Etre féministe en Afrique : un combat acharné contre le joug patriarcal
Le féminisme en Afrique déchaîne méfiance et réprobation dès qu’il s’agit de remettre en question les traditions qui confinent la femme dans des rôles secondaires. Mais si la prédation sexuelle masculine reste un tabou, des voix s’élèvent timidement aux quatre coins du continent pour dénoncer "le droit de cuissage" et le harcèlement sexuel "institutionnalisé".
Avant même que n’éclate le scandale mondial sur le harcèlement sexuel qui a libéré la parole des femmes, la blogueuse afro-féministe Aïchatou Ouattara, juriste spécialisée en droit social, expliquait que le féminisme n’était pas quelque chose de spécifiquement occidental et qu’il avait sa raison d’être en Afrique subsaharienne.
"Je pense qu’il faut dépasser la question de savoir si le féminisme vient d’Europe ou non pour se demander plutôt si le féminisme est nécessaire aujourd’hui. Et quand on voit la situation des femmes sur le continent africain, pour moi, le féminisme, c’est la seule solution. A partir du moment où il y a des questions d’excision, de propriétés foncières auxquelles certaines femmes n’ont pas droit, de mariages forcés…", explique-t-elle dans une interview publiée sur le site Femmes Plurielles.
"Vous avez peur qu’on menace votre ego de mâle fragile"
En juin 2016, elle avait posté sur son blog une lettre ouverte intitulée Lettre ouverte d’une afro-féministe aux hommes noirs. Aïchatou Ouattara y dénonçait le poids du système patriarcal qui fait le bonheur des hommes. "Vous avez peur ! Peur de voir les femmes noires s’émanciper, s’autodéterminer et saisir les armes de leur libération. Peur que l’on menace votre ego de mâle fragile ! Peur de devoir remettre en question vos privilèges octroyés par le système patriarcal. Nous ne nous battons pas contre vous, mais contre le joug patriarcal."
En Afrique, les détracteurs du féminisme dénoncent un instrument occidental venu d’ailleurs. Une forme de néo-colonisation contraire aux croyances religieuses et traditionnelles africaines. D’où la difficulté pour celles, encore peu nombreuses, qui osent briser le tabou.
"Je dirais que le harcèlement sexuel est plus que tabou. Je parlerais plutôt d’institutionnalisation. Il y a les pesanteurs sociales, il y a le droit de cuissage, il y a le lévirat, cette pratique qui veut que quand on perd son mari on soit obligée d’épouser le frère du défunt. Il y a quand même un rapport de force. Qui suis-je si je n’ai pas de mari ? Qui suis-je si le frère de mon mari ne s’occupe pas de moi ?", explique la Camerounaise Lady Ngo Mang Epéssé, spécialiste du droit des femmes.
#gabon
— Pahe (@pahedipoula) 19 juin 2016
Scène de vie
"Les Moyennes sexuellement transmissibles".Tous responsables. pic.twitter.com/HlPd9bODbn
"On t’a juste posé la main sur le derrière ! C’est pas grave"
Invitée sur le plateau de TV5Monde, la chercheuse camerounaise dénonce le sort réservé aux Africaines, réduites à "la femme objet", à la merci des caprices du mâle. "Il y a ce désir des hommes de vouloir posséder tout ce qui bouge, les femmes y compris, rendre la femme objet", dénonce-t-elle.
Puis elle décrit un système de harcèlement sexuel qui n’épargne aucun secteur de la société : du milieu scolaire au monde du travail, en passant par la famille et les amis proches, jusqu’au cœur de l’exercice du pouvoir… Et dans le silence le plus absolu, imposé par les pesanteurs sociales. "On entend dire que les femmes sont harcelées par les hommes à cause des mini-jupes. On aurait l’impression de s’entendre dire : mais arrête de faire ta chochotte, on t’a juste sifflée, on t’a juste posé la main sur le derrière, pourquoi voudrais-tu te plaindre. Ce n’est pas si grave", déplore-t-elle.
"Nous perpétuons aussi le sexisme dans la société"
Pour la blogueuse Aïchatou Ouattara, ce traitement réservé aux femmes est le résultat du système patriarcal imposé aux Africaines depuis des décennies. "Je pense qu’en tant que femmes, nous perpétuons aussi le sexisme dans la société. Nous sommes tellement aliénées par ce que l’on vit dans notre société patriarcale, que même nos mères nous ont souvent, d’une certaine manière, éduquées de cette façon", explique-t-elle.
A la fin des années 80, des femmes de la communauté des Samburu, au Kenya, excédées par la domination et les mauvais traitements que leur imposaient leurs maris, avaient suscité la controverse. Elles avaient créé un village interdit aux hommes. Depuis, le village UMOJA est devenu un endroit réservé à toutes les femmes décidées à ne plus vivre sous la domination des lois patriarcales.
Faut-il s’isoler pour échapper à l’emprise des hommes et vivre en femmes libres ? L’expérience du village UMOJA ne semble pas avoir suscité de nombreuses vocations à travers le continent. Et si la nouvelle génération de femmes africaines refuse de subir la soumission qui a été imposée à leurs mères, elle exclut tout ce qui peut contribuer à leur isolement.
Les féministes d’Afrique veulent plutôt se battre pour l’obtention de leur statut de citoyennes à part entière. Et elles veulent le faire à leur façon. Sans reproduire forcément le féminisme occidental. Comme le rappelait souvent Sita Diop, figure emblématique du féminisme au Mali, décédée en 2013 à l’âge de 84 ans. "Si être féministe, c’est lutter pour le droit des femmes, oui je suis féministe. Mais le féminisme africain n’a rien à voir avec le féminisme occidental. Nous ne brûlons pas nos soutiens-gorges. Ce n’est pas en brandissant des machettes que nous allons changer les choses", plaidait-elle.
Le débat reste d’actualité pour les féministes du continent. Il s’agit de conquérir la place qu’elles revendiquent dans la société sans renier totalement les contextes socio-culturels et la pluralité de leurs cultures. Sans oublier de s’assurer le soutien des hommes pour la réalisation de leurs revendications.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.