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Afrique de l'Ouest: information santé et e-santé font face à de nombreux défis

L’objet de cet article est de faire le point sur le décollage – encore balbutiant mais déjà notable – des systèmes d’information orientés santé (SIS) – parfois nommés e-santé – qui se déploient en Afrique de l’Ouest. Il sera donc question des SIS, de leurs caractéristiques, de leurs diversités et de leur contextualisation.
Article rédigé par Catherine Le Brech
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 15min
Le CHU, hôpital national à Ouagadougou. (Burkina24.com)

 

Focus sur une des «priorité des priorités»
Ce déploiement est en totale cohérence avec une des « priorité des priorités » relevées parmi les Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) c’est-à-dire l’amélioration de l’accès aux soins. Il s’agit d’une question cruciale pour un grand nombre de pays d’Afrique subsaharienne. Il s’agit aussi d’insister sur le paradoxe d’une Afrique montrant une forte pénétration numérique et une faible performance sanitaire alors que les deux dimensions pourraient allègrement devenir complémentaires via les technologies mobiles. La santé en Afrique et la santé des Africains se placent au cœur de cette réflexion.

Les systèmes de santé face à des nombreux défis
L’hôpital africain est au cœur du système de santé. Il est donc confronté à de multiples défis. Il s’agit par exemple de relever les défis liés à la formation et à la compétence des personnels, à la légitimité des intervenants dans la chaîne de soins, à la qualité de la prise en charge du patient et de son parcours de soins, à la logistique des centres de soins et des hôpitaux de districts, à l’accompagnement des familles et des ayants droit, à la relation difficile entre soignants et soignés, etc. Il s’agit globalement de relever le défi de la performance organisationnelle de l’hôpital africain et en particulier ouest-africain.

Ces défis sont classiques et bien connus des acteurs économiques et politiques dans les pays émergents. Certaines approches sont bienveillantes et d’autres sont plus alarmantes. Nous insisterons néanmoins sur une approche liée à la dimension numérique qui est moins souvent appréhendée dans ces contextes fragilisés.

Il s’agit d’insister sur le défi d’un pilotage informatisé du parcours du patient et finalement sur l’impératif d’une meilleure circulation, fiabilité et accessibilité de l’information médicale et non médicale concernant ce que nous nommerons son « dossier ».

Le défi de l'e-santé

Nous nous intéresserons ainsi au défi, beaucoup plus rarement abordé dans le cas des économies en développement, d’un système d’information de santé (SIS) qui serait simplement un peu plus adapté, un peu mieux déployé et correctement aligné (au sens de l’alignement stratégique).

L’ensemble de ces défis à relever se traduit aussi bien en termes de coûts structurels et financiers qu’en termes sanitaires, techniques et organisationnels voire bien évidemment en termes sociopolitiques, économiques et de santé publique. À ce titre, il convient de constater que les tentatives de réformes hospitalières amorcées depuis les années 1990 (détaillées notamment à Dakar en 2004) pour moderniser l’hôpital n’ont pas profondément affecté les stratégies organisationnelles.

Certes, les modélisations successivement proposées ont impacté l’organisation structurelle et hiérarchique du moins à la marge. C’est-à-dire que ces projets de modernisations ont bien réussi à toucher le « comment ? » de l’organisation des établissements mais ils n’ont encore que peu affecté le « pourquoi ? ». Le déploiement de systèmes e-santé peut être l’opportunité de s’attaquer à la question du pourquoi et notamment de replacer le patient au cœur du dispositif.

L'hôpital africain comme vecteur de changement organisationnel

L’hôpital est de facto la structure pivot du système de santé. Dans une logique de modernisation, il devrait pouvoir « montrer l’exemple » vers une meilleure performance organisationnelle en définissant, délimitant et déployant de nouvelles formes organisationnelles… plus souples et plus agiles.

Il s’agit d’oser un certain type de transformation organisationnelle. Il s’agit notamment d’insister sur la recherche de nouvelles relations soignant/soigné en se basant sur l’implémentation de technologies de l’information et de la communication – téléphonie, Internet, cloud computing, etc. – dont le « monde extérieur » est à la fois consommateur, animateur, facilitateur et, parfois même, producteur

En cohérence avec la plupart des pays occidentaux, dont les systèmes de santé sont certes très différents en termes de moyens et résultats mais assez peu en terme d’objectifs, ne faudrait-il pas aborder ici de nouvelles pistes liées à la gouvernance des SI de Santé ? Notons les nombreux projets types dossier communicant en cancérologie (DCC), dossier personnel médicalisé (DPM), dossier médical partagé (DMP), dossier pharmaceutique (DP), e-patient, etc. qui parsèment les revues scientifiques et professionnelles en santé, sciences politiques, sociologie, économie ou gestion. Il en effet regrettable ici que la modernisation du système de santé n’intègre pas suffisamment la question de l’e-santé. Il s’agit de prendre en compte la problématique de l’utilisation, de l’appropriation et de l’intégration de TI simples, abordables et robustes (via la téléphonie mobile par exemple) à l’hôpital par et pour le personnel soignant et administratif en premier lieu mais aussi par et pour le patient et sa famille car il est – lui aussi – utilisateur.

La question des résistances zau(x) changement(s)

Au contexte économique, politique et social expliquant partiellement le difficile décollage des technologies de l’information en milieu hospitalier (inadaptation des applications, coupures électriques, coupures Internet, difficulté d’accès aux données et aux réseaux, formation insuffisante des utilisateurs finaux, maintenance complexe et/ou coûteuse, manque d’implication des acteurs, sous-bancarisation, détériorations, etc.) il faut ajouter la réalité de certaines résistances aux changements.

Ces résistances paraissent intrinsèques aux structures bureaucratiques. Elles sont liées d’une part à des facteurs socioculturels, structurels et organisationnels assez prégnants et d’autre part à des facteurs liés à la réalité organisationnelle de l’hôpital basée sur une gouvernance verticale de type hierarchico-fonctionnelle qui :

  • fige les compétences, les rôles et les taches ;

  • fait craindre la perte de pouvoir en cas d’implémentation de systèmes informatisés et la redéfinition d’une corruption agissant par capillarité.

Par exemple, dans le cas du Burkina Faso, les informations sanitaires issues des projets pilotes – parfois ambitieux comme ceux liés à la gratuité des soins – n’ont pas produit l’impact attendu sur l’amélioration de la qualité du système de santé en raison notamment du manque de fiabilité des données collectées et de l’insuffisance d’informatisation des processus. Ces projets se résument souvent à des initiatives isolées, fragmentées et centrées sur la gestion comptable et administrative plutôt que sur la gestion globale du dossier e-santé. De fait, cela induit des organismes – comme le SERSAP – à réfléchir au suivi et l’évaluation de mécanismes et de stratégie visant à limiter les freins culturels et à mettre en place des infrastructures adaptées à l’évolution des contextes.

Néanmoins, des initiatives, même embryonnaires et circonscrites géographiquement, sont développées dans les différents pays africains.

Des projets e-santé au Mali, au Burkina Faso et ailleurs

Nous pourrons ici détailler certains projets e-santé sur des pays de la sous-région proches géographiquement et économiquement.

1. Au Mali

Nous pouvons citer le cas de la République du Mali, des travaux et projets du CERTES et de plusieurs établissements, dont « le Luxembourg » situé à Bamako. En effet, cet établissement pionnier et symbolique, conscient du rôle des TIC dans l’amélioration du suivi, de l’évaluation et du pilotage des politiques de santé, est centré sur la relation Mère-Enfant et se positionne comme moteur du développement d’un web 2.0 interactif et médical.

Sous l’impulsion de son directeur cardiologue, le Pr Diarra, il a notamment déployé une application, Cinz@n, centrée sur les processus de soins et qui fut bien décryptée via la thèse de doctorat de C. Bagayoko en 2010. Cette technologie participe aussi à la planification du projet d’établissement, au suivi de la qualité des soins, à la mise en place de pratiques collaboratives et à une meilleure productivité des ressources mobilisées. Certes, son évaluation est en cours mais sa mise en place est déjà largement saluée comme élément du développement et de la mise en œuvre des systèmes d’information sanitaires et hospitaliers.

D’ailleurs, le 1 avril 2015, l’hôtel Mandé a hébergé un atelier placé sous la tutelle du ministère de la Santé et de l’Hygiène publique où furent présentés des résultats du projet pilote d’informatisation de centre de santé porté par le Centre d’Expertise et de Recherche en Télémédecine et E-Santé (CERTES) et aidé par la Fédération nationale des Associations de Santé communautaire (FENASCOM) intervenant sur deux sites pilotes – Tingolé (région de Koulikoro) et Sirbala (région de Ségou).

2. Au Burkina Faso

Nous pouvons aussi décrypter le cas du Burkina Faso. En effet, même s’il n’existe véritablement pas de SI totalement informatisés dans les structures hospitalières, le récent Hôpital National Blaise COMPAORE (HN-BC) constitue peu ou prou un modèle d’implémentation et d’usage de certaines TI voire pratiques assez novatrices. Nous pouvons commencer par citer les droits et devoirs du patient accessibles via plate forme Internet et continuer en soulignant les données médicales informatisées qui sont présentées – à juste titre – comme faisant partie du portefeuille d’infrastructures de cet hôpital.

En cohérence avec les différentes couches métiers au sein de la structure hospitalière, le SI a été conçu et mis en œuvre à partir d’un logiciel maison baptisé HNBC Door. Ce logiciel a permis la mise en place d’un dossier patient informatisé, la création du bulletin électronique et de l’ordonnance électronique. Ces tentatives d’intégration des sous-systèmes d’information de santé en un seul système d’information de santé centré sur la qualité de la prise en charge du patient sont à souligner et à encourager. Elles visent en effet clairement la question de l’évaluation de la performance

3. Dans la sous-région

Nous aurions pu mobiliser et détailler des projets e-santé émergeant actuellement au Niger, en Côte d’Ivoire, au Bénin, au Togo, etc. tant l’effervescence est grande, tant la jeune population est demandeuse et tant les espoirs de modernité sont manifestes.

Comme le note par exemple les visiteurs d’un grand hôpital de la capitale malienne :

« Ici au Luxembourg où il y a seulement trois ans, c’était la désolation, c’est désormais la bienveillance, le respect et la propreté qui accueillent le patient ».

De nombreuses pistes à envisager

Malgré les limites que nous devons souligner notamment la question de l’implication des acteurs, d’une gouvernance trop top down et d’un système trop étanche, le SI de l’HNBC, fournit quand même à la structure et aux professionnels l’opportunité de meilleurs résultats. En particulier, une meilleure traçabilité du parcours patient en interne avec la prise en charge relativement sécurisée du patient, une meilleure collaboration entre professionnels des soins, une meilleure lisibilité des coûts de production des soins et une réduction des sources de non-valeur. Il reste à travailler la qualité de la relation soignant/soigné notamment en permettant aux soignés d’intervenir sur le système d’information avec un portefeuille d’habilitations – un profil – qui reste à définir en concertation avec la DSI.

Gageons à ce propos que le livret d’accueil puisse être cette interface soignant/soigné qui fera tendre vers la qualité relationnelle recherchée. Gageons aussi qu’un projet comme e-toile fondé sur certaines dimensions du SI (dimension technologique, dimension cadre/activité, dimension humaine) doit pouvoir (1) permettre l’évaluation de la pertinence des processus décisionnels et (2) collecter des données pour proposer quelques pistes d’améliorations. Gageons enfin que l’inventivité des start-up africaines de la téléphonie sera bien utile à tous les acteurs de santé.

Ouvrir la porte...
Un enjeu important se situe donc au travers de la rencontre d’outils « technologiques » et de « nouvelles capacités collectives » au sein des structures de santé – ou ailleurs dans les tiers lieux – nécessaire pour aborder les inerties organisationnelles caractéristiques des grandes bureaucraties (Hôpitaux, Universités, Forces armées, etc.) pour permettre à tous les acteurs d’apprendre ensemble

The ConversationN’oublions pas à ce propos que les acteurs de l’extérieur peut être parfois vecteur d’innovation technologiques, d’algorithmes et d’applications e-santé comme Aajoh qui pourraient s’avérer bien utiles aux acteurs de l’intérieur et enfin pénétrer l’hôpital et son écosystème.

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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