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Patrice Gourdin : «la France cherche à garantir sa sécurité» au Mali

Devant l'ONU, le président français, François Hollande, avait qualifié le 25 septembre 2012 la situation au Mali d'«insupportable, inadmissible, inacceptable». Nous avons demandé à l'historien Patrice Gourdin, professeur à l'école de l'Air et enseignant à l'IEP d'Aix-en Provence comment la France appréhendait la crise malienne. (Interview mise en ligne le 26-9-2012)
Article rédigé par Pierre Magnan
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3 min
Groupe islamiste près de Gao, au Mali. (FTV)

La situation au Mali avec l'occupation des deux tiers du pays par une rébellion islamiste pose-t-elle un problème international ? Si oui, pourquoi ?
Il y a atteinte à deux principes du droit international : le respect de l’intégrité territoriale et le respect de la souveraineté d’un Etat reconnu par la communauté internationale, en l’occurrence le Mali. Il est toujours dangereux de laisser bafouer le droit international sans réagir, car cela crée un précédent qui peut pousser à la multiplication des infractions et provoquer des déstabilisations en chaîne.

Par ailleurs, plus de 800 000 km² se trouvent à la disposition d’entités criminelles. D’une part, des mafias, qui peuvent y mener sans entraves leurs trafics, de drogue, d’armes et d’émigrants clandestins, notamment. D’autre part, y agissent sans entraves des terroristes islamistes qui affichent leur volonté d’étendre leur contrôle et leurs exactions en Afrique de l’Ouest et en Afrique du Nord. Ils visent également la création d’une base inexpugnable pour entraîner des djihadistes et opérer contre l’Europe. Le précédent afghan (régime taliban hébergeant Ben Laden de 1996 à 2001) nous instruit sur les dangers qu’il y aurait à laisser s’enkyster un sanctuaire terroriste élargi et renforcé.

Que veut et que peut faire la France dans ce pays en particulier et dans la région en général face à la crise malienne ?
En premier lieu, la France veut défendre le droit international, comme le lui commande son statut de membre permanent du Conseil de sécurité des Nations-Unies. Ensuite, elle entend préserver son influence en Afrique de l’Ouest en aidant un allié. En outre, elle cherche à garantir sa sécurité contre un groupe terroriste qui s’est publiquement déclaré «en guerre» contre elle, Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI). Enfin, elle œuvre à la libération des Français retenus en otage par AQMI.

Toutefois, les possibilités d’action de la France s’avèrent limitées. A Bamako, le gouvernement de transition est faible tandis que l’armée est désorganisée et divisée, ce qui réduit l’efficacité de l’aide apportée par la France. Paris affiche sa volonté d’appuyer toute action s’inscrivant dans le cadre du droit international. Mais il a fallu plusieurs mois avant que les dirigeants maliens s’entendent et obtiennent l’accord des putschistes pour faire appel à la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Cette dernière doit encore coordonner sa démarche avec l’Union africaine pour, enfin, obtenir le feu vert de l’ONU. Celui-ci semble acquis, mais les Russes et/ou les Chinois ne réservent-ils pas une surprise de dernière minute en posant leur véto à la résolution qui sera présentée au Conseil de sécurité ?

La France ne peut déconnecter sa politique au Mali de ses relations avec ses autres alliés dans la région. Elle doit donc tenir compte de l’avis et/ou des intérêts, pas toujours convergents, de ces derniers. La marge de manœuvre française est encore réduite par la détention de citoyens français par AQMI. L'organisation a menacé d’assassiner les otages en cas d’intervention militaire. Mais le maintien d’une base terroriste au Sahara-Sahel pourrait faciliter un attentat sur le sol français !

 

 

Reportage AFP Vidéo du 25 juillet 2012

Quels seraient les risques d'une intervention française dans la région ?
La question demeure sans objet tant que le président de la République maintient la position actuelle : pas d’intervention militaire au sol. Si cette option était choisie, elle comporterait des risques majeurs.

D’abord, l’assassinat des otages français d’AQMI. Cet effroyable drame humain bouleverserait l’opinion publique et mettrait le pouvoir politique en difficulté. C’est ce que recherchent les terroristes et que les autorités françaises tentent d’éviter en écartant l’intervention directe au sol. Il n’est toutefois pas assuré que le soutien logistique ne fournirait pas le prétexte à ces assassinats. Nous ignorons ce qui importe davantage pour AQMI : l’argent des rançons ou l’impact politique de la mort de nos compatriotes.

Par ailleurs, toute action militaire porte en elle deux risques : l’échec et/ou l’enlisement. Les plans établis au préalable visent à éviter l’un comme l’autre, mais il demeure toujours une part d’impondérable.

Enfin, la guerre dans un vaste espace (le Nord-Mali couvre une superficie à peu près équivalente à une fois et demi la France) et en milieu désertique pose des problèmes multiples : adaptation des combattants à ce type de milieu, contraintes spécifiques subies par les armements et les matériels, chaîne logistique, contrôle du territoire, entre autres. Ajoutons que, dans la logique des affrontements asymétriques, le faible ─ AQMI et ses affidés ─ vainc le fort dès l’instant où il survit. Or, la nature de l’adversaire tout autant que les caractéristiques du théâtre d’une éventuelle intervention au sol rendent improbable la destruction totale d’AQMI.

Patrice Gourdin a publié Géopolitiques, manuel pratique aux Editions Choiseul  (2010).

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