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Poumon de la ville, lieu de fête des supporters et "théâtre social" : cinq Barcelonais nous racontent leur Rambla

Loin de l’image froide et aseptisée des Champs-Elysées, La Rambla est un lieu de vie fréquenté par les habitants de Barcelone au quotidien. Après l’attentat qui a coûté la vie à 13 personnes, cinq habitants de la cité catalane racontent leur relation à cette avenue où se déroulent petits et grands moments de la vie barcelonaise.

Article rédigé par Pierre Godon, Raphaël Godet - Mathilde Goupil
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9 min
La Rambla de Barcelone est un haut lieu touristique de la cité catalane.  (ALBERT GEA / REUTERS)

Qu'on l'appelle La Rambla, à l'espagnole, Las Rambles, à la catalane, ou Les Ramblas, à la française, l'artère composée d'une succession de cinq avenues court sur 1,2 kilomètre en plein cœur de Barcelone. Elle est indissociable de l'image de la capitale catalane, pour les touristes, mais aussi pour les Barcelonais qui la peuplent chaque jour et s'y retrouvent aussi pour célébrer les victoires du Barça ou réclamer l'indépendance de la région. Jeudi 17 août, c'est précisément sur cette avenue symbolique qu'un terroriste s'est engouffré au volant d'une fourgonnette, faisant des embardées pour renverser un maximum de personnes. Treize personnes ont été tuées et une centaine ont été blessées. 

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Franceinfo a demandé à cinq Barcelonais de raconter "leur" Rambla. 

Marie, guide touristique : "Toutes les classes sociales s’y côtoient"

"L’endroit que je préfère, c’est le marché de la Boquería. Tu en prends plein les narines et les yeux." Marie Moncourt, 39 ans, connaît par cœur le quartier de La Rambla. Et pour cause, cette Française est guide touristique dans la capitale catalane depuis 13 ans. La Boquería est le plus vieux marché de Barcelone, élu plus beau du monde par CNN. Etals de poissons et de fruits de mer rivalisent avec les expositions de fruits et légumes, quand des restaurateurs proposent sous l'immense halle métallique le meilleur de la gastronomie catalane. 

Quand on lui parle de sa ville d'adoption et plus particulièrement de son artère touristique, elle a la voix qui chante. "C’est un des lieux immanquables de Barcelone. La Rambla est un lieu de rencontres depuis toujours. On vient y sentir l’ambiance", explique-t-elle. D’abord située à la limite de la ville, la célèbre avenue et ses multiples commerces s’invite intra muros au XVIe siècle, lors d’une phase d’extension de Barcelone. Aujourd’hui, "toutes les classes sociales s’y côtoient" grâce aux lieux variés qui la bordent : opéra, grands magasins, cafés... "C’est un théâtre social à ciel ouvert, tu t’assois et tu observes les gens passer", explique cette amoureuse de la Catalogne.

"Et si je dois associer une image à La Rambla, c’est celle de la foule, assure la trentenaire. C’est un lieu très beau, mais il y a toujours du monde, de jour comme de nuit." Ces dernières années, Marie et ses collègues ont d’ailleurs bien senti que l’avenue pourrait être une cible, comme le marché de Noël à Berlin ou la promenade des Anglais à Nice. "C’est un lieu difficile à surveiller à cause des milliers de personnes qui y passent chaque jour. Ce n’est pas comme la Sagrada Familia, où on peut contrôler les sacs à l’entrée. Ici, aucun contrôle n’est possible."

Victoria, pharmacienne : "J’ai acheté mon magasin le jour de la mort de Franco"

Dans la queue, un monsieur est là pour des maux de tête, et une dame cherche de la crème solaire. Bref, un jour comme un autre au numéro 44 de La Rambla. Derrière le comptoir de sa pharmacie, Victoria Aguilar Peyra a la solution pour n’importe quel bobo. Et quand un médicament se trouve dans un tiroir trop haut, elle envoie son collègue, "plus grand, plus souple et plus jeune".

Car la gérante, qui a eu 73 ans cette année, est installée ici depuis près d’un demi-siècle : 42 ans précisément. Peu de gens le savent ici, mais Victoria a acheté la pharmacie le jour de la mort du dictateur Franco, le 20 novembre 1975. "Les semaines d’après ont été compliquées. Il y avait des problèmes tous les jours avec la police, les manifestations… D’ici, je voyais les gens courir à toute vitesse." 

Victoria Aguilar Peyra derrière le comptoir de sa pharmacie située sur La Rambla à Barcelone (Espagne), le 18 août 2017. (RAPHAEL GODET / FRANCEINFO)

En quatre décennies, elle a assisté à l’évolution du quartier, "les commerces qui ferment et ceux qui ouvrent" et "les attrapes-gogos pour touristes toujours plus nombreux". Elle le voit bien d’ailleurs : la moitié de ses clients sont du quartier, les autres sont étrangers. Ce qui pose parfois quelques soucis de compréhension pour la vieille dame, "surtout quand la personne est là pour des problèmes particuliers" : "Allez expliquer à quelqu’un qui ne parle pas votre langue que c’est tel comprimé qu’il faut prendre s’il veut en finir avec sa diarrhée... Alors je fais des gestes pour être sûre d’avoir bien été comprise."

Sur les coups de 20h30, juste avant la fermeture, c’est de cachets d’aspirine qu’il ne faut pas qu’elle manque. "Les jeunes se dépêchent d'en acheter avant de s’engouffrer dans les bars du quartier, en prévision de ce qui les attend le lendemain matin au réveil…" Car La Rambla est aussi le rendez-vous des noctambules qui passent de bar en bar dans le Barrio Gotico, le quartier adjacent, haut-lieu de la fête barcelonaise. Quand on l'interroge sur l'attentat de jeudi, Victoria se rembrunit : "Jusque-là, le quartier était tranquille. Bruyant mais tranquille. Au pire, on assistait à quelques bagarres le soir, tard. Mais c'est tout. Ce qui s'est passé, c'est inimaginable."

Miguel, kiosquier : "La Rambla, c’est le poumon de Barcelone"

C’est tellement gros que Miguel Carrillo a dû nous le répéter deux fois. Son kiosque a beau être rempli de maillots blaugrana, lui est "plutôt pour l'autre". Comprenez le Real Madrid, l’ennemi juré du Barça. Et le pire dans l'affaire, c'est que les victoires du FC Barcelone sont toujours fêtées ici, au pied de son lieu de travail. "Ces soirs-là, je me mets au fond de mon kiosque et j'attends que ça se passe", rigole-t-il.

Miguel Carrillo assis devant son kiosque-situé sur La Rambla à Barcelone (Espagne), le 18 août 2017. (RAPHAEL GODET / FRANCEINFO)

Pour rien au monde, Miguel ne changerait de place. "La Rambla, c’est le poumon de Barcelone", décrit joliment l’homme de 56 ans, dont 39 passés derrière le comptoir, à vendre des ballons et des cartes postales à qui en veut bien. "Regardez, c'est populaire dans le bons sens du terme, décrit-il. Tu croises un ado sur sa trottinette, un gars en costume, un touriste égaré... Et tout le monde vit bien comme ça."

A Paris, vous avez les Champs-Elysées, à New York, ils ont la Cinquième Avenue, eh bien nous on a La Rambla. Un endroit où tu peux rire, boire, manger, chanter, faire du shopping... Tu peux tout faire sur vingt mètres.

Miguel, kiosquier à Barcelone

à franceinfo

Miguel nous interrompt, une urgence. Un touriste veut une ristourne sur des magnets. Malgré l'attaque de jeudi, le kiosquier garde le sourire.

Olivier, spécialiste du Barça : "Les supporters reviendront fontaine Canaletes"

Demandez à un supporter du Barça quel est le lieu iconique de La Rambla, et il vous parlera aussitôt de la fontaine de Canaletes, au niveau du numéro 131, à quelques pas de la place de Catalogne. Boire son eau renforce l’amour que vous portez à la cité catalane et vous y fera revenir, selon la légende. "Elle est devenue un symbole car située en face du journal La Rambla, qui affichait le résultat des matchs du Barça sur une grande ardoise. Les amoureux du club ont pris l’habitude de venir y fêter les victoires", raconte Olivier Goldstein, puits de science sur le club blaugrana, journaliste spécialisé fondateur du Blog du Barça, qui s’est expatrié en 2005 pour vivre au plus près sa passion pour l'équipe catalane.

Les supporters du FC Barcelone fêtent la victoire en Ligue des champions de leur club face à la Juventus Turin, le 6 juin 2015, près de la fontaine Canales sur la Rambla. (GUSTAU NACARINO / REUTERS)

Avec l’avalanche de titres remportés par le Barça ces dernières années, la fontaine est apparue régulièrement sur les images de liesse collective. Ne cherchez pas un immense bassin monumental, la fontaine en question ressemblerait plutôt à un lampadaire ouvragé d'où sortent quatre robinets. "Maintenant, elle n’est réservée qu’aux grandes occasions. Lors de la victoire en Coupe du Roi la saison dernière [le seul titre décroché par les blaugranas après une saison décevante], presque personne n'est venu", semble regretter ce socio, qui s'y est rendu une dizaine de fois pour crier sa joie de supporter.  

Son meilleur souvenir sur La Rambla ? "Après la Ligue des champions décrochée en 2009. Des gens allumaient des fumigènes dans la fontaine (oui, on ne boit pas que son eau ces soirs-là), d’autres l’avaient escaladée pour y brandir des drapeaux du club. C’est réservé aux casse-cou, mais c’est un bon moyen d’avoir sa photo dans le journal."

Et si la fourgonnette qui a semé la mort sur l'avenue jeudi a roulé au pied de la fontaine, Olivier Goldstein ne pense pas que cela "ternisse la réputation du lieu". "Si le Barça gagnait la Ligue des champions demain, forcément, on trouverait un autre lieu. Mais dans un an, si ça se produit, les supporters seront de nouveau au rendez-vous." 

Musa, portraitiste : "Je sais dire 'dessin' dans toutes les langues"

Musa installe toujours son chevalet sur le même bout de trottoir de La Rambla. Entre un vendeur de bijoux et un artiste-peintre. Tout le temps. Ce n'est pas une superstition, juste l’habitude. Il fait partie de ces dizaines d'artistes qui peuplent le terre-plein central de La Rambla. Avec les musiciens, les jongleurs et les "hommes statues", les portraitistes sont l'âme de cette artère touristique.

Musa, portraitiste sur La Rambla à Barcelone (Espagne), le 18 août 2017. (RAPHAEL GODET / FRANCEINFO)

Musa, lui, il couche sur papier les bobines des passants depuis 20 ans. D'ailleurs, juste avant notre rencontre, c’est un Polonais qui souhaitait son "rysunek", son dessin. Parce qu’avec les années, Musa sait de quoi il parle. "Aujourd’hui, je sais dire 'dessin' dans toutes les langues", se vanterait-il presque. Plus sérieusement, il maîtrise le castillan, le catalan, et se "débrouille" en français, anglais, italien, turc, russe, et donc polonais.

Quand il n’y a pas foule près de sa palette à crayons, Musa n’a qu’à tourner son tabouret en bois pour apprécier le spectacle offert par La Rambla. Ainsi, il s’amuse des mimiques des restaurateurs pour convaincre les gens de s'asseoir à leur table, "toujours la même chose, un grand sourire, et un geste de la main pour montrer que leur cuisine est bonne". Il y a aussi "ces ados qui se draguent" dans son dos. Lui entend tout et voit tout. Et la folie touristique de ces dernières années ne lui a pas échappé. Il lui arrive de s’agacer du "bruit des valises à roulettes sur la chaussée","des groupes de jeunes bourrés à la bière à 16 heures"... Mais aussi "des touristes en slip de bain qui foncent droit vers la mer", tout en bas de La Rambla qui débouche sur la zone portuaire, l'aquarium et les premières plages.

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