Cet article date de plus de six ans.

L'endettement des pays africains, qui doivent beaucoup à la Chine, inquiète

Pour assurer sa croissance, la Chine a intensifié ses relations économiques avec l'Afrique pour s'assurer un approvisionnement constant en matières premières. Ce faisant, il est aussi devenu le plus important contributeur bilatéral au financement du développement de nombreux pays africains. Au risque de réveiller le spectre du surendettement.
Article rédigé par Falila Gbadamassi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
  (XIE ZHENGYI / IMAGINECHINA)

Les autorités camerounaises annonçaient, début octobre 2017, que près de 70% de la dette publique bilatérale du pays était détenue par Pékin. «Le leadership de la Chine au niveau bilatéral se caractérise par un encours de 1375,9 milliards de FCFA, soit 67,7% de la dette bilatérale (ce qui correspond à 34,4% de l’encours de la dette extérieure)», a rapporté l'agence Ecofin. 

Essai du nouveau train financé et construit par la Chine reliant la capitale Nairobi au port de Mombasa (ANDREW NGEA / AFP)


Toujours plus endettés
Même son de cloche au Kenya où, en 2016, la Banque mondiale a pointé du doigt l'«appétit» du pays pour les prêts chinois. Entre 2010 et 2014, ils ont augmenté de 54%, selon Business Daily.

«Le fardeau de la dette reste lourd pour le Kenya et les prêts chinois peuvent le rendre insoutenable», ont prévenu Apurva Sanghi, alors économiste en chef de la Banque mondiale pour plusieurs pays d'Afrique de l'Est dont le Kenya, et son collègue Dylan Johnson. 

Les cas camerounais et kenyan n'ont plus rien d'exceptionnel sur le continent où le niveau d'endettement des pays est de nouveau un sujet de préoccupation.

La situation des pays africains interpelle parce qu'il y a plus d'une décennie, la communauté internationale a voulu les aider à sortir du cercle vicieux de l'endettement qui avait, entre autres, déjà conduit les institutions de Bretton Woods à leur imposer de sévères plans d'ajustement structurels dans les années 80-90. Elles feront leur mea culpa par la suite, mais le mal avait déjà été fait.

«En 2005le G8 avait décidé l'annulation de plus de 100 milliards de dollars de dette pour 14 pays africains. Dix ans plus tard, le poids de la dette dans le PIB de ces pays a retrouvé son niveau d'antan, voire l'a même dépassé», rappelait Bineswaree Bolaky, économiste à la Conférence des Nations Unies pour le commerce et le développement (Cnuced), l'agence onusienne qui a tiré la sonnette d'alarme en 2016.
 

Cette mesure s'incrivait dans une large dynamique enclenchée par «l'initiative Pays pauvres très endettés (PPTE), initiée en 1996 sous l’égide du FMI et de la Banque mondiale». Cette dernière «a été conçue comme une solution définitive aux crises répétées de surendettement de ces pays»précise un document du trésor public français. L'initiative a produit des résultats mais n'a pas tout résolu.

Les signaux sont au rouge
L'économiste en chef de la Banque mondiale pour l'Afrique, Albert Zeufack, a ainsi récemment alerté les pays africains sur cette problématique de la croissance exponentielle de leur dette. 

«Nous avons vu de nombreux pays passer de faible risque à un taux modéré. Les pays se doivent de freiner leur endettement», a-t-il conseillé, rapporte l'agence chinoise Xinhua

Ainsi, «de façon générale, peut-on lire dans le rapport Africa Pulse 2017 de la Banque mondiale,11 des 35 pays à faible revenu (de l'Afrique sub-saharienne) sont classés comme étant à haut risque de surendettement».  

«L’accroissement de la dette du secteur public devient préoccupant en Afrique subsaharienne (...). Le ratio dette publique/PIB au niveau régional a augmenté de près de 10 points de pourcentage depuis 2014, passant en moyenne à 42% du PIB en 2016», souligne également un rapport du Fond monétaire international (FMI) publié en mai 2017.  

Nouveau bailleur et taux d'intêrêts moins favorables 
Alors que la croissance était en berne en 2016 (elle est passée de 3,7% en 2015 à 1,7% en 2016 selon le dernier rapport économique sur l'Afrique de la Cnuced sur la croissance économique en Afrique) et que les perspectives économiques restent peu reluisantes au vu de la conjoncture mondiale, les pays africains doivent faire face aux remboursements de dettes, contractées à des conditions moins avantageuses.  

Les prêts concessionnels (les prêts accordés à des conditions favorables) n'ont cessé de baisser dans le stock de la dette extérieure des pays africains: ils sont passés de «42,4% sur la période 2006-2009 à 36,8% sur 2011-2013».

«L'Afrique a commencé à emprunter de certains pays émergents (comme la Chine) à des taux d'intérêts plus élevés et avec un niveau de concessionnalité moindre par rapport aux emprunts financés par les institutions multilatérales», expliquait en 2016 Bineswaree Bolaky, économiste à la Cnuced, sur les antennes de la Radio des Nations Unies.

«Avant 2010, notait en 2015 Peter Bourke de la Banque mondialeles créanciers multilatéraux (institutions financières internationales comme le Groupe de la Banque mondiale) arrivaient en tête. Ils ont depuis été dépassés par les créanciers bilatéraux (organismes officiels qui prêtent de l’argent au nom des gouvernements), en grande partie du fait du poids que prend progressivement la Chine dans la région».

Dans la même veine, certains pays ont commencé à émettre des obligations libellées en devises étrangères qui peuvent augmenter le poids de la dette en cas de dépréciation de la monnaie locale. Et la menace qui plane sur le Kenya s'est avérée une réalité pour un de ses voisins. 

«Au début de cette année (2017), le Mozambique s’est retrouvé en défaut de paiement pour un coupon de 60 millions USD sur son unique obligation souveraine. En cause, entre autres, «une dépréciation de 37% du metical (monnaie du Mozambique) en 2016», explique le rapport Africa Pulse.

Sur le marché financier international, les pays africains n'échappent pas à une tendance mondiale. L'Empire du Milieu est aujourd'hui le principal créancier de nombreux Etats. 


Rencontre entre les présidents sénégalais, Macky Sall, et chinois, Xi Jinping, à Hangzhou (est de la Chine) le 2 septembre 2016. (AFP - IWASAKI MINORU)


Le modèle chinois: matières premières contre prêts
La Chine, «principal pays partenaire émergent (de l'Afrique)», a favorisé l'essor du commerce et de l’investissement avec le continent notamment «par des dons ou des prêts concessionnels publics (...)». Une «présence grandissante» motivée, entre autres, «par l’intérêt que porte la Chine au secteur des ressources naturelles de certains pays d’Afrique dans le but d’alimenter son expansion économique», indiquait la Banque africaine de développement (BAD) dans un document publié en 2011. 

La Chine a développé une offre de financement taillée sur mesure pour le continent. La banque chinoise d'export-import, la China Exim Bank, a ainsi développé une approche «baptisée, "financement angolais"»explique La Tribune Afrique.

Cette dernière «repose sur un accord-conclu avec un gouvernement africain pour un programme d'infrastructures financé par des prêts chinois et réalisé essentiellement par des firmes chinoises. Un accord qui accorde au passage à une compagnie nationale chinoise le droit d'investir ou d'intervenir comme opérateur dans l'exploitation de ressources (pétrole, bauxite, chrome, minerai de fer, cacao...).»
 

A l'instar de l'Angola, qui est l'un des principaux fournisseurs de pétrole de la Chine, les pays africains hypothèquent donc leurs matières premières pour honorer leurs engagements financiers. Les prêts «sont remboursés en or, en pétrole, en gaz ou en cuivre», confiait à Géopolis Julien Wagner, auteur de Chine-Afrique, le grand pillage. 

Dans ses Perspectives économiques en Afrique 2016, la BAD conseillait aux Etats africains de «renforcer leurs capacités de négociation (...) afin de pouvoir (conclure) avec la Chine de grands contrats complexes portant sur les matières premières et contenant des clauses avantageuses» pour le pays exportateur.

Car l'institution financière panafricaine constatait en 2011 que «les pratiques chinoises en matière d’aide et de financement du développement sont généralement loin de la clarté des principes, critères de transparence et définitions de l'OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques)». Mais elle soulignait néanmoins que «la Chine cherche à servir son propre intérêt économique lorsqu’elle intervient en Afrique, tout comme les autres donateurs bilatéraux».

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.