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Tunisie : "L'un des échecs de la révolution, c'est de ne pas avoir su résorber les inégalités"

Le 14 janvier 2011, Ben Ali quittait le pouvoir, chassé par un large mouvement de protestation. Francetv info fait le point sur la situation du pays avec Vincent Geisser, chercheur à l'Institut français du Proche-Orient.

Article rédigé par Mathieu Dehlinger - Propos recueillis par
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3 min
Des troupes tunisiennes défilent lors des cérémonies officielles du troisième anniversaire de la révolution, le 14 janvier 2014 à Tunis. (FETHI BELAID / AFP)

Ils devaient au départ célébrer la journée en grandes pompes, avec la future Constitution du pays, mais le texte est encore en chantier. Les dirigeants tunisiens se sont contentés d'une brève cérémonie, mardi 14 janvier, pour marquer le troisième anniversaire de la fuite du dictateur Ben Ali.

Trois ans après le début de la révolution, où en est la Tunisie aujourd'hui ? Francetv info a posé la question à Vincent Geisser, chercheur à l'Institut français du Proche-Orient et spécialiste du pays.

Francetv info : Quel bilan peut-on tirer trois ans après la révolution ?

Vincent Geisser : On a tendance à l'oublier, mais il y a quand même eu des élections libres, les premières avec des forces pluralistes. La transition démocratique commence à se stabiliser. L'Assemblée constituante, chargée de fabriquer la Constitution, assume aussi le rôle d'un parlement normal et il y a eu des avancées législatives du point de vue des droits fondamentaux.

Certes, on est encore dans une "zone grise". Tout cela se déroule dans un climat de fragilité, d'incertitude, mais on n'est pas revenu à la dictature. On n'est pas dans une situation comparable à l'Egypte, où existe un retour à l'autoritarisme militaire, parfois plus dur que sous Moubarak.

Du côté des points noirs, la violence politique a émergé ces derniers mois, avec deux assassinats d'opposants. La Tunisie n'avait pas l'habitude de cela. Des groupes salafistes radiaux s'en prennent directement aux citoyens et aux forces de l'ordre. Ils sont marginaux, minoritaires, et ont tout intérêt à jouer le chaos.

Que reste-t-il de Ben Ali aujourd'hui ?

Reste le syndrome autoritaire, qui ne date pas seulement de Ben Ali, mais qui est l'héritage de cinquante ans d'autoritarisme. Il subsiste des enclaves encore loin d'être démocratisées au sein des institutions. Je pense en particulier aux institutions sécuritaires, au ministère de l'Intérieur.

Le rapport au pouvoir a évolué. Les islamistes comme l'opposition ne sont plus à la recherche d'un sauveur, mais des éléments de culture politique de l'ancien régime persistent. Au sein des partis, il y a encore ces vieux réflexes de pouvoir personnel et un manque de transparence.

La situation économique n'est pas au beau fixe...

Effectivement, l'un des gros échecs de la révolution est de ne pas avoir su résorber les inégalités au sein du pays. Les régions sinistrées du bénalisme sont les régions sinistrées de la démocratie. A l'intérieur et au centre du pays, à Sidi Bouzid, là d'où la contestation était partie fin 2010, la situation économique et sociale est toujours très difficile.

Et puis il faut se rappeler que la Tunisie n'a pas de ressources naturelles sur lesquelles s'appuyer. Ce n'est pas un pays pétrolier ou gazier. Elle a vécu de la rente touristique, mais le secteur connaît une crise structurelle, depuis bien avant la révolution.

Le tourisme de masse s'est développé sous Ben Ali avec des infrastructures anarchiques et beaucoup de corruption. Le tourisme, d'une certaine manière, lavait l'argent sale du régime. Il en reste le modèle d'un tourisme de dumping, où on fait les prix les plus bas, ce qui ne permet pas de rentabiliser les infrastructures.

L'économie devra être réformée : le tourisme donc, mais aussi le développement régional. Il faudra s'atteler également à la question du chômage des jeunes. 

Quels sont les enjeux de 2014 ?

Il va d'abord falloir accoucher de nouvelles institutions, poser définitivement un socle démocratique solide. Pour cela, il faut que l'Assemblée constituante termine son travail et qu'une véritable constitution soit promulguée.

La compétition politique doit se normaliser : islamistes et non-islamistes vont devoir dépasser le contexte de bipolarisation violente. L'opposition anti-islamiste a tendance à tous les considérer comme des radicaux. Les islamistes voient dans les laïques des collaborateurs de l'ancien régime. 

Dans ce contexte, le résultat des prochaines élections, prévues avant la fin de l'année, est difficile à prévoir. Les islamistes ont perdu beaucoup de popularité mais en face, l'opposition est très désorganisée. A côté, des inconnus : les partis populistes, extrémistes, identitaires tentent d'exploiter la crise politique.

Au final, l'enjeu sera la participation. On peut s'attendre à une forte abstention, voire à un boycott dans les régions oubliées du centre du pays. La question est de savoir si la magie électorale opérera ou non.

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