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Trois regards d'anti-Morsi sur l'Egypte d'aujourd'hui

Comment les opposants au président déchu vivent-ils depuis son éviction ? Quelles sont leurs attentes ? Francetv info a recueilli trois témoignages.

Article rédigé par Jelena Prtoric
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Des miliers des personnes manifestent place Tahrir, au Caire (Egypte), le 7 juillet 2013, contre Mohamed Morsi et pour soutenir l'armée. (MOHAMED EL-SHAHED / AFP)

Des manifestations, un coup d'Etat-révolution, un président détenu par l'armée, une transition qui n’a pas encore abouti...Voilà en quelques mots ce que l’Egypte a vécu ces dernières semaines. Mercredi 10 juillet encore, le Guide suprême et plusieurs responsables des Frères musulmans, auxquels appartient le président déchu, ont été arrêtés. Francetv info a recueilli plusieurs témoignages de personnes qui ont milité pour la chute de Mohamed Morsi.

La situation : calme mais incertaine

Alors que la ville a connu des violences meurtrières les jours précédents, le calme est revenu au Caire, jeudi 11 juillet, pour ce début du ramadan. "Les manifestants pro-Morsi sont toujours là, mais je crois que nous allons passer un ramadan calme", se réjouit Hany, 33 ans, qui est arrivé avec sa famille de Hurghada, dans le sud du pays, pour passer le ramadan au Caire. Pro-Morsi, comme toute sa famille, lors de son élection, en juin 2012, l'homme se dit maintenant heureux que le président soit déchu. "Il n'a rien fait pour nous pendant un an."

Aton, 43 ans, partage cet avis. Ce guide-chauffeur du Caire a participé aux manifestations anti-Morsi dès leur commencement. Aujourd’hui, il se félicite du résultat : "80% des gens sont pour la transition, pour un nouveau gouvernement. Les 20 % restants ne sont pas contents, mais ils ne sortiraient pas dans la rue si des Frères musulmans n'organisaient pas les manifestations. Elles s'essoufleront bientôt, quand le peuple aura compris que les Frères musulmans ne sont pas avec eux, mais contre eux."

Pourtant, Hany pressent que beaucoup d'eau coulera sous les ponts avant que les tensions s'apaisent. Il évoque l'exemple de son frère. "Lui, comme tous les autres membres des Frères musulmans que je connais, ne changera pas d'avis facilement. Quand j’essaie de discuter avec lui, pour comprendre pourquoi il soutient toujours Morsi, il me donne les mêmes arguments : 'Il a été élu pour quatre ans, alors il aurait dû finir son mandat.' Et c'est la fin de la discussion. Si le calme règne pour le moment, cela ne veut pas dire qu'ils ont accepté la réalité."

Le regard sur l'armée : inchangé

Pour beaucoup des partisans de Morsi, oublier est difficile. Les plaies des affrontements meurtiers du lundi 8 juillet sont loin d'être pansées. Pourtant, si Hany et Aton dénoncent ces violences, et concèdent qu'il y a eu des débordements des deux côtés, ils pointent du doigt les Frères musulmans. "Ils sont coupables. Les militaires étaient attaqués. Si quelqu'un vous attaque, vous ripostez, n'est-ce pas ?"

Selon Hany, "les Egyptiens ne font pas confiance aux partis politiques ou à la police, mais ils aiment les militaires". L'armée, cette institution omniprésente dans la société, serait un garant de la stabilité du pays. "Les militaires sont des gens sérieux, responsables. Un militaire au pouvoir ? Cela ne me dérangerait pas".

Sameh, 36 ans, se montre beaucoup plus prudent. S'il s'est rangé au côté des anti-Morsi lors des manifestations au Caire, fin juin, il n’aimerait pourtant pas voir les militaires s'installer au pouvoir. "Jusqu’à maintenant, l’armée a agi en accord avec les volontés du peuple. Je n'ai rien à leur reprocher. De même, j’espère qu’ils réussiront à ramener le calme chez les Frères musulmans. Pourtant, lors des années Moubarak [l'ancien président], l’armée m'est apparue comme un milieu corrompu, pas du tout du côté de la population. Alors, il faut qu’elle cède son pouvoir à une personnalité civile rapidement."

Les préoccupations : économiques

"Pendant le soulèvement contre Moubarak [début 2011], vous entendiez des slogans réclamant la liberté, la démocratie ou l'égalité. Pendant les manifestations contre Morsi, on parlait de l'électricité et du carburant", plaisante Sameh. Derrière la boutade se cache une réalité : nos trois témoins évoquent avec amertume les coupures à répétition et l'attente de plusieurs heures pour obtenir de l'essence.

"Avant, les coupures d'électricité se produisaient quatre ou cinq fois par jour. Or, il n’y a pas eu de coupures depuis la chute de Morsi", se réjouit Aton. Les espoirs de Hany portent davantage sur la sécurité : "Je n'osais pas faire le voyage de Hurgharda au Caire pendant la nuit. Dans des grandes villes, vous n'allez pas dans certains quartiers, tout simplement parce qu'ils ne sont pas sûrs." De son côté, Sameh, gérant d'une agence de tourisme, espère voir les touristes revenir en Egypte en masse, "comme c'était avant".

Et la religion dans tout ça ? Quelle politique doit mener leur prochain gouvernement à ce sujet ? "Je connais bien ma religion, je n'ai pas besoin qu'un chef d'Etat s'en occupe, martèle Hany. Pour moi, le prochain président de l'Egypte peut bien être un chrétien, un juif ou un bouddhiste. Cela m'est égal, s'il gère bien l'économie du pays."

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