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Denis Mukwege: un Nobel de la paix pour «l'homme qui répare les femmes» en RDC

Le médecin congolais Denis Mukwege et la militante yazidie Nadia Murad ont reçu le prix Nobel de la paix 2018 «pour leurs efforts pour mettre fin à l'emploi des violences sexuelles en tant qu'arme de guerre». Dans l'est de la République démocratique du Congo, Denis Mukwege s'y attelle depuis deux décennies.
Article rédigé par Falila Gbadamassi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Le Dr Denis Mukwege pose devant l'hôpital de Panzi (Bukavu, RDC), le 18 mars 2015.  (MARC JOURDIER / AFP)

«Les hommes transforment les corps des femmes en champ de bataille. (...) Ca se passe quelque part sur notre planète et il n’y a aucune réaction?», s’indignait le médecin congolais Denis Mukwege dans le documentaire Congo: un médecin pour sauver les femmes de la cinéaste sénégalaise Angèle Diabang.

Ce cri du cœur, le gynécologue-obstétricien que la journaliste belge Colette Braeckman a surnommé L’homme qui répare les femmes, le pousse depuis bientôt vingt ans partout dans le monde. Pour ce combat qu'il mène au risque de sa vie, il s’est vu attribuer le 5 octobre 2018 le prix Nobel de la paix. Une distinction qu’il reçoit avec la Yazidie Nadia Murad, ex-esclave du groupe terroriste Etat islamique. Le médecin a appris la nouvelle alors qu'il opérait à l'hôpital de Panzi qu'il a crée en 1999. 

Ils sont récompensés «pour leurs efforts pour mettre fin à l'emploi des violences sexuelles en tant qu'arme de guerre», a déclaré la présidente du comité Nobel norvégien, Berit Reiss-Andersen. «Denis Mukwege et Nadia Murad ont tous les deux risqué personnellement leur vie en luttant courageusement contre les crimes de guerre et en demandant justice pour les victimes», a-t-elle ajouté.

Depuis 1999, le médecin congolais tente d’apaiser grâce à la médecine le corps des femmes qui subissent des violences sexuelles dans l'est de la République Démocratique du Congo (RDC). 

De Lemera à Panzi, toujours au chevet des femmes
«D’abord médecin, humanitaire et humaniste, il se résolut, à un moment donné, à passer à la vitesse supérieure et à faire appel à l’opinion publique internationale afin que le martyre des femmes du Kivu soit médiatisé, connu du plus grand nombre et désormais jugé intolérable par la "conscience universelle", jusqu’à ce que les "grands de ce monde" se sentent obligés, enfin, de mettre fin à ce scandale. Le témoignage de cet homme a secoué, l’a mis en danger, a suscité autour de lui une sorte de ferveur;  à tel point que Mukwege, devenu un héros international, est aussi pratiquement assigné à résidence dans son hôpital, craignant pour sa sécurité…», écrit la journaliste Colette Braeckman dans la note d'intention du documentaire sur le médecin qu'elle a co-réalisé avec son compatriote, le cinéaste Thierry Michel.   

Né en mars 1955 à Bukavu, Denis Mukwege est le troisième de neuf enfants. Après des études de médecine au Burundi voisin, il rentre au pays pour exercer à l'hôpital de Lemera, sur les Moyens Plateaux du Sud-Kivu. Il découvre alors les souffrances de femmes qui, faute de soins appropriés, sont régulièrement victimes de graves lésions génitales post-partum les condamnant à une incontinence permanente.

Après une spécialisation en gynécologie-obstétrique en France, il rentre à Lemera en 1989, pour animer le service gynécologique. Lorsqu'éclate la première guerre du Congo, en 1996, l'hôpital est totalement dévasté. Pour le documentaire que lui consacre Colette Braeckman et Thierry Michel, il est revenu sur un lieu chargé de souvenirs traumatisants. «C’est la première fois qu’il acceptait de tourner à Lemera où s’est produit le massacre fondateur de tout son engagement et de la violence qui traversera le Congo pendant vingt ans, confiait en 2016 à Géopolis le réalisateur. 

Trois ans après les évènements, en 1999, l'hôpital de Panzi voit le jour à Bukavu. Conçu pour permettre aux femmes d'accoucher convenablement, le centre devient rapidement une clinique du viol à mesure que le Kivu sombre dans l'horreur de la deuxième guerre du Congo (1998-2003) et de ses viols de masse.

Une voix qui porte et qui compte
Dans le film, L'homme qui répare les femmes: la colère d'Hippocrate», Thierry Michel souligne que Denis Mukwege souhaitait «s’engager de manière nette et engager aussi, ce qu’il n’avait pas fait dans d’autres documentaires qui lui sont consacrés, (un) combat contre l’impunité. C’est le thème de toute la campagne que le film orchestre.» Pour le cinéaste, «le combat du docteur Denis Mukwege est multiple sur (la question des violences sexuelles). Notamment parce qu'il est peu probable que ceux qui ont commandité ou exécuté des viols collectifs soient un jour traduits en justice.»

Déjà récompensé en Europe, aux Etats-Unis et en Asie pour son action, ce colosse débordant d'énergie à la voix grave et douce a lancé en 2014 un mouvement féministe masculin, V-Men Congo. «Les viols vont continuer tant que les hommes qui ne violent pas ne lèvent pas leurs doigts», estime le Dr Mukwege. 

Depuis 2015, alors que la RDC s'enfonce dans une crise politique émaillée de violences, Denis Mukwege a dénoncé à plusieurs reprises «le climat d'oppression (...) et de rétrécissement de l'espace des libertés fondamentales» dans son pays.

Les autorités congolaises ont tenu à féliciter le gynécoloque-obstétricien, par la voix du porte-parole du gouvernement Lambert Mende, «pour le travail très important qu'il fait (pour les femmes violées) (...), même si nous avons été souvent en désaccord.» 

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