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Le Pakistan face au désastre de l'éducation de ses enfants

Le Pakistan tente, une nouvelle fois, de contrôler ses milliers d'écoles coraniques. Essentiellement privées, elles se chargent d'éduquer pas loin de deux millions d'élèves. Le pays feint de réaliser qu'elles ne sont souvent qu'un instrument d'endoctrinement, dont sort une «armée» d'êtres frustes et fanatisés. Sauf que ces écoles ne sont que l'arbre qui cache la forêt du désastre de l'éducation.
Article rédigé par Frédérique Harrus
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Camp de déplacés de Swabi (Pakistan), le 25 mai 2009. Enfants récitant le coran, livre saint de l'islam. 
 ( AFP PHOTO/Farooq NAEEM)

Dans ce pays, qui comptait déjà 181 millions d'habitants en 2013, les chiffres donnent souvent le vertige. Le Pakistan est en déficit financier chronique et peine a éduquer ses enfants. Ce sont donc 13.000 écoles coraniques, appelées madrassas, qui prennent le relais. Elles forment 1,8 millions d'enfants.

Plusieurs d'entre elles dispensent un enseignement très honorable à l'aune de leurs moyens, mais le reproche est fait à la plupart d'être des endroits d'abrutissement et d'endoctrinement des enfants. Ces derniers sont censés y apprendre par cœur le Coran, mais dans sa langue d'origine, l'arabe, qui n'est pas du tout la leur. Les élèves doivent être capables de réciter totalement phonétiquement le livre saint de l'islam. C'est un islam radical sunnite, issu du wahhabisme (saoudien) qui est enseigné, là encore assez éloigné de l'islam local.

Un rapport parlementaire a souligné que les madrassas sont en effet souvent soutenues financièrement par des pays étrangers comme l'Arabie Saoudite, le Qatar ou le Koweït. Les parents pensent que si leur fils peut réciter le livre saint par cœur, la famille ira au paradis et sera lavée de ses péchés. 

Endoctrinement et arabisation
C'est comme ça que l'AFP se fait l'écho des propos d'un adolescent de 12 ans, affirmant que les chiites «ne sont pas de vrais musulmans, ils devraient être convertis à l'islam». Originaire d'un village du Kohistan, un district très conservateur du nord, il se souvient que le mollah local avait l'habitude de clamer dans ses prêches que tuer un chiite rapprochait son meurtrier du paradis. Il est bon aussi de rappeler que certains auteurs des attentats de Londres en juillet 2005 étaient passés par des madrassas pakistanaises.

Pourtant, aussi mauvais soit-il, l'enseignement des madrassas conserve un certain prestige. Un enfant pauvre qui réussira à étudier assez pour devenir mollah permettra ainsi à sa famille de jouir d'un respect social inédit. Il pourra ouvrir à son tour son propre lieu d'enseignement, et en vivre. Forcément, à ce tarif-là, les défections ne sont pas garanties.

Beaucoup s'émeuvent pourtant d'une «arabisation», même plus rampante, de la société pakistanaise. Après la restitution par cœur, et sans aucun sens, du Coran, on constate que les vêtement aussi semblent de plus en plus inspirés des Arabes au détriment des habits pakistanais traditionnels. Il est même question d'une crise d'identité.

Le ministre fédéral de l'Information, Pervez Rashid, avait qualifié les madrassas d'«universités de l'ignorance et de l'illettrisme». Mal lui en a pris, il est désormais l'objet de diverses menaces, nécessitant une protection. Outre le fait qu'elles se soustraient à tout contrôle de l'Etat, permettant aux mollahs d'y régner en maîtres absolus, voire en despotes. Les pires sévices physiques ou sexuels peuvent s'y dérouler sans recours possible des familles des victimes qui se heurtent au mur érigé par ces mollahs tout puissants aidés par des autorités complaisantes. L'Etat tente de reprendre la main, mais malgré des incitations comme des subventions si elles coopérent, les madrassas refusent de se faire enregistrer. 

Peshawar (Pakistan) le 20 décembre 2014. Enfants qui reviennent à l'école après l'attentat qui a coûté la vie à 149 personnes, pour la plupart des enfants.
 (AFP PHOTO / A MAJEED)


Pour autant, le vertige initial des chiffres nous a fait négliger que les élèves des madrassas ne représentent jamais que trois pourcents de la population infantile.
Le Pakistan compte près de 60 millions d'enfants. Prenons le temps de faire une micro pause mathématique, et calculons : 20% d'entre eux, soit 12 millions d'enfants, n'ont tout simplement pas accès à l'école et sont dans l'obligation travailler. 60 millions d'enfants au total, moins 12 millions d'enfants de moins de 14 ans qui travaillent, ça fait 48 millions. Moins les 1,8 millions qui fréquentent les madrassas, ça nous laisse encore 46,2 millions d'enfants, soit 77% de l'effectif qui fréquentent l'école classique publique ou privée.

Une école publique sinistrée
Et là, le constat est accablant pour l'école publique. C'est ce que déplore un éminent physicien pakistanais. Le Dr A.H.Nayyar s'étonne que l'Occident se focalise sur les madrassas, et s'insurge sur ce qu'il nomme «le mythe madrassas» (lien en anglais), alors que le système scolaire public lui-même, semble être un redoutable propagateur de cet islamisme radical. «Il y a des livres, mêmes récents, qui enseignent que l'islam enjoint à tous les musulmans de faire le djihad et de s'y tenir prêts. Et s'y vous ne pouvez pas vous battre vous-même, de le soutenir financièrement, de l'aider, et ainsi de suite... que c'est censé être le devoir de tout musulman. Pas étonnant que le djihad soit si profondément ancré dans la société pakistanaise.»

De même, Jishnu Das, économiste à la Banque mondiale, même s'il conteste l'augmentation de l'enrôlement dans les madrassas remet quelques éléments de réponse à leur place. Selon lui, il faudrait raisonner en terme de foyers et non de nombre d'enfants pour démontrer l'absence d'augmentation de fréquentation des madrassas. Outre le fait que ces madrassas offrent aux familles les plus pauvres une prise en charge totale de l'enfant, il explique la présence d'enfants dans ces écoles coraniques par le rapport qu'entretient chaque famille avec la scolarisation de ses enfants. Laquelle se répartit souvent avec un garçon en école publique, une fille en école privée et le petit dernier en madrassa pour des études plus orientées vers la religion, la spiritualité et le salut de toute sa famille. 




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