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"Parfois la nuit, on sent les gaz toxiques" : mis en cause dans une mine de Guinée, le promoteur de la Montagne d'or fera-t-il mieux en Guyane ?

Publié Mis à jour
Article rédigé par Philippe Reltien - Cellule investigation de Radio France
Radio France

Alors qu’un projet de mine d’or est à l’étude en Guyane, l’un des promoteurs, l’entreprise russe Nordgold, promet une exploitation exemplaire. Mais en Guinée, où la société gère déjà une mine, des villageois témoignent des effets néfastes sur leur vie au quotidien.

La société russe Nordgold envisage d'ouvrir une mine d'or à ciel ouvert en Guyane française, en pleine forêt amazonienne, et n’attend que le feu vert du gouvernement français pour démarrer. Emplois pour la population locale, respect de l’environnement… Nordgold a-t-il tenu ses promesses dans les autres mines qu'il exploite déjà ? Enquête en Guinée, où le groupe russe gère une mine d'or depuis 2010.  

Montagne d’or en Guyane : le contre-exemple guinéen. Une enquête de Philippe Reltien

Située au nord de la Guinée, dans la préfecture de Siguiri, à 700 km de Conakry, la mine de Lefa tourne 24 heures sur 24. L'usine traite en permanence des centaines de millions de tonnes d’un minerai rouge, dont est extrait l'or grâce à des cuves remplies de cyanure. Les rejets vont ensuite dans un grand bassin de décantation en cours de consolidation. Et tout cela à une centaine de mètres d’un village, Fayala-Carrefour, où vit la population locale. "Nous avons construit le projet de Montagne d'or sur une approche responsable, d'un point de vue économique, social et environnemental. La protection de la nature, ainsi que la santé et la sécurité, sont des valeurs majeures pour nous", assure Igor Klimanov, le directeur du développement de Nordgolde, qui a a acquis la mine en 2010, devenue après quelques travaux d’agrandissement la plus productive du groupe russe en Afrique.

La mine de Lefa est située au nord de la Guinée. Au bord des lacs de résidus de boues cyanurées, le village de Fayala-Carrefour. (GOOGLE MAPS / MONTAGE)

Pourtant, selon plusieurs témoignages d'habitants de la région, la réalité est tout autre. Alors que Nordgold promet avec le projet Montagne d’or d’employer localement en Guyane pour aider au développement économique, en Guinée la désillusion est grande. Au bout de huit ans de gestion russe, 900 postes ont été supprimés, et les emplois de conducteur d'engins ou d'agent de sécurité ont été sous-traités à des compagnies étrangères. "On avait l'espoir que des jeunes seraient employés, mais certains postes sont occupés par des étrangers, alors qu'ils auraient dû être occupés par des Guinéens, regrette Khaled Keita, le nouveau préfet de la région. On aurait voulu qu'à compétences égales, on puisse donner la priorité aux compétences locales." 

La firme recrute des Canadiens, des Australiens, des Indonésiens ou des Sud-Africains qui ont une expérience minière plus ancienne, et à qui l'on promet tout le confort que n’ont pas les Guinéens locaux, qui vivent au village sans eau ni électricité.  Mais même formés et employés, les salariés guinéens ne sont pas traités de la même manière. "Certains expatriés de la mine seraient payés autour de 7 000 à 10 000 dollars par mois, affirme Momo Bangoura, chef syndicaliste de l'usine. Alors, qu'en moyenne les Guinéens employés ici sont rarement payés plus de 1 000 dollars par mois. Et chez les sous-traitants, c'est encore pire. Certains ne touchent même pas 150 dollars par mois."   

150 000 orpailleurs sauvages autour de la mine

Cent cinquante dollars par mois, c'est ce que touche une grande partie des 135 salariés de la mine de Lefa issus de la communauté locale, sur un effectif total de 1 225 employés. Un salaire largement insuffisant pour vivre : certains se tournent alors vers l'orpaillage sauvage. Nordgold récolte en surface le minerai à haute teneur en or, en écrémant la couche supérieure de la terre à l'aide de pelles mécaniques géantes, puis inonde les trous ainsi creusés. Ensuite, une fois les terrains abandonnés, malgré les tentatives de Nordgold de les en empêcher, les orpailleurs, avec femmes et enfants, creusent autour de la mine, au pied du lac dans les résidus et la boue, ou sur les sites abandonnés des autres compagnies minières, à la recherche du gramme d'or qui leur assure de quoi acheter un sac de riz. Les conditions de travail sont extrêmement précaires comme on peut le voir dans cette vidéo que nous avons tournée à une centaine de kilomètres de la mine.  

Le phénomène de l’orpaillage sauvage s'amplifie : ils sont désormais près de 150 000 à tenter leur chance. Des locaux, mais aussi beaucoup d’étrangers entrés légalement en Guinée et qui n’ont pas trouvé de travail.

Des conséquences dramatiques

L'effet de l’orpaillage est d’abord désastreux pour la forêt, où l'on coupe du bois en masse pour fabriquer les poutres placées dans les galeries des mines artisanales. Mais surtout, c’est extrêmement dangereux pour les orpailleurs eux-mêmes, dans une région où le climat tropical et les pluies diluviennes provoquent des éboulements fréquents, dans les galeries creusées avec les moyens du bord. Des techniques existent pour pomper rapidement l'eau en cas d'inondation, mais il y a quand même des morts. 

Au fond de ce trou d'orpaillage en Guinée, un orpailleur remonte le minerai plus riche en or. Un trou qui risque de se remplir rapidement en cas d'inondation ou d'éboulement. (PHILIPPE RELTIEN / RADIO FRANCE)

Les orpailleurs se servent aussi du mercure pour séparer l'or du minerai, produit aussi toxique que le cyanure utilisé dans la mine de Lefa. Cet or de Guinée est ensuite revendu sous la forme de lingots, à Dubaï essentiellement, pour en faire des bijoux.

Nordgold promet 90% d’emploi local en Guyane 

La société russe affirme pourtant faire beaucoup pour la communauté locale guinéenne. La compagnie finance des forages, rénove des écoles, donne 35 euros de prime mensuelle à chaque enseignant, entretient aussi des mosquées, et paye chaque année trois voyages à la Mecque à des villageois. Et certains sont déjà convaincus que Nordgold agira différemment en Guyane, en s'inspirant de modèles d'autres groupes miniers, qui fonctionnent ailleurs. "En Nouvelle-Calédonie, des formations ont été assurées pour que dans tous les secteurs de métiers, les emplois soient occupés par les locaux, affirme le sénateur LREM de Guyane Georges Patient. C'est ce que je préconise pour la Guyane, et je crois que l'État français serait favorable à ce que l'on s'inspire de ce qui a été mis en place là-bas." 

Mais même si le cadre légal français est plus contraignant qu’en Guinée, comment garantir que ces préconisations soient bien appliquées en Guyane ? "Nous sommes respectueux de la règlementation française et nous avons des règles strictes", indique Pierre Paris, le directeur de la compagnie Montagne d’or, détenue à 55 % par Nordgold, à la tête du projet guyanais. "Nous ne pouvons embaucher que des personnes qui sont légalement sur le territoire, et nous nous sommes engagés à plusieurs reprises à avoir plus de 90 % d'emploi local sur ce projet", poursuit-il. Plus de 700 postes seront à pourvoir, pour des salaires qui, nous dit-on, seront au-dessus de la moyenne de ce qui se pratique en Guyane.

Montagne d'or s'engage donc à respecter le droit du travail et à ne pas sous-payer certains salariés. En revanche, rien ne garantit a priori que la compagnie tienne parole sur l'emploi local. "Les lois européennes et françaises n'obligent pas à faire de la préférence locale, explique Erwann Seigneurin, journaliste pour le site Le Kotidien. Évidemment, la compagnie a tout intérêt à le faire, vu le rejet ou l'assentiment que la population peut avoir à son égard." D'après le journaliste, en Guyane, les travailleurs des mines d'or sont essentiellement des gens qui viennent de pays limitrophes, où il y a déjà une culture de l'industrie minière. "C'est compliqué d'affirmer que ce ne sera que de l'emploi local, ajoute-t-il. Ce seront probablement des gens qui seront détachés."   

"De nombreuses bêtes ayant bu de l'eau du lac cyanuré sont mortes"

En Guyane, Nordgold et Montagne d'or promettent aussi d'être respectueux de l’environnement. Mais là encore l'expérience guinéenne questionne. Quand l'histoire minière de la Guinée a débuté, l'environnement n'était pas vraiment un sujet. "Il n'y a eu aucune protestation face à l'arrivée de ces mines industrielles, explique Ludovic Dupin, rédacteur en chef à Novethic, média et conseil en économie responsable. Les entreprises qui se sont installées dans ces pays-là ont distribué de l'argent autour d'eux. Quand un paysan reçoit deux, trois ou dix ans de salaire en une fois, il cède son champ et sa forêt, son exploitation, ça ne pose pas de problème." 

Mais aujourd'hui, les préoccupations environnementales sont réelles. Le lac de résidus cyanurés de la mine de Lefa est sur le point de déborder, et ses digues sont usées. Or, l’une de ces digues se trouve juste au-dessus de Fayala-Carrefour, le village de 1 700 habitants, et ceux-ci sont inquiets : depuis cinq ans, du bétail meurt en allant boire l'eau du lac. Malgré des travaux de remblai, aucune barrière n'empêche d'y accéder. "Aucun habitant n'est mort du cyanure dans le village, précise d’emblée Fabala Keita, le chef du village. Mais de nombreuses bêtes ayant bu de l'eau du lac cyanuré sont mortes : des vaches, des chèvres, des moutons ou encore des poules." Les villageois ont pu obtenir un dédommagement de la part de Nordgold, mais pas systématiquement. "Toutes les bêtes n'ont pas été remboursées, déplore Fabala Keita. Celles qui mouraient à une distance au-delà de plusieurs mètres du lac n'étaient pas considérées comme mortes à cause du cyanure."  Même si l’entreprise accepte de dédommager la mort des bêtes, précisons qu’il n’a pas été prouvé que le cyanure est responsable de la mort de ces bêtes, même s’il existe une forte présomption.

Parfois la nuit, on sent les gaz toxiques qui s'abattent sur le village

Hamadou Camara, habitant de Fayata-Carrefour

Ă  franceinfo

Le lac de retenue de boues cyanurées est-il malgré tout étanche et sans danger pour les habitants du village de Fayala-Carrefour ? Au contact de l'eau, le cyanure se transforme en gaz toxique. Certains témoignages recueillis sur place font état d’odeurs qui arrivent jusqu’aux habitations. "Parfois la nuit, on sent les gaz toxiques qui s'abattent sur le village, raconte Hamadou Camara. On voit beaucoup de personnes qui toussent."  Par temps de pluie, cet habitant a pu observer de la boue couler depuis le lac de la mine, par une brèche ouverte au-dessus d’un terrain de foot. "Quand il pleuvait, le cyanure débordait, et quand il pleut beaucoup, ça descend au village", affirme-t-il. Depuis la fin de l’été 2018, un remblai a été mis en place pour contenir ces débordements, mais qui n’est pas encore terminé. Les arbres qui trempent dans cette boue ont perdu leurs feuilles et sont tous morts. 

Durant l’été 2018, un remblai a été mis en place pour contenir les débordements de boue cyanurée. (PHILIPPE RELTIEN / RADIO FRANCE)

Le village déplacé 

Depuis l’installation de la mine, la vie sauvage a disparu autour du village. Pour le sous-préfet Siaka Camara, c’est tout un écosystème qui a changé. "Les gens s'adonnaient à l'agriculture, à l'élevage, à la chasse... Mais maintenant, avec ces machines dans les brousses, les bêtes ont fui, les espèces ont disparu, l'environnement et l'écosystème sont atteints. On a peur des conséquences sur le long terme", explique-t-il. Même si les effets constatés se limitent à la faune et à la flore, certains habitants veulent quitter le village. D’autant qu’il est question pour Nordgold d'agrandir la mine et le lac de résidus. "Les gens sont très inquiets des effets du cyanure", rapporte le chef du village, qui a demandé à ce que tout le monde soit relogé ailleurs, aux frais de la mine, avec la compensation d'un emploi par famille. "On a demandé au gouvernement de venir nous porter assistance. Il est clair que si on ne peut pas faire reculer le lac, c'est nous qui devons être relocalisés", poursuit-il. 

L’entreprise juge elle aussi nécessaire de déplacer le village qui sera probablement reconstruit ailleurs, mais "seulement pour des raisons de croissance et d’expansion de la mine". Nordgold dit également respecter la règlementation internationale, et indique être très attachée aux préoccupations environnementales.

Nordgold modifie son projet guyanais

Un remblai pour boucher une brèche dans un lac cyanuré, des animaux qui meurent, des habitants qui toussent… autant d’éléments d’inquiétude et de questionnement pour le projet Montagne d’or en Guyane. "L'entreprise promet que les bassins de rétention vont garder le cyanure cloisonné quelque part et qu'il ne s'échappera pas", indique Ludovic Dupin, de Novethic. Pour lui, Nordgold n’a pas intérêt à se comporter de la même manière qu'en Guinée : "S'il y a une fuite de cyanure dans la nature, d'une part l'État français pourrait l'attaquer, et elle devra rembourser des sommes énormes. D'autre part, son image serait catastrophique, et les investisseurs peuvent s’en détourner." La médiatisation et la pression éventuelle des populations locales pourraient donc jouer contre son image. Fin août 2018, la société a modifié son projet guyanais : les boues résiduelles de l'usine qui seront déversées dans un lac de 190 hectares seront décyanurées avant d'être rejetées à l'air libre. Un procédé inexistant en Guinée. "Nous avons déjà indiqué que nous mettons en place un modèle responsable, indique Pierre Paris. Le projet que nous portons en Guyane est à 50 kilomètres de toute habitation et exploitation agricole."   

Il y a très peu de chance que les promesses prises par l'opérateur soient tenues

Pascal Canfin, directeur du WWF France 

Ă  franceinfo

Dans 70 % des cas, selon Philippe Marion, géologue à l’ENSG à Nancy, les accidents sont dus aux digues des réservoirs qui cèdent. Un problème sur le site de la Montagne d’or aurait des répercussions sur les tous les villages en aval, et les activités de pêche et de tourisme, d’après Laurent Kelle, responsable du bureau guyanais du WWF France. Les engagements pris par Nordgold pourront-ils être tenus ?  "Comme toujours dans ce type de projet, il y a les promesses des opérateurs, et il y a la vraie vie ensuite", s’inquiète Pascal Canfin, directeur général du WWF France, opposé au projet. "Je crains que, compte-tenu de la sensibilité de l'écosystème où il y a des centaines d'espèces protégées, il y a très peu de chance, lorsque l'on regarde les autres projets miniers de par le monde, que les promesses prises par l'opérateur soient tenues", affirme-t-il.

Ce dossier est un sujet à haut risque pour le gouvernement français. Beaucoup y voient un possible "Notre-Dame-des-Landes". Alors que l’enjeu écologique est actuellement au centre du débat, Montagne d’or sera sans doute le véritable premier test pour le nouveau ministre de la Transition écologique, François de Rugy. Réponse de l’État d’ici décembre 2018, si le calendrier est respecté.

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