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Le lac Tchad à la fois repaire et grenier, enjeu stratégique pour Boko Haram

Le président tchadien Idriss Déby dit avoir chassé les combattants de Boko Haram de la partie tchadienne du lac. Pour combien de temps ? Car la région du lac est une oasis pleine de ressources dont profitent les jihadistes.

Article rédigé par Jacques Deveaux
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
La pirogue à moteur est l'unique moyen de transport dans les marécages du lac. (PATRICK FORT / AFP)

Depuis 2015 environ, la région du lac Tchad  est devenue un objectif majeur des raids de Boko Haram. Le plus récent date du 23 mars 2020, les jihadistes ont tué 92 soldats tchadiens lors d'une attaque éclair. Une pression permanente qui n'est pas le fruit du hasard.

On a beaucoup évoqué, y compris lors de conférences internationales, la future disparition du lac, menacé d'assèchement par le dérèglement climatique. Au début des années 1970, il a connu un dramatique point bas de ses eaux faisant déjà craindre le pire. La superficie du lac est passée "de 25 000 km² en 1960 à 2 500 km² aujourd'hui", précisait encore le président du Tchad Idriss Deby lors d'une de ces nombreuses conférences.

Un paysage dessiné par l'eau

En fait, comme le soulignent les recherches menées par l'Institut de recherche pour le développement (IRD), "la variabilité du niveau et de la surface du lac Tchad est un phénomène bien connu... D’une profondeur très faible (de 2 mètres en moyenne ), le lac fonctionne comme une machine à évaporer." Le lac est divisé en deux cuvettes. Au Sud, le lac proprement dit, toujours en eau. Au Nord, une cuvette régulièrement asséchée. Entre les deux s'étend une vaste zone de marécages. S'il s'alimente des pluies, le lac Tchad doit surtout son apport en eau au fleuve Chari qui se déverse dans la cuvette Sud du lac. Les crues du fleuve faisant remonter le niveau. Lors de très fortes précipitations, la partie Sud se déverse au Nord.

Le Lac Tchad vu de l'espace du Nord vers le Sud en novembre 1994. Photo prise depuis la navette spatiale américaine Atlantis (STS-66). (NASA)

C'est donc une zone en perpétuel changement, un terrain idéal pour la guérilla. Le lac ne couvre qu'une infime partie d'une vaste zone de marécages, truffée d'îlots difficilement accessibles. Autant d'îles, autant de caches à ratisser. Dans ce territoire, il n'y a pas de routes. L'armée tchadienne s'y serait embourbée lors de l'attaque du 23 mars. Ici, il faut être rapide et mobile. Et les différentes armées régionales ne disposent pas d'un matériel adéquat en nombre suffisant pour mener le combat. L'ennemi s'est enfuit en hors-bord assurent des militaires tchadiens.

Un labyrinthe aquatique

Les habitants se sont adaptés aux caprices de l'eau, "avec la mise en place d’un système d’alternance traditionnel entre la pêche, très rentable, l’élevage et diverses cultures basées sur des systèmes d’irrigation sophistiqués", explique l'IRD. A l'image du Nil et des ses crues, l'agriculture tire profit de ces sols limoneux riches, une fois que l'eau s'est retirée.

La vie s'organise selon les caprices de l'eau. (PATRICK FORT / AFP)

Des zones de pêche, des zones de culture, du bétail, quoi de mieux pour s'approvisionner ? Or c'est justement sur les rives Ouest du lac que Boko Haram a son fief, dans l'Etat nigérian du Borno. Une de ses branches, l'Islamic State West Africa Province (ISWAP) profite même de la faillite de l'Etat central pour installer sa propre organisation. La population lui verse des taxes en échange de la sécurisation des lieux et des transports. "Le groupe terroriste encourage la reprise des activités de pêche et d'agriculture sur les îles", écrit l'institut d'études de sécurité (ISS).

Une zone mal contrôlée

Un éden que les islamistes ne sont pas près de lâcher. On peut même penser que les différentes attaques visent à étendre leur territoire, afin de rester les seuls maîtres des lieux. Car, ultime avantage des terroristes, la région est une zone de confluence de plusieurs Etats. Le Tchad, le Niger, le Nigeria et le Cameroun.

Pour Boko Haram, c'est autant de points de repli essentiels. Lorsqu'il vise un territoire, il peut fuir dans un autre, d'autant que la collaboration entre ces pays est loin d'être parfaite. Idriss Deby le déplore quand il se plaint d'être le seul à lutter contre le groupe islamiste. "Le Tchad est seul à supporter tout le poids de la guerre contre Boko Haram", a-t-il déclaré à l'issue de l'opération militaire.

Le président Idriss Déby en treillis militaire vient féliciter ses troupes sur le front après la fuite des jihadistes le 4 avril 2020. (Présidence de la république du Tchad)

Idriss Deby, chef de guerre s'il en est, a pris sa revanche. Il a effacé le revers subit le 23 mars 2020. "L’opération 'colère de Boma' a permis de débarrasser le Lac-Tchad des forces du mal qui ôtent le sommeil aux paisibles citoyens lacustres", s'enflamme dans un communiqué la présidence du Tchad. Une bataille gagnée, certes, mais la guerre est loin d'être terminée.

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