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Au lendemain du retour en France de la jeune universitaire, les interrogations demeurent sur les dessous du dénouement

Marchandage Paris-Téhéran ou hasard du calendrier ? Téhéran et Paris ont démenti dimanche tout lien entre la libération de la Française et le sort d'Iraniens, libérés ou libérables en France.Par ailleurs, le gouvernement a démenti lundi que la jeune femme ait travaillé pour les services secrets français.
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Clotilde Reiss en compagnie du ministre des Affaires étrangères Bernard Kouchner à sa sortie de l'Elysée (AFP PHOTO / LIONEL BONAVENTURE)

Marchandage Paris-Téhéran ou hasard du calendrier ? Téhéran et Paris ont démenti dimanche tout lien entre la libération de la Française et le sort d'Iraniens, libérés ou libérables en France.

Par ailleurs, le gouvernement a démenti lundi que la jeune femme ait travaillé pour les services secrets français.

Démenti "formel et catégorique" du Quai d'Orsay
La France a démenti lundi que Clotilde Reiss, l'universitaire rentrée à Paris dimanche après avoir été retenue durant près d'un an en Iran sous l'accusation d'espionnage, ait travaillé pour ses services secrets.

Le ministère des Affaires étrangères a démenti "formellement et catégoriquement" les affirmations de Pierre Siramy, ancien sous-directeur de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE).

Ce dernier, qui a récemment publié un livre sur ses 25 ans passés à la DGSE, a déclaré dans plusieurs médias que Clotilde Reiss avait été recrutée par son service à sa propre demande.

"Elle a travaillé au profit de la France pour collecter des informations qui étaient de nature de politique intérieure (....) et d'autres qui étaient sur la prolifération nucléaire", a-t-il dit sur LCI, ajoutant que la jeune fille était "immatriculée à la DGSE".

Selon lui, elle se serait présentée d'elle-même à l'ambassade de France à Téhéran à son arrivée en Iran par patriotisme et les autorités iraniennes auraient découvert son engagement en scrutant sa correspondance par internet.

Pierre Siramy est poursuivi pour violation du secret de la Défense nationale depuis la fin avril à la suite de la publication de son livre, selon Lepoint.fr, une information confirmée de source proche du ministère de la Défense.

La plainte vise également les chefs de violation du secret professionnel et de divulgation de l'identité de militaires et civils protégés.

Le PS et les Verts demandent des comptes
Le porte-parole du PS Benoît Hamon a demandé dimanche au gouvernement de faire toute la "transparence" sur les "contreparties".

"Je pense que le gouvernement aurait avantage à s'expliquer, à dire clairement, plutôt qu'à nier l'évidence, les choix qu'il a faits et qu'il les justifie. C'est toujours mieux quand on dit la vérité", a dit M. Hamon sur France Info.

"Ce gouvernement a pris l'habitude de vouloir maquiller les choses. Il fait une politique de rigueur, il ne dit que ce n'est pas de la rigueur, il obtient la libération de Clotilde Reiss, qui est une bonne chose (...), il y a manifestement des contreparties", a-t-il affirmé. "Il les nie. Dans une démocratie, on a toujours avantage à faire la transparence et à assumer ses choix", a-t-il ajouté.

Même tonalité du côté des Verts. La secrétaire nationale du parti, Cécile Duflot, s'est elle aussi interrogée sur les contreparties éventuelles à la libération de Clotilde Reiss. "Si c'est le cas, il vaut mieux le dire", a-t-elle dit dimanche au Grand Jury RTL-LCI-Le Figaro. "L'obligation qu'on doit avoir en ce moment, c'est la transparence de l'information", a-t-elle dit. "Je ne suis pas naïve. (...) Il faudrait mieux assumer", a déclaré Cécile Duflot, sans dire précisément à quel type de contrepartie elle pensait.

Le porte-parole adjoint de l'UMP Dominique Paillé s'est dit "scandalisé" lundi par les liens émis entre le retour à Paris de Clotilde Reiss, retenue 10 mois en Iran, et l'éventuelle libération d'Ali Vakili Rad.

Le rôle des intermédiaires

Sans préciser la nature exacte des interventions, Nicolas Sarkozy a remercié dimanche les présidents brésilien Lula da Silva, sénégalais Abdoulaye Wade et syrien Bachar al Assad, "pour leur rôle actif" dans la libération de Clotilde Reiss.

Une déclaration corroborée par les propres dires de M. Wade. Dans un entretien au Parisien, lundi, le président sénégalais soutient que la libération d'Iran de Clotilde Reiss est le "résultat direct" de sa médiation directe. Il assure également qu'elle aurait déjà pu intervenir il y a six mois, s'il n'avait été empêché.

"Dès septembre 2009, j'avais demandé aux Iraniens, lors d'une visite à Téhéran, de la libérer (Clothilde Reiss) pour raisons humanitaires", explique M. Wade qui assure que le président iranien Mahmoud Ahmadinejad avait "accepté". Mais, cela n'a pas eu lieu car le conseiller de l'Elysée aux Affaires africaines André Parant "m'a appelé de Paris pour me demander d'abandonner le dossier, expliquant qu'il y avait quelqu'un dessus et qu'il ne fallait pas d'interférences", rapporte M. Wade. "Jusqu'au jour où, en mars dernier, le président Sarkozy m'a demandé de reprendre ma médiation. Voilà pourquoi on aurait pu gagner six mois", estime-t-il.

Des circonstances opportunes
"Il n'y a aucune contrepartie à la libération de Clotilde Reiss" assurait encore dimanche matin le ministre des Affaires étrangères français Bernard Kouchner.

Reste que l'enchaînement de plusieurs décisions judiciaires apparaît pourtant pour le moins troublant.

L'annonce d'un verdict permettant à Mlle Reiss de quitter l'Iran est intervenue peu après la décision, le 5 mai, de la justice française de refuser l'extradition vers les Etats-Unis d'un ingénieur iranien, Majid Kakavand, retenu en France depuis mars 2009 à la demande de la justice américaine. L'ingénieur avait été arrêté le 20 mars 2009 à l'aéroport parisien de Roissy sur mandat d'arrêt délivré par les Etats-Unis alors qu'il venait passer des vacances en France.

Autre dossier celui de l'Iranien Ali Vakili Rad, condamné en 1994 à la réclusion à perpétuité en France pour l'assassinat, le 6 août 1991, de l'ex-Premier ministre iranien Chapour Bakhtiar. Ayant purgé la totalité de sa peine incompressible de dix-huit ans de détention, Ali Vakili Rad est libérable depuis plusieurs mois.

Retour en France et passage à l'Elysée...

L'avion qui ramenait la jeune française a atterri dimanche peu avant 13h25 sur la base aérienne de Villacoublay (Yvelines), près de Paris, où l'attendaient son père et ses deux frères.

Puis elle a pris la direction de l'Elysée où elle a été reçue pendant une vingtaine de minutes par le chef de l'Etat, en compagnie de sa famille. Carla Bruni-Sarkozy, l'épouse du président, assistait également à l'entretien, ainsi que Jean-David Lévitte, conseiller diplomatique de Nicolas Sarkozy, Bernard Kouchner, ministre des Affaires étrangères, et Bernard Poletti, l'ambassadeur de France en Iran.

Dans une déclaration à l'issue de cette entrevue d'une vingtaine de minutes avec le président, Clotilde Reiss, a remercié Nicolas Sarkozy pour avoir "défendu" son "innocence".

... après dix mois de rétention
Arrêtée le 1er juillet 2009 alors qu'elle s'apprêtait à regagner la France, Clotilde Reiss, lectrice à l'université d'Ispahan, a été officiellement accusée d'atteinte à la sécurité nationale de l'Iran, notamment pour avoir rassemblé des informations et des photos qu'elle aurait transmises à l'attaché scientifique de l'ambassade de France, lors de manifestations dans cette ville les 15 et 17 juin 2009.

La jeune femme de 24 ans a été accusée de participation à un complot occidental visant à déstabiliser le gouvernement iranien après l'élection présidentielle du 12 juin qui a vu la réélection de Mahmoud Ahmadinejad pour un second mandat.

Clotilde Reiss avait été autorisée à la mi-août à attendre son jugement à l'ambassade de France à Téhéran. Paris a toujours affirmé qu'elle était innocente des charges retenues contre elle.

Mardi dernier, le porte-parole du ministère iranien des Affaires étrangères Ramin Mehmanparast avait déclaré espérer une "décision rapide" de la justice de son pays.

Après un jugement la condamnant samedi à une amende, Clotilde Reiss avait été autorisée à quitter l'Iran; "La cour a condamné Mlle Reiss à une amende de 300 millions de tomans (225.000 euros) que j'ai payée ce matin", avait déclaré samedi l'avocat de la jeune femme Me Mohammad-Ali Mahdavi Sabet ajoutant qu'il n'avait pas fait appel de ce jugement, "proche d'un acquittement".

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