violées ou prostituées pour les gardes et les soldats, les hommes et les enfants torturés et humiliés.
 
Pour la plupart des réfugiés, une place dans un convoi pour l’Allemagne ne signifie pas la fin du calvaire. L’organisation des transports est déficiente et les autorités locales sont pressées de se débarrasser de «leurs» Allemands. On n’hésite pas à entasser les réfugiés dans les wagons, alors que les convois commencent en plein hiver. Il faut souvent plusieurs jours de voyage pour parcourir quelques centaines de kilomètres. Les trains peuvent être attaqués par des bandits, auquel cas les gardes monnayent leur protection auprès des réfugiés. Le froid, la faim, les maladies et l’entassement tuent dans chaque wagon.
 
La fin du voyage n'est pas la fin du calvaire
A l’arrivée, les Anglais et les Américains doivent prendre en charge des réfugiés complètement démunis. Les règlements obligeant les expulseurs à nourrir les Allemands et à leur permettre d’emmener des bagages sont ignorés : Polonais et Tchécoslovaques jouent du fait que les Anglo-Américains n’osent pas renvoyer les Allemands mourir de faim. Les Soviétiques, eux, n’hésitent pas à renvoyer tout convoi insuffisamment approvisionné (l’occasion de nouveaux morts).
 
Si les dirigeants occidentaux ne souhaitent pas s’aliéner leurs nouveaux alliés d’Europe de l’Est en manifestant une «sensiblerie déplacée» au sort des Allemands, la Croix-Rouge et les journaux finissent par les pousser à améliorer le sort des expulsés encore en transit. Il reste que ces derniers arrivent dans un pays où les villes sont en ruines et doivent s’entasser dans des granges, gymnases, grottes… Les autorités d’occupation sont affligées de constater que la quasi-totalité des Allemands qu’ils ont à prendre en charge sont des vieillards, des femmes et des enfants. Les travailleurs valides ont en effet été retenus dans leurs pays d’origine…
 
Le gros des opérations prend fin à la fin 1946, quand Britanniques, Soviétiques et Américains constatent que les quotas établis un an plus tôt sont atteints. Plus de 6 millions d’Allemands sont arrivés en Allemagne, une masse qui permet au pays vaincu de compenser ses pertes de guerre. Les chiffres varient, mais on peut considérer que plus d’un demi-million de civils sont morts dans l’opération, victimes de la désorganisation et des négligences (parfois volontaires) des Alliés.

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