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Somalie. Photo du soldat français tué sur Twitter : "Une manière d'humilier l'adversaire"

Comment les islamistes utilisent-ils les réseaux sociaux ? Les explications de François-Bernard Huyghe, chercheur à l'Iris et spécialiste des stratégies de communication.

Article rédigé par Jelena Prtoric - Propos recueillis par
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3 min
Des shebab, combattants islamistes somaliens, dans un village près de Mogadiscio (Somalie), le 17 février 2011. (ABDURASHID ABDULLE / AFP)

Un tweet, une mise en scène macabre. Lundi 14 janvier, sur leur compte Twitter, les insurgés islamistes somaliens (shebab) ont publié les photos du corps présumé du "chef" du commando français tombé entre leurs mains lors d'une action qui a échoué à libérer l'otage Denis Allex. Le compte relaie en langue anglaise la parole et les actions armées de la milice islamiste somalienne, et il est suivi par plus de 20 000 personnes, dont de nombreux journalistes et chercheurs occidentaux.

Les shebab ne sont pas le seul groupe islamiste à s'essayer aux réseaux sociaux, souligne The Guardian (en anglais). Francetv info a essayé de comprendre cette forme de propagande terroriste via le web avec François-Bernard Huyghe, chercheur à l'Institut de relations internationales et stratégiques (Iris) et auteur de nombreux textes sur le terrorisme et la communication.

Francetv info : Les shebab ont publié la photo en interpellant le président de la République ("François Hollande, cela en valait-il la peine ?"). Quel est le but d’une telle action ?

François-Bernard Huyghe : Il y a d'abord un enjeu symbolique dans ce message. Il fait écho à une tradition archaïque qui consiste à exhiber son trophée, ce que l’on a acquis lors d'un combat. Tout a été mis en scène. Ils veulent montrer leur prise : ils l'ont mis à côté des armes pour souligner son rôle de chef de commando. C'est une manière d’humilier symboliquement l’adversaire, de montrer qu'ils sont mieux entraînés que les Français et qu'ils peuvent se protéger.

Il y a aussi un autre niveau d'interprétation, qui repose sur une stratégie particulière : l'occupation de  l'espace public. En ce sens, le message est destiné avant tout aux médias occidentaux. Il n'écrivent pas en anglais par hasard, écrire en anglais, c’est se donner plus d’importance, et ils veulent occuper les premières pages.  Plus on parle d’eux, plus ils gagnent en importance, et plus ils peuvent négocier. Car, s'ils sont bien prêts à mourir pour leur cause, il ne faut pas oublier qu'ils sont également des trafiquants. De cigarettes, d'armes mais aussi d'otages. L'échange des otages est en quelque sorte un business pour eux, une manière de collecter de l'argent.

Le web est-il devenu un vrai canal de communication pour les terroristes ?

C'est le terrorisme en soi qui doit être perçu comme une tentative de communication. Les groupes terroristes et extrémistes dépendent des médias : au début, les anarchistes faisaient passer leur message par les pamphlets, les Brigades rouges utilisaient des tracts pour signaler, entre autres, les heures où elles étaient prêtes à négocier.

L'histoire du terrorisme a évolué en même temps que les progrès techniques, qui ont permis d'abord une diffusion plus large des attentats dans la presse, puis ont conduit à l'intégration de dessins et de photos avant d'arriver aux reportages télé, qui amplifient l’écho de ces attaques. Le web et les réseaux sociaux changent tout. C'est le média dominant de l'époque et les terroristes ont bien compris comment il fonctionne. Twitter, par exemple, est un moyen excellent de se faire entendre avec très peu d'investissement, et de s'adresser directement à un grand public sans passer par les médias traditionnels.

Pensez-vous que les terroristes se servent du web et des réseaux sociaux pour attirer la jeunesse 

Aux débuts du "printemps arabe", en 2011, il y a eu une vague d'enthousiasme autour de blogueurs démocrates qui utilisaient les réseaux sociaux pour s'organiser. Mais Twitter, Facebook ou YouTube se mettent aussi au service du terrorisme islamique. Bien sûr, ce sont les jeunes qui les intéressent quand ils recrutent. Dans les vallées les plus reculées d’Afghanistan, les chefs des talibans militent à distance, n'utilisant que leurs téléphones portables. 

En outre, via internet, on peut facilement toucher la diaspora. Il existe des "homegrown terrorists" qui ont vécu longtemps comme des Occidentaux et se sont convertis brusquement au jihad, après s'être autoradicalisés sur la toile. Sans chefs, sans être prédestinés par un milieu social, ils se sont rattachés à un réseau
terroriste comme si c'était un réseau social semblable à un autre. Il existe finalement une dimension psychologique dans cette communication sur internet. On ne devient pas terroriste tout seul, on a besoin de faire partie d'un groupe et d'échanger avec ses membres.  

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