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Ouïghours et Tibétains: même stratégie d'implantation de la Chine

Il est théoriquement possible de pratiquer sans problème l'une des cinq religions officielles en Chine. Dans la réalité, la Chine est un pays laïc où afficher sa pratique religieuse n'est pas forcément une bonne idée. Quand les régions dites autonomes revendiquent leur spécificité religieuse, la Chine n'est pas loin d'y voir du séparatisme.
Article rédigé par Frédérique Harrus
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 7min
Vieille ville de Kashgar (Xinjiang) sur fond de nouveaux immeubles. (REUTERS/Carlos Barria)

En Chine la liberté de croyance été inscrite dans la constitution en 1978. On est libre de croire dans une des cinq religions officiellement reconnues et validées.  Pourtant, suivant les régions il existe différents niveaux de lecture de la Constitution chinoise et différentes «autorisations» de croyance. A partir du moment où le pouvoir central croit détecter dans la pratique religieuse une forme d’affirmation identitaire ou soupçonne des revendications séparatistes, la liberté de pratiquer et de croire devient toute relative. Elle est même parfois déclarée illégale. Et la répression de se faire féroce.

Les musulmans ouïghours
Ainsi la région du Xinjiang, berceau des Ouïghours, où vivent près de 10 millions de musulmans. Ils ne ressemblent physiquement pas du tout aux Hans, l’ethnie chinoise majoritaire. Turcophones, ils ne maîtrisent pas plus leur langue, le mandarin. Après l’échec d’une tentative d’assimilation «douce» via le mariage ou l’intégration dans les différents rouages de l’administration, Pékin est passé à une méthode plus autoritaire. Interdiction de pratiquer l’islam pour les étudiants et les fonctionnaires. Ils sont priés de manger ostensiblement pendant le ramadan ! Un fonctionnaire repéré comme pratiquant verra, au mieux, sa carrière stagner. Interdiction des autorités locales de porter la barbe pour les hommes, le voile pour les femmes. C’est comme ça que, selon le Quotidien de la Jeunesse de Chine, un tribunal de Kashgar a récemment condamné à six ans de prison un homme de 38 ans, son épouse écopant elle de deux ans d'incarcération pour ces faits.

La ville historique de Kashgar détruite a été reconstruite à l'identique par la volonté des autorités chinoises. But: en faire un centre-ville musée dans lequel des hommes, sorte de figurants folkloriques, sont maintenus pour que cela reste vivant. Rebiya Kadeer, opposante ouïghoure dénonce: «Les autorités ont aussi entrepris la destruction de sites importants pour l’identité ouïghoure, notamment à Kashgar, ville symbole de l’Asie centrale, étape historique de la route de la Soie». «Elles invoquent la destruction de maisons anciennes et dangereuses, la modernisation de la ville. Dans toutes les villes, des traces de nos croyances sont détruites.». Démolir une très vieille ville, la reconstruire à l'identique, toute neuve, propre et nette. Edifier aussi des immeubles de logements neufs, identiques et sans âme et y reloger les Ouïghours chassés par les destructions de l'habitat ancien qui refusent des indemnisations qu'ils jugent trop faibles. Tous «logés à la même enseigne», celle de la Chine.

La situation du Xinjiang n’est pas sans rappeler celle du Tibet. Cette province géographiquement située sous la précédente, à l’extrême ouest de la Chine, comme nous le montre la carte de Geoatlas et Graphi-Ogre sur le site diploweb, bénéficie du même statut particulier de «région autonome». Présentant toutes les deux des intérêts stratégiques non négligeables pour la Chine, comme des zones de passage entre le territoire chinois et le reste du monde à l’Ouest, par exemple. En recelant des gisements de pétrole pour le Xinjiang et des gisements d’uranium pour le Tibet, ces régions sont incontournables et l’une comme l’autre n’ont d’autonome que le nom. 

Les bouddhistes tibétains
Le Tibet aussi a tenté, en son temps, de faire valoir son autonomie, qui elle aussi passait par le fait religieux. On parle plus d’une autonomie, que d’une réelle indépendance qui n’a aucune réalité historique, selon Georges-André Morin puisque le Tibet fait partie du monde chinois depuis au minimum le XIIIe siècle. Ici il n’est plus question d’islam, mais de bouddhisme.

La revendication des Tibétains est celle d’une vie centrée sur la spiritualité avec comme chef politique et religieux le dalaï lama, pour ne pas parler de théocratie. Ce dernier s’est exilé en Inde quand les relations avec la Chine se sont radicalisées.

Depuis les années 50, la même répression existe sur les hauts plateaux tibétains. Les monastères ont été attaqués et détruits. Il y fut question de viol systématique de moines et moniales. Même politique urbaine pour Lhassa, la capitale tibétaine que pour Kashgar. Destruction des vieilles habitations et reconstruction à l'identique. Une ligne de train Pékin-Lhassa a été bâtie .Depuis, elle déverse sur la capitale tibétaine des flots de touristes chinois qui visitent la cité comme un luna park. Jean-Vincent Brisset, directeur de recherches à l’Institut de relations internationales et Stratégiques, pense que « la Chine espère reproduire au Xinjiang ce qu’elle est parvenue à faire en Mongolie, et ce qui est en bonne voie au Tibet, à savoir un ethnocide, une destruction de l’identité culturelle d’un groupe. Sauf qu’elle se heurte à une résistance qui semble vouloir prendre de l’ampleur ». Et d’ajouter : « La province du Xinjiang est une région vivant sous l’apartheid. Les musulmans y sont victimes d’ostracisme et de discrimination de la part des Hans, l’ethnie historique chinoise. Ensuite, il favorise socialement et économiquement cette masse chinoise, jusqu’à rendre leur position extrêmement enviable. L'objectif est que les Hans deviennent majoritaires et qu'ils aient la mainmise sur l'économie régionale. Les Ouïghours n'auront alors pas d'autre choix que de se fondre dans la masse Han.»

Là où les Tibétains ont trouvé une forme de protestation qui les agresse plus eux que quiconque en s’immolant par le feu, les Ouïghours, eux, sont plus «tournés vers l’extérieur». Ils attaquent des postes de police au moyen de couteaux et de bâtons, et d'autre représentations de l'autorité chinoise. Mais quand ils en ont les moyens et la possibilité, ils ne reculent pas devant l'attentat à l'explosif. Jean-Vincent Brisset constate que «pendant longtemps, les attentats attribués aux Ouïghours étaient localisés au Xinjiang. Certaines attaques récentes (Pékin, Kunming...) sont inquiétantes, car elles montrent une extension du problème à d'autres parties du pays.» 

D’où l’inquiétude de Pékin qui voit la situation se radicaliser et lui échapper peu à peu du côté de Ouïghours, suffisament désespérés pour être prêts à tout…

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