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Projet de loi climat : "On débat" mais on ne donne pas "plus de moyens" pour ceux qui luttent "sur le terrain", regrette l'avocat Arnaud Gossement

C'est une réforme qui "va venir encombrer la Constitution" et qui n'est que symbolique, critique le professeur associé en droit de l'environnement. L'article 1er stipule que "la France" garantirait la préservation de l'environnement. "Or la France, vous ne la mettrez pas devant un tribunal", souligne-t-il.

Article rédigé par franceinfo
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Arnaud Gossement, avocat et professeur associé en droit de l'environnement, le 16 avril 2013. (THOMAS PADILLA / MAXPPP)

Les députés débattent mardi 9 mars d'un article du projet de loi "portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets", qui vise à faire inscrire la protection de l'environnement dans la Constitution. "C'est une idée magnifique, mais ce n'est pas un sujet de droit", a réagi Arnaud Gossement, avocat et professeur associé en droit de l'environnement à l'université Paris I Panthéon Sorbonne, sur franceinfo. "On a besoin de moyens matériels et humains, beaucoup plus encore que de nouveaux symboles dans la Constitution".

franceinfo : Cette inscription de la protection de l'environnement dans la Constitution était l'une des demandes de la convention citoyenne, est-ce que ce serait un progrès ?

Arnaud Gossement : Il faut rappeler d'abord que c'était une proposition d'Emmanuel Macron lui-même puisque en 2018 et en 2019, le gouvernement avait proposé déjà au Parlement de réviser la Constitution pour inscrire dans l'article premier de cette Constitution une phrase selon laquelle la France garantit la préservation de la biodiversité et lutte contre le changement climatique. Donc, c'est une proposition qui a été reprise effectivement par la Convention citoyenne pour le climat avec, à mon avis, deux limites. La première, c'est d'en discuter à l'occasion d'un référendum à la veille de l'élection présidentielle. Il y a un risque de simplification du débat et de personnification aussi, puisqu'il est possible que certaines personnes ne votent pas en fonction de la question posée, mais de l'auteur de la question. Donc, il y a un risque politique. Et puis, imaginez ce qui se passe si jamais les Français disent non ou s'abstiennent à 70%, ne se passionnent pas pour le débat. Qu'est-ce qu'on dira ? On dira qu'il faut arrêter les efforts pour l'environnement ? Donc il y a ce risque-là sur la forme.

Et sur le fond, est-ce que cet article pourrait permettre par exemple au Conseil constitutionnel de sanctionner un texte qui n'irait pas suffisamment dans le sens de la protection de l'environnement ?

Pour répondre à votre question, je vous propose de comparer deux phrases : celle que le gouvernement propose d'inscrire à l'article premier de la Constitution et celle qui existe déjà à l'article 2 de la charte de l'environnement, une charte qui a exactement la même valeur que la Constitution de 1958. Si l'on compare ces deux phrases, qu'est-ce que l'on voit ? C'est que l'article 2 de la charte de l'environnement parle des "personnes". Ce sont les personnes qui ont un devoir de protection, ce sont des sujets de droit. Vous pouvez engager la responsabilité. L'article premier parle de "la France" qui garantirait la préservation de l'environnement. La France, vous ne la mettrez pas devant un tribunal, vous ne lui passerez pas les menottes, vous ne lui demanderez pas des comptes, ce n'est pas un sujet de droit. C'est une idée magnifique, mais ce n'est pas un sujet de droit. La deuxième chose, c'est que si je vais dans l'article 2 de la charte, il est question de préserver et d'améliorer l'environnement. Il faut aussi réparer tout ce qu'il s'est passé pendant les années précédentes.

"Dans la phrase que le gouvernement propose d'inscrire dans l'article premier, il n'est question que de préservation. On contient le problème, mais on ne répare pas, on n'améliore pas ce qu'il s'est passé."

Arnaud Gossement, avocat et professeur associé en droit de l'environnement

à franceinfo

Ça aussi, c'est un véritable problème. Le troisième problème c'est que dans la charte de l'environnement, on a bien pris soin de ne pas fractionner l'environnement, de ne pas raisonner en silos. L'environnement c'est un tout, qu'il s'agisse de déchets, de produits chimiques, de faune, de flore, d'animaux, tout ça c'est la même chose, c'est l'environnement. La charte ne saucissonne pas l'environnement.

Si elle ne change pas grand-chose, comment expliquer que le patronat, le Medef soit aussi réticent à cette mesure ?

Je pense que c'est une erreur, que les personnes qui disent ça ne représentent qu'elles-mêmes et pas tout le tissu d'entreprises en France qui est représenté aussi par d'autres organisations. Lorsque vous regardez du côté des juristes, une toute petite minorité soutient cette réforme, une écrasante majorité ne la soutient pas parce qu'elle est symbolique, qu'elle va venir encombrer la Constitution et surtout parce qu'aujourd'hui l'urgence ce n'est pas de voter des symboles. C'est de donner des moyens à l'administration, enquêteurs, policiers, inspecteurs, l'ensemble des fonctionnaires qui sont là pour protéger l'environnement et qui n'ont pas les moyens de le faire et aussi d'encourager les entreprises qui veulent s'engager. On a besoin d'une fiscalité qui récompense les entreprises vertueuses. On a besoin de moyens matériels et humains, beaucoup plus encore que de nouveaux symboles dans la Constitution. Pendant tout ce temps, on débat, on débat. On va répondre par oui ou non à une question fort complexe. Mais il n'y aura pas plus de moyens pour les hommes et les femmes qui sur le terrain luttent contre les trafics d'espèces protégées, les trafics de déchets dangereux, ou réparent les pollutions industrielles qui endeuillent le territoire.

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