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«L'Afrique peut croître rapidement grâce au commerce de produits manufacturés»
L'économiste et écrivain Célestin Monga, directeur général adjoint de l'Organisation des Nations Unies pour le développement industriel (Onudi), milite pour que les pays africains s'engagent plus vigoureusement dans la lutte contre la pauvreté. Car dans la misère, dit-il, «il est presque impossible d’organiser et de mettre en en œuvre une réflexion théorique sur le devenir collectif».
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Pour vous, penser l’Afrique, c’est avant tout penser à ceux qui ont faim. C’est votre façon de revisiter l’adage : «Un homme qui a faim n’est pas un homme libre»?
Il est impossible de construire quoi que ce soit de durable dans un environnement où les gens ne parviennent pas à satisfaire leurs besoins primaires, à savoir se nourrir, se soigner, s’éduquer… Lutter contre la famine, la pauvreté matérielle me paraît être un impératif absolu. L’écrivain Alain Mabanckou a posé le débat (il a organisé le 2 mai un colloque au Collège de France sur le thème «Penser et écrire l'Afrique» dont Célestin Monga était l'un des intervenants, NDLR) en affirmant que c’est le cerveau qui commande le corps et l’estomac. Il faudrait donc avoir une approche philosophique de ce qu’on veut être. Je pense que si l’estomac ne peut pas nourrir le corps, le cerveau ne fonctionnera pas.
Tant que nous ne parviendrons pas à réduire considérablement le nombre de gens qui n’arrivent même pas à se nourrir, nous n’aurons ni stabilité ni paix… Trois personnes sur quatre en Afrique ne mangent pas à leur faim. Dans un tel contexte, il est presque impossible d’organiser et de mettre en en œuvre une réflexion théorique sur le devenir collectif, ceci quelle qu’en soit la valeur.
D’après vous, les pays africains ne procèdent pas dans l’ordre. Exemple avec la question de l’intégration économique, la création d'espaces économiques communs, que l’on considère comme un prérequis au développement parce qu’il permettrait de faire face à la petitesse de nos marchés nationaux et de bénéficier d’économies d'échelle. Pourquoi l’intégration doit s’envisager a posteriori?
Nous avons parfois des motivations qui sont émotionnelles, poétiques ou idéologiques. Qui peut être opposé à cet idéal noble qu’est l’unité africaine? Mais les gens ne se posent pas la question de savoir pourquoi nous n’y parvenons pas depuis un demi-siècle. La réponse est pourtant simple: les peuples n’arrivent pas à intégrer cette idée dans leur quotidien. Quand les gens sont pauvres, ils voient l’étranger comme un ennemi, une menace, un danger… comme quelqu’un qui s’en sort, contrairement à eux. Du coup, certains citoyens ont du mal à conceptualiser le bonheur collectif et posent des actes terribles, comme on le constate ici et là en Afrique.
C’est pour cela que le modèle d’intégration asiatique me plaît beaucoup parce qu’il ne se limite pas à des slogans, à des sommets de chefs d’Etat, à des organisations qui publient des communiqués en forme de professions de foi… Les Asiatiques ont compris qu’on ne peut pas intégrer la misère, que les gens ont besoin d’envisager de manière rationnelle ce processus d’intégration.
Qu’ont fait les Asiatiques qui les rend si exemplaires en la matière?
Les Asiatiques ont créé des institutions qui envisagent l’intégration. Cependant, ils ont été plus pragmatiques. Dès le début des années 60, leur priorité a été de sortir le plus grand nombre de citoyens de la pauvreté et de la misère. Si vous êtes un groupe de pays voisins mais tous pauvres et produisant les mêmes matières premières, ça ne sert à rien d’investir dans des infrastructures pour vous connecter parce qu’il n’y a ni marché ni pouvoir d’achat chez l'autre. Il faut donc aller chercher les marchés là où ils se trouvent, notamment en Occident.
Les Etats-Unis représentent 21% du PIB mondial, l’Europe, 23%, la Chine 16% et l’Afrique seulement 2%. Par conséquent, pour s’enrichir il faut s’organiser pour commercer avec ces grands marchés. C’est ce que les Asiatiques ont fait : Chinois, Taïwanais, Coréens… Singapour n’a pas fait de son intégration avec la Malaisie ou avec les Philippines une priorité. Tous ces pays étaient convaincus que l’intégration se ferait quand les populations auront des raisons d'adhérer rationnellement à ce processus. Ainsi, ils ont commencé par s’attaquer au marché mondial et ont pu améliorer le revenu moyen de leurs citoyens. Conséquence: leur intégration se fait aujourd’hui naturellement.
Pourtant, les Africains font du commerce en exportant des matières premières...
Il y a un siècle que nous le faisons et nous nous retrouvons tributaires de la fluctuation des cours. Plus grave, il n’y a pas de transformation locale, celle qui crée de la valeur ajoutée, et donc pas d’emplois, pas de véritable création de richesse, et donc pas d’amélioration de la productivité. L’emploi est le gros problème chez nous.
La productivité est la clé de la croissance selon vous. Quelle est la stratégie que doivent adopter les pays africains pour atteindre cet objectif?
La stratégie est assez claire. Il faudrait d’abord développer le commerce mondial de produits manufacturés. Pour cela, il faut réussir à attirer des investisseurs privés étrangers qui viendraient construire des usines et former la main d’œuvre disponible pour que nous puissions transformer nos matières premières localement. Cela créera de l’emploi. Quand quelqu’un travaille, cela ne lui procure pas seulement de l’argent, ça lui donne aussi de la dignité. Et en termes de capital humain, l’Afrique a un gros avantage parce que le coût de la main d’œuvre y est abordable.
Abordable certes, mais pas toujours qualifiée…
C’est pourquoi, il faut choisir en priorité des industries et des secteurs d’activité à forte intensité de main d’œuvre moyennement ou peu qualifiée. L’Ethiopie l’a fait en créant 50.000 emplois en trois ans pour des gens qui ont été formés en deux semaines afin de fabriquer des chaussures en cuir. L’on peut former assez facilement des gens dans des domaines d’activité où ils peuvent être compétents très rapidement. Il ne s’agit nullement d’aller fabriquer des fusées pour lesquelles il faut former des ingénieurs sur vingt ans.
Le Rwanda l’a également compris. L’Ethiopie et le Rwanda ont enregistré les plus forts taux de croissance en Afrique ces dernières années alors qu’ils n’ont pas de matières premières et qu'ils sont enclavés. L’Ethiopie exporte aujourd’hui en Europe et aux Etats-Unis des chaussures en cuir qu’elle fabrique dans des usines à Addis-Abeba, avec des capitaux chinois et indiens.
En d’autres termes, fini de réfléchir, il est temps d'agir?
Pendant de nombreuses années, les Africains ont pris des mauvaises décisions parce qu’ils voulaient développer des industries dans lesquelles ils n’étaient pas compétitifs et qui nécessitaient énormément de capitaux. Aujourd’hui, beaucoup ont compris qu’il fallait mettre les gens au travail, développer des industries à même d’absorber la main d’œuvre disponible même si elle n’est pas très qualifiée. A la fin des annnées 70, lorsque la Chine a commencé à s’industrialiser, elle avait beaucoup moins de capital humain et d’infrastructures que la plupart des pays africains aujourd’hui. En 1979, la Chine ne disposait que de 2.874 kilomètres de chemin de fer, soit moins que le Zimbabwe ou le Mozambique actuellement. Les Chinois ont eu l’intelligence de développer initialement des secteurs qui n'exigeaient pas initialement des choses très sophistiquées, mais pour lesquelles il y avait un a un immense marché mondial, où ils pouvaient être compétitifs avec leurs bas salaires. Ils ont su attirer des investisseurs dans des parcs industriels et des zones franches bien conçues, bien équipées et bien gérées. L’Afrique peut faire de même et croître très rapidement.
C'est le type de conseils que prodigue l’Onudi aux pays africains?
Pas seulement aux pays africains. A tous les pays en développement.
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