L’organisation des filières de drogue dans le Sahel
La région est située depuis des siècles sur une zone de passage des caravanes, au carrefour d’activités de contrebande, d’abord de marchandises, puis d’armes, de cigarettes et de drogue.
Dans Carnegie, Wolfram Lacher, chercheur sur l'Afrique du Nord à l'Institut allemand pour les Affaires internationales et de Sécurité, déclare: «Le trafic de cigarettes vers les marchés d'Afrique du Nord, qui a commencé à se développer au début des années 1980, a largement contribué à l'émergence des pratiques et des réseaux qui ont permis au trafic de drogue de se mettre en place» par la suite.
Cocaïne et cannabis
Ainsi, au milieu des années 2000, la Mauritanie et la Guinée-Bissau ont vu débarquer par bateau de la cocaïne venue du Venezuela (comme les ports de Guinée, Togo, Bénin, Ghana). Drogue repartant vers l’Europe par voies aériennes ou terrestres. En 2009, de la poudre blanche est même arrivée de Caracas par Boeing dans la région de Gao, au nord du Mali, avant d’être transportée en camions au Maroc.
Autre flux plus ancien, celui de la résine de cannabis marocaine, le Royaume chérifien se plaçant dans le peloton de tête des plus gros producteurs au monde.
Les routes de la drogue (cocaïne et héroïne afghanes transitent aussi par la zone) se croisent dans le désert sahélo-saharien. Elles passent notamment par le nord du Mali, le Niger, l’Algérie, la Libye, l’Egypte et le Moyen-Orient. Elles s’achèvent en Europe où le produit est dispatché par des mafias des Balkans, kosovares ou serbes, entre autres. Le haschich alimente également le marché européen via l'Espagne.
Si le trafic de cocaïne a baissé depuis 2008, en raison du contrôle mené dans les aéroports des Etats côtiers d’Afrique de l’Ouest, ce n’est pas le cas de celui du haschich, florissant.
Des trafiquants organisés
Les réseaux sont marocains, mauritaniens, algériens, libyens, sahraouis, nigériens ou maliens. Certains, notoirement liés aux groupes islamistes armés, dont Aqmi, Ansar Dine ou Boko Haram, sont aussi spécialisés dans les autres trafics, d’armes notamment.
Dans un climat de pauvreté généralisée, le bon déroulement de cette activité à fort rendement est favorisé par les complicités. Les réseaux, très organisés – ils comptent des gestionnaires, des chauffeurs, des passeurs et des intermédiaires –, achètent protection et silence auprès de potentats locaux, de militaires et de fonctionnaires corrompus.
L’exemple du Mali et des acteurs internationaux
Rappelant l’affaire du Boeing retrouvé dans le désert mallien en 2009, Wolfram Lacher insiste sur «la relation entre l'Etat, les notables et les hommes d'affaires locaux, dans le commerce de la drogue». Une manière pour l'Etat, selon lui, de se servir des trafics pour agir sur des groupes antagonistes et garder le nord sous son influence.
Le chercheur Anouar Boukhars confirme dans Carnegie qu’«il est de notoriété publique que les hauts fonctionnaires du gouvernement et l'armée du Mali ont activement collaboré avec le crime organisé». Et ce professeur en relations internationales au McDaniel College de Westminster, dans le Maryland (Etats-Unis), d’accuser «les acteurs internationaux (qui) ont continué à dispenser une aide économique et militaire à ces pays en dépit de la réticence ou de l'incapacité à sévir contre le trafic de drogues des Etats. Au Mali, la distribution de l'aide étrangère a coïncidé avec une augmentation spectaculaire de l’activité des groupes criminels organisés.»
Des criminels très réactifs
La chute du régime libyen et le conflit malien n’ont pas cassé le trafic de cocaïne, mais l’ont déstabilisé. Evoquant pour l’AFP les trafiquants, Alain Rodier, un ancien officier français du renseignement, estime qu’ils ont démontré «leurs capacités d’anticipation» et «continuent à faire leur business en passant par d’autres routes».
Le criminologue Xavier Raufer confirme: «Dès les premiers bruits de bottes au Mali, les logisticiens de la drogue, qui réfléchissent en permanence à des nouvelles routes, ont modifié leurs trajets qui passaient par le nord du pays». De nouvelles routes, selon lui, s’ouvrirait aujourd’hui «par l’Angola, la RDC et les grands lacs ou par la Libye, vaste marqueterie de tribus en guerre». Le jeu en vaut la chandelle au vu des profits colossaux générés par ces activités, lesquelles sont boostées par une demande croissante des consommateurs.
Si les solutions aux trafics de stupéfiants sont multiples, elles doivent pour être efficaces passer par une coopération internationale en matière de partage de renseignements, de surveillance des flux financiers et d’opérations conjointes sur le terrain, en partanariat avec les acteurs et les gouvernements locaux.
Dans un entretien à la RTS, le 22 février 2013, Kofi Annan, déclarait: «Il n'y aura pas de paix au Mali et dans la région si l'on ne combat pas le trafic de drogue.» L'ancien secrétaire général de l'ONU est engagé dans une commission qui lutte contre les effets du trafic de stupéfiants sur les pays d’Afrique de l’Ouest.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.