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L’Afrique, un marché énorme et prometteur pour le transfert d’argent
Les transferts d’argent africain, vitaux pour le continent, représentent chaque année plusieurs dizaines de milliards d’euros. Problème: les frais de ces opérations financières y sont plus élevés qu’ailleurs. Aujourd’hui, des fintechs (start-up financières) secouent le monopole des établissements américains. Interview de Catherine Wines, co-fondatrice de la société britannique WorldRemit.
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Où en en est le marché du transfert d’argent vers l’Afrique?
Au niveau mondial, il s’agit d’un marché énorme, estimé par la Banque mondiale à 500 milliards de dollars et dominé par les sociétés américaines Western Union et MoneyGram.
Rien que pour l’Afrique subsaharienne, le montant total des envois de fonds représente 40 milliards d’euros, selon la Banque mondiale. Pour autant, c’est un marché morcelé de 54 pays et peu concurrentiel. Résultat: les frais de transfert y sont plus élevés qu’ailleurs: 9% en moyenne, contre 7% pour le reste du monde. La Banque mondiale souhaiterait que ces frais passent à 3% d’ici 2030.
Western Union et MoneyGram ont développé sur le continent un réseau de partenaires liés par des contrats exclusifs. Au départ, il était donc difficile pour les nouveaux arrivants de s’y implanter. Mais aujourd’hui, ces contrats deviennent illégaux.
Comment le marché africain s’est-il libéralisé?
C’est la technologie qui a permis de faire bouger les choses. En l’occurrence avec la mise au point, au Kenya en 2007, du portefeuille mobile (mobile money) à partir d’un téléphone cellulaire, grâce à M-Pesa, plateforme de l’opérateur télécom Safaricom.
Il faut voir que selon les données de la Banque mondiale, 32,8% des Africains ont un compte en banque alors que 80% d’entre eux ont un mobile (La Banque mondiale indique un taux de 73% pour 2017. Alors qu’une étude du GSMA, association qui regroupe quelque 800 opérateurs et constructeurs de téléphonie mobile dans le monde, fait état «pour l’Afrique subsaharienne (d’)un taux de pénétration d’abonnés uniques au mobile (…) de 44% à la fin de 2017», NDLR).
Pour envoyer de l’argent, ils peuvent ainsi utiliser directement un numéro de téléphone relié à un compte virtuel. Cela évite de confier cet argent à un tiers. Puis, ils se sont mis à se faire des paiements entre eux. A partir de là se sont développés d’autres services : prêts, assurances… Avec une constatation: le portefeuille mobile est plus efficace, plus sûr, moins cher.
Votre société est arrivée au même moment sur ce marché…
WorldRemit, service en ligne qui permet d'envoyer de l'argent à ses proches à l'étranger depuis un ordinateur, un smartphone ou une tablette, a été fondé au Royaume-Uni en 2010. Depuis, nous avons diminué les coûts de transferts et cassé le monopole des grands du secteur. Aujourd’hui, nous prélevons des frais de l’ordre de 5%. Western Union, qui demandait auparavant plus de 10%, a dû réduire les siens. (De son côté, cette entreprise, interrogée par Géopolis, dit «en moyenne» prélever «environ 5% de la somme envoyée» quel que soit le pays. «Nous ne communiquons pas d'information spécifique au niveau régional», précise-t-elle. Son concurrent, MoneyGram, nous a expliqué facturer des frais moyens de «moins de 5%, y compris les opérations de change», après les avoir réduits, «pour l’Afrique, de plus de 4%», NDLR).
Au départ, nous nous sommes développés vers l’Europe. Nous travaillons maintenant dans le monde entier. De son côté, l’Afrique génère 50% des envois de nos clients et 50% de nos revenus. Nous disposons de bureaux au Sénégal, en Afrique du Sud, au Kenya, au Rwanda, en Ouganda. Aujourd’hui, nous représentons 75% des envois internationaux par mobile vers le continent. Nous avons quelques concurrents sur notre créneau, des petites sociétés, qui ne sont pas encore aussi développées que nous.
Vous cherchez à vous implanter en Afrique francophone. Vous venez de vous lancer au Sénégal. Quelle est la particularité de cette région?
C’est un marché difficile à cause de la réglementation. Pour faire des envois d’argent, il faut obligatoirement passer par une banque. Les établissements bancaires ont ainsi une emprise sur les transferts internationaux. Conséquence: les discussions avec les partenaires prennent du temps. Comme il faut du temps pour changer les habitudes dans un secteur où 90% des envois sont encore physiques.
Aujourd’hui, votre société est-elle rentable?
Non, pas encore. Le choix de nos investisseurs est d’être global. Nous avons besoin d’argent pour nous développer. En l’occurrence: obtenir des licences (comme aux Etats-Unis), mettre sur pied une politique de partenariat et de marketing, développer une marque, établir la confiance. Depuis notre création, nous avons donc levé 220 millions de dollars auprès de sociétés de capital-risque.
Entre 2016 et 2018, le chiffre d’affaires de WorldRemit (550 collaborateurs répartis dans le monde) a progressé de quelque 50% l’an pour atteindre 60 millions de livres britanniques (67,15 millions d’euros) cette année. Fin 2017, nous avions 2 millions de clients. Aujourd’hui (en juillet 2018, NDLR), nous en avons 2,5-3 millions. Nous nous sommes fixés un objectif de 10 millions d’ici fin 2020.
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