L'excision, une pratique ancestrale qui fait débat en Egypte
Les inquiétudes des milieux libéraux ne sont pas forcément sans fondement. La députée Azza al-Garf, issue du parti des Frères musulmans, a ainsi qualifié l’excision de pratique islamique et a appelé à lever l’interdiction des mutilations génitales féminines.
Lors d’un passage à la télévision, un député salafiste, Nasser al-Shaker, a lui aussi défendu l’intervention, affirmant qu’il s’agit d’un précepte de l’islam. A ses yeux, la levée de l’interdiction se justifie également par le fait que Suzanne Moubarak, épouse de l’ex-dictateur Hosni Moubarak, s’est battue contre une pratique que le prédicateur radical Wajdi Ghonim qualifie de simple «opération esthétique». Pour le même, «celui qui s’oppose à la volonté de Dieu est un apostat».
Une tradition remontant à l’Egypte pharaonique
Pourtant, l’excision n’est pas une pratique religieuse proprement musulmane. Notamment parce que les autorités islamiques sont divisées sur la question. Pour l’ancien cheikh de la prestigieuse université de l’islam sunnite Al-Azhar, Mohammed Sayed Tantawi, rien dans les textes ne la justifie. Ce que contestent d’autres religieux comme l’ancien mufti (religieux interprétant la loi musulmane) de la République, Nasr Farid Wassel.
L’opération se pratique surtout dans les zones rurales et parmi les populations pauvres. Avant la révolution de 2011, les autorités égyptiennes admettaient son importance : selon une enquête officielle publiée en 2008 (chapitre 15), plus de 90% des femmes en âge d’avoir des enfants seraient ainsi excisées, l’un des plus fort taux en Afrique. Des chiffres tabous parfois contestés. Mais les querelles ne remettent pas en cause l’étendue du phénomène. Selon le journal francophone Al-Ahram Hebdo, 1300 filles (chiffre de 2003) «trouvent la mort chaque année à cause de ces opérations». Lesquelles sont souvent menées par des barbiers ou des sages-femmes traditionnelles dans des conditions sanitaires précaires.
C’est d’ailleurs en raison du décès d’une enfant de 12 ans que la pratique avait été interdite en 2008 par un vote du Parlement égyptien. Pour autant, cela n’a pas suffi à l’enrayer malgré le travail d’associations comme le Croissant rouge, sous l’égide de l’UNICEF et de l'UNFPA (Fonds des Nations Unies pour la population). Tout au long du XXe siècle, la tradition a été à plusieurs reprises interdite, totalement ou partiellement : en 1928, 1959 et 1996. Cette année-là, elle avait été prohibée dans les hôpitaux publics avant d’être à nouveau autorisée l’année suivante.
Une «tradition enracinée»
Motif : l’excision, la «circoncision» pour reprendre le terme utilisé en Egypte, se heurte au mur d’«une tradition enracinée», comme le relève Al-Ahram Hebdo, dans une population conservatrice encore majoritairement rurale. Dans ces milieux, les familles mettent en avant « l’importance de la ‘‘Taara’’» (purification en arabe). Laquelle serait soulignée par l’ablation du clitoris.
Cette intervention «est nécessaire pour protéger les filles contre la déviation, elle les aide à brider leurs désirs sexuels», explique ainsi une mère de famille, Oum Sayed. «On dit partout que les filles non excisées sont impures, sautent sur les hommes et ne trouvent pas de mari. Une mère digne de ce nom ne peut pas vouloir cela pour ses filles», affirme une autre, Om Safin. «Un jour, une femme m’a même raconté que sa fille avait été excisée de peur que son clitoris ne devienne gros comme une souris. Au fond, l’excision c’est avant tout la peur de la sexualité féminine», analyse Amal Abdel Hadi, du New Womens’s Research Center.
«Pour les familles, c’est une question de sécurité. L’excision représente la possibilité d’un mariage,ll donc d’un futur heureux. C’est presque une question de vie ou de mort», précise Nadia Kamel qui dirige le programme de lutte du Croissant rouge égyptien. Difficile dans ces conditions de lutter contre le phénomène. Et de faire évoluer les mentalités.
Le combat est donc loin d'être terminé. Dans une déclaration publiée en septembre 2012, la Société égyptienne de gynécologie et d'obstétrique a «insisté sur le fait» que les mutilations génitales féminines n'apportent «aucun bénéfice médical, en matière de santé ou de comportement».
Les autorités et les associations qui portent ce combat tentent d’agir par la pédagogie : elles se rendent sur le terrain avec des femmes excisées qui rejettent la pratique et tentent de faire prendre conscience des ravages des mutilations. Mais les campagnes «ne donneront que des résultats qu’à long terme (…), car nous ne luttons pas contre une maladie qui peut être facilement éradiquée», observait en 2003 une représentante du ministère de la Santé. Et l'UNICEF d'ajouter aujourd'hui: «Le changement social est une affaire complexe. Une action de longue haleine est essentielle pour avoir un impact durable.»
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