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Tunisie: moins de répression vis-à-vis de la consommation de drogue

Aux dires des chiffres, la consommation de drogues augmenterait en Tunisie. Dans le même temps, les autorités ont assoupli une législation particulièrement répressive, notamment vis-à-vis des jeunes. Avant avril 2017, une personne arrêtée en possession de cannabis risquait au minimum un an de prison.
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 3 min

Selon une enquête officielle réalisée en octobre 2017, 31% des 7400 lycéennes et lycéens de 15 à 17 ans interrogés auraient consommé des produits stupéfiants de toutes sortes: colle, psychotropes, subutex, cannabis, cocaïne, ecstasy... En 2013, ils n’étaient que 25%.

Le cannabis (zatla) est apparemment le produit le plus fréquemment utilisé: il représenterait 90% de la consommation. Dans le même temps, «l’ecstazy est le psychotrope le plus populaire chez les fêtards tunisiens», croit savoir le magazine en ligne nawaat.org. Une popularité «liée au trafic transfrontalier en expansion» depuis la révolution de 2011.

Contrairement au Maroc, la Tunisie ne serait pas un pays de production: elle servirait de transit pour les narcotrafiquants, notamment vers l’Europe (par voie aérienne) et vers la Libye (par voie maritime).

En janvier 2017, l’(alors) ministre de l’Intérieur, Hédi Medjoud (il a depuis été remplacé par Lotfi Brahem), confirmait lui aussi un phénomène en augmentation. Selon lui, «quelque 5744 affaires de stupéfiants ont été enregistrées en 2016 contre 723 seulement en 2000».

Pour Hédi Medjoud, les manifestations de Kasserine en 2016 seraient liées aux trafics de drogue. «Selon nos informations, des éléments ont délibérément provoqué ces troubles afin de couvrir l’acheminement de marchandises contenant de la drogue. Ces marchandises ont été saisies», a-t-il affirmé devant des parlementaires. La même année, les autorités ont saisi pour «plus de 600.000 pilules de psychotropes, une quantité importante de cocaïne et de morphine», rapporte de son côté webdo.tn, sans plus de précision.  

En 2015, la plupart des personnes impliquées dans des trafics et la consommation de stupéfiants appartenaient en majorité à la tranche d’âge 18-30 ans et «à la catégorie des ouvriers journaliers». La consommation de drogue chez les jeunes est beaucoup plus visible dans les milieux défavorisés, observe une psychologue citée par nawaat.org. «Les jeunes issus des zones défavorisées sont confrontés à beaucoup de difficultés du point de vue matériel et culturel. Ils sont souvent issus de familles pauvres et précaires avec des pères souvent absents, alcooliques ou violents», explique-t-elle.


Moins de répression
Visiblement, la répression n’a pas su ou pas pu endiguer le phénomène. En 1992, la dictature de Zine El Abidine Ben Ali avait pourtant fait passer une loi (dite «loi 52») prévoyant une peine minimale d’un an de prison et 1000 dinars (337 euros) pour ceux qui détiendraient ou consommeraient des stupéfiants. Les juges n’avaient pas l’autorisation de prendre en compte une quelconque circonstance atténuante. «A l’époque, (cette législation) était souvent utilisée comme prétexte pour réprimer les voix critiques à l’égard du régime», note Jeune Afrique.

On peut cependant se demander si aujourd’hui encore, certaines habitudes n’ont pas la vie dure… En décembre 2015, trois artistes de 30 à 35 ans, Atef Maatallah, plasticien, Fakhri El Ghezal, photographe, et Alaeddine Slim, cinéaste, ont ainsi été condamnés à Nabeul (nord-est) à 12 mois de prison pour détention de stupéfiants, rapporte Le Monde. Trois artistes «connus pour leur œuvre tout autant pour leur combat contre l’archaïsme des politiques du ministère de la Culture». Ils ont finalement été acquittés en appel. «All This for a Joint» («Tout ça pour un joint»), titrait une étude de Human Rights Watch publiée en février 2016… 

Quoiqu’il en soit, on trouverait aujourd’hui dans les prisons tunisiennes quelque 8000 personnes détenues dans le cadre de cette loi, dont près de la moitié en attente de jugement dans des établissements vétustes et surpeuplés. «Beaucoup de gens ici ont vu leur vie détruite par la policeDes jeunes de 17 ans pris avec un pétard sur eux se retrouvent en prison où ils fréquentent des délinquants et des trafiquants», raconte l’un d’entre eux, originaire d’un quartier populaire de Tunis, cité par La Croix. Résultat: depuis 1992, entre 120.000 et 140.000 personnes auraient ainsi été emprisonnées.

Pendant la campagne électorale de 2014, le président Béji Caïd Essebsi avait promis de modifier la fameuse loi 52. En avril 2017, l’Assemblée tunisienne a voté un amendement à ce texte, lequel autorise les magistrats à tenir compte de circonstances atténuantes. Donc d’éviter la prison aux contrevenants «en contrepartie d’un engagement à suivre un processus de soins», précise La Croix. Problème: le pays ne compte (à Sfax, dans le centre-est) qu’un seul centre de désintoxication.

L’amendement n’est qu’une mesure provisoire. Une révision «globale» de la loi est prévue. En janvier 2017, celle qui était alors ministre de la Santé publique, Samira Meraï, évoquait alors une «nouvelle approche» privilégiant «la prévention et le traitement de l’addiction»

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