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Pourquoi le Nigeria est au bord de la guerre civile

Manifestations contre le prix du pétrole et tensions interreligieuses minent le climat. Au moins onze personnes seraient mortes depuis hier et la Croix-Rouge annonce 10000 déplacés dans le sud du pays.

Article rédigé par Nora Bouazzouni
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Lors d'une manifestation contre la hausse du prix des carburants, à Lagos (Nigeria), le 9 janvier 2012. (PIUS UTOMI EKPEI / AFP)

Le Nigeria a entamé mardi 10 janvier son deuxième jour de grève générale illimitée contre le doublement du prix des carburants. Le président du pays, Goodluck Jonathan, a en effet décidé le 1er janvier de supprimer les subventions.

Lundi, au moins six personnes ont trouvé la mort dans les heurts avec les forces de l'ordre. Parallèlement, la Croix-Rouge dénonce des violences visant des musulmans depuis lundi en marge des manifestations. Cinq personnes auraient péri et plus de 10 000 autres seraient déplacées dans la ville de Benin City, au lendemain de l'attaque d'une mosquée.

Car ce mouvement social intervient sur fond de tensions religieuses. Des attentats contre des chrétiens dans le nord du pays, majoritairement peuplé de musulmans, ont fait au moins 49 morts le jour de Noël. Depuis, six nouvelles attaques de ce type ont fait plus de 80 morts.

La majorité de ces raids ont été revendiqués par la secte islamiste Boko Haram, qui réclame l'application de la charia, la loi islamique, dans l'ensemble du pays. En 2011, selon Associated Press, ce groupe a tué 504 personnes au Nigeria. Pourquoi le pays est-il au bord de la guerre civile ?

• Le sud, riche en pétrole, n'en profite pas

Deuxième puissance économique du continent, le Nigeria est surtout le premier producteur de pétrole de l'Afrique subsaharienne. Principalement concentré dans le delta du Niger, dans le sud du pays, il représente 95 % des exportations du pays, et 80 % de ses revenus.

Mais l'argent issu de la manne pétrolière, mal réparti, ne profite pas aux habitants, dont 70 % vivent sous le seuil de pauvreté. Ces revenus sont réinvestis dans des oléoducs, des routes, alors que les dépenses de santé ne cessent d'augmenter dans le pays le plus peuplé d'Afrique (160 millions d'habitants), où l'espérance de vie n'est que de 47 ans.

Pire : l'exploitation pétrolière par des groupes comme Shell est responsable, depuis plusieurs années, d'un désastre écologique et humain : la mangrove, polluée par les fuites de pétrole, est devenue impropre à l'agriculture et à la pêche, et les problèmes de santé publique sont de plus en plus inquiétants.

• Le Nord, déshérité, se rebiffe

Depuis de nombreuses années, le Nord, majoritairement musulman et sans réserves de pétrole, est marginalisé.

Ces inégalités entre les deux régions, couplées à la montée de l'intégrisme religieux dans le Nord, en ont fait un terreau idéal à l'implantation de groupes islamistes comme la secte Boko Haram, dont le nom signifie "l'éducation occidentale est un péché".

Le groupe, actif depuis 2004, réclame l'application de la charia à l'ensemble du pays. Elle est en vigueur depuis 2000 dans 12 Etats du Nord (sur les 36 que compte le Nigeria), alors même que son imposition est contraire à la Constitution, et ce sans que les autorités ne réagissent. Mais l'animosité entre chrétiens du Sud et musulmans du Nord n'est pas nouvelle.

• Des rivalités historiques

A l'indépendance, en 1960, des jalousies éclatent entre les principales ethnies du Nigeria. Dans le Sud et l'est, les Ibo, convertis au christianisme et davantage éduqués car favorisés par les colons britanniques, profitent déjà des revenus du pétrole et du charbon. Dans le Nord et l'Ouest, les Haoussa, majoritairement musulmans, et les Yoruba veulent redécouper le pays pour priver les Ibo de leurs richesses.

En 1966, après deux coups d'Etat, une rébellion s'organise contre les Ibo vivant dans le Nord, et fait 30 000 morts. Les survivants fuient vers le sud-est. En 1967, cette partie du pays, qui veut s'affranchir de la tutelle fédérale, déclare la sécession. C'est le début de la guerre civile, ou guerre du Biafra, nom donné à ce territoire qui réclame son indépendance. Le conflit fait plus d'un million de morts, et le Biafra est réintégré en 1970.

• Un président chrétien qui contrarie le Nord

Depuis, le schisme est omniprésent dans la vie politique nigériane. Malgré le déplacement de la capitale à 500 kilomètres plus au Nord, de Lagos à Abuja, pour rééquilibrer les pouvoirs, cette région se sent toujours lésée, estimant que le Sud cumule aujourd'hui force économique et politique. L'accord informel qui fait se succéder un nordiste puis un sudiste à la tête de l'Etat depuis 1960 a en effet été rompu. Le président Umaru Yar'Adua, musulman, est mort en mai 2010 avant la fin de son premier mandat, et c'est son vice-président, Goodluck Jonathan, un chrétien du delta du Niger, qui a pris la relève, puis a été élu en 2011. 

Nombreux sont donc ceux qui jugent que cet accord implicite a été bafoué et qui réclament un nordiste à la tête du Nigeria. Les politiciens du Nord sont même montrées du doigt lorsque surgit la question des financements et des soutiens de Boko Haram.

Le président lui-même a, pour la première fois, visé les élites lors d'une cérémonie religieuse, dimanche 8 janvier. Il accuse certains complices de Boko Haram d'être "dans l'appareil d'Etat, certains font partie du Parlement, d'autres encore agissent au sein du système judiciaire, d'autres encore sont au sein des forces armées, de la police et des services de sécurité".

• Vers une guerre d'indépendance ?

Goodluck Jonathan ne donne pas l'impression d'agir pour faire cesser les violences, contenues pour le moment dans le nord du pays. Critiqué notamment par les chrétiens pour sa passivité, le président estime qu'elles sont "un des fardeaux avec lesquels nous devons vivre". "Cela ne durera pas toute la vie, je pense que cela s'arrêtera", escompte-t-il.

Nigeria : Le président condamne les attentats "injustifiés" de Noël (APTN)

Parmi les chrétiens, certains dénoncent "un nettoyage ethnique et religieux" et évoquent déjà une vengeance, à l'instar du président de l'Association chrétienne du Nigeria, filmé par Reuters.

Nigeria : les chrétiens promettent de se défendre (Reuters)

Des groupes militants menacent de représailles, comme un général du Mouvement pour l'émancipation du delta du Niger, qui avertit : "Toute incursion de Boko Haram au Sud conduirait à une situation de violence grave et à des problèmes de sécurité pour le Nigeria", rapporte Foreign Policy"Si Boko Haram ne cesse pas ses actions illégales et inconstitutionnelles, nous les affronterons très bientôt", ajoute un général des Icelanders, groupe armé qui contrôle des quartiers entiers à Port Harcourt, grande ville pétrolière du delta.

Mais le chef de l'Etat explique que la situation actuelle "est pire que la guerre civile" [du Biafra]. Il ajoute : "Durant la guerre civile, nous pouvions savoir et même prévoir d'où venait l'ennemi. Mais le défi auquel nous sommes confrontés aujourd'hui est plus compliqué."

Pour autant, la proclamation d'indépendance du Soudan du Sud, en 2011, pourrait donner des idées au Nigeria. Les deux pays partagent de nombreux points communs : un Sud sécessionniste, chrétien et pétrolifère, qui a affronté au cours de deux guerres civiles meurtrières un nord agricole, musulman et où la charia fait loi.

Mais "les Ibo, très souvent commerçants, sont présents dans tout le pays. Auraient-ils intérêt à se retrouver bloqués dans un 'réduit du sud-est' ? Difficile à imaginer", juge le journaliste Pierre Cherruau sur SlateAfrique. Il évoque néanmoins les importants enjeux économiques de la zone, qui pourraient pousser les partenaires du Nigeria à intervenir si les violences allaient crescendo, afin de "sécuriser les approvisionnements en pétrole".

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