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Egypte : pourquoi les pro et les anti-Morsi se déchirent

Article rédigé par Pauline Hofmann
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Un homme devant un feu sur la place Al-Adawiya au Caire, après les répressions contre les partisans de Mohamed Morsi, le 27 juillet 2013. (CITIZENSIDE.COM / AFP)

Après la sanglante répression de mercredi contre les partisans du président destitué par l'armée, Mohamed Morsi, de nouvelles violences ont éclaté en ce "vendredi de la colère". Comment en est-on arrivé là ? 

Vendredi à haut risque en Egypte. Ce 16 août, les Frères musulmans ont appelé à un jour "de colère" après la prière, pour protester contre la répression dont ils ont été victimes mercredi. Selon le dernier bilan, au moins 578 personnes sont mortes sous le feu des autorités égyptiennes qui ont vidé les places Nahda, dans l'ouest du Caire, et Al-Adawiya, dans le nord-est de la capitale, où étaient massés les partisans du président Morsi, destitué le 3 juillet par l'armée égyptienne. Comment en est-on arrivé là, alors que Mohamed Morsi avait été élu démocratiquement ?

De nombreux électeurs avaient choisi le candidat des Frères musulmans par défaut, pour éviter le retour du clan Moubarak. Depuis, la ligne de fracture a bougé et les Frères musulmans fédèrent les critiques de tous les camps : anti-islamistes, libéraux de la classe politique égyptienne, nationalistes... Les pro-Morsi sont aujourd'hui isolés. "Les islamistes avaient réussi à fédérer autour d'eux, sur leur droite, les salafistes et, sur leur gauche, les démocrates, indique Gilles Kepel, spécialiste de l'islam, au Figaro. Aujourd'hui, les Frères musulmans, en Egypte comme en Tunisie, se sont coupés de ces soutiens à cause de leur pratique du pouvoir."

"Le gouvernement a répondu à une pression de l'opinion"

"Le gouvernement a répondu à une pression de l'opinion pour éradiquer les Frères musulmans", analyse Clément Steuer, spécialiste de l'Egypte au Centre d'études et de documentation économiques, juridiques et sociales du Caire, contacté par francetv info. Le peuple égyptien a "vécu la mise en place des sit-ins par les Frères musulmans comme une insulte à sa volonté (...) de voir la fin de la dictature obscurantiste", analysent pour leur part les écrivains égyptiens Bagat Elnadi et Adel Rifaat, interviewés dans Libération. Ils avaient été plusieurs millions à descendre dans la rue le 30 juin pour réclamer la destitution de Mohamed Morsi. 

Une fois ce dernier éjecté du pouvoir, les télévisions d'Etat favorables aux Frères musulmans ont été fermées sur ordre des militaires. Les seules chaînes continuant à émettre ont alors mené de véritables campagnes de dénigrement contre le camp de l'ex-président. "Certains arguments avancés [par les médias] sont fantasmatiques, explique Clément Steuer. Selon certaines télévisions privées, Mohamed Morsi cherchait à céder le Sinaï au Qatar et le sud du pays au Soudan. Il était présenté comme un agent étranger mettant en danger l'unité du pays", précise-t-il.

Des rumeurs véhiculées par les télévisions privées

Et comme les partisans de Morsi refusent de s'exprimer sur ces chaînes, indignes de confiance selon eux, une partie de la population croit à ces rumeurs sans émettre de doute. "Comme partout, les gens croient ce qu'ils veulent bien croire", déplore Clément Steuer. Les islamistes trop démonstratifs deviennent la cible de quolibets au Caire. Le Washington Post rapporte les paroles de plusieurs islamistes brimés. "Il faut que vous compreniez que les minibus ne s'arrêtent même plus aux arrêts pour nous", explique par exemple un imam d'une mosquée radicale de la capitale égyptienne.

Des supporters de Mohamed Morsi fouillent une moto à côté d'une barricade de la place Nahda, au Caire, le 7 juillet 2013. (MOHAMMED HOSSAM / ANADOLU AGENCY)

Cette tension entre pro et anti-Morsi a exacerbé les divisions. En juillet déjà, des affrontements à Alexandrie, dans le nord du pays, avaient donné un avant-goût des violences actuelles : ces émeutes entre Egyptiens d'une même ville, d'un même quartier, ont fait 14 morts et 200 blessés. Au Caire, les tensions autour des sit-ins étaient permanentes. Comme le rapporte RFI, les quelques dizaines de milliers de manifestants, islamistes pour la plupart, perturbaient la vie quotidienne aux alentours des deux places occupées. "La place Al-Adawiya est devenue, au fil du temps, un village de dix mille habitants hurlant des slogans à longueur de journée et de nuit."  

Le journaliste de RFI dressait un constat amer : "Pour une femme, ne pas être voilée, c'est ici l'enfer." Résultat, les habitants, très remontés, avaient formé des comités pour déloger les manifestants. Selon Amnesty International, des "actes de torture" ont été perpétrés aux alentours des sit-ins. Des victimes, anti-Morsi, parlaient de coups de barre de fer et de décharges électriques. D’après le Washington Post, des leaders islamistes accusés d’incitation à la violence et de meurtres tenaient des tribunes dans les manifestations. Après la répression du 14 août, trois importants responsables du mouvement ont d’ailleurs été arrêtés.

Une risque de guerre civile ?

La réalité des campements urbains pro-Morsi était pourtant plus contrastée. D'après la chaîne Al Jazeera, seuls certains manifestants portaient des armes et étaient dangereux. Selon le Washington Post, des femmes et des enfants avaient également installé leur quartier sur les places Nahda et Al-Adawiya. Le journal était allé à la rencontre de ces opposants au gouvernement transitoire. Au cours des manifestations, un journaliste du Nouvel Observateur notait la présence à la fois d'islamistes radicaux, mais aussi des citoyens opposés à la prise de pouvoir autoritaire de l'armée. 

Des supporters de Mohamed Morsi installés sur la place Nahda au Caire, le 12 juillet 2013. (MOHAMMED ELSHAMY / ANADOLU AGENCY)

D'ailleurs, une troisième voie commence à émerger. Pour Clément Steuer, "la répression est soutenue par une partie de la rue, mais les violences sont gênantes pour une autre partie des opposants, comme Mohamed El-Baradei." Cet ancien ténor du pouvoir, prix Nobel de la paix, a d'ailleurs démissionné du gouvernement le soir même de la répression.

D'autres opposants farouches aux Frères musulmans dénoncent la radicalisation des deux camps, pro et anti-Morsi. Bassem Youssef est un présentateur de télévision libéral, très influent en Egypte et surtout très critique envers les islamistes. Cela ne l'a pas empêché de mettre en garde contre cette campagne anti-Frères musulmans, dans une tribune du journal Al-Shourouk (traduite par Courrier international). Dans un style empreint d'ironie, il s'insurge contre les attaques systématiques envers les partisans de Morsi. Il craint que l'Egypte renoue "avec le climat des années 1990, avec les 'solutions sécuritaires', les campagnes de dénigrement médiatiques, la gâchette facile... et un radicalisme qui ne cessait de se renforcer jour après jour."

La nouvelle Egypte prévoit "l’écriture d’une nouvelle Constitution", d’après Bagat Elnadi et Adel Rifaat. Une Constitution "qui ne permettra plus l’existence de partis religieux" et pourrait conforter les Frères musulmans dans leur posture de martyrs. Au risque d'une guerre civile ? Pas impossible, pour Gilles Kepel, qui indique au Figaro : "Les Frères musulmans ont (...) passé le plus clair de leur existence dans la clandestinité. Donc, ils sont capables de gérer la répression. Ils disposent de cellules dans chaque village, de réseaux de solidarité et, même si l'armée a déjà détruit les Frères en 1954, ils ont la capacité de structurer une autre Egypte. Qui plus est, ils ont construit sur leur marge toute une mouvance radicale et violente qui contrôle d'ores et déjà le Sinaï."

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